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Sophie Chiasson gagne sa cause : « Le tort causé est très grave, presque irréparable », dit le juge

14 avril 2005

Le juge Yves Alain de la Cour supérieure du Québec a rendu son verdict, lundi le 11 avril 2005, dans le procès pour diffamation contre l’ex-animateur de CHOI-FM Jean-François Fillion et le propriétaire de la station de radio, Genex Communications.

Le juge Alain a tranché en faveur de la plaignante, l’animatrice de télévision Sophie Chiasson, et condamne Genex et Jeff Fillion à verser environ 340 000 $ en indemnités.

Il accorde 200 000 $ en dommages exemplaires, 100 000 $ en dommages moraux et environ 40 000 $ pour les honoraires des avocats de la plaignante.

Voici des extraits du jugement dans lesquels le juge Alain expliquent les motifs de sa décision.

« La constatation faite par le CRTC lors du dépôt de la décision CRTC 2002-189 du 16 juillet 2002 dont des extraits sont reproduits dans le présent jugement ainsi que le dépôt des cassettes P1, P-2 et P-87 et leur transcription démontrent bien au contraire que le niveau de langage utilisé par Jean-François Fillion et les co-animateurs sont de qualité plus que douteuse. En fait, les propos visant Mme Chiasson sont sexistes, haineux, malicieux, non fondés, blessants et injurieux. Ils portent atteinte à la dignité, à l’honneur et à l’intégrité de l’être humain en général et de Mme Chiasson en particulier.

Lorsque Jean-François Fillion et les animateurs de l’émission « Le monde parallèle » font référence à Mme Chiasson lors des émissions des 10 septembre et 8 octobre 2002, il s’agit d’insultes et d’attaques gratuites. C’est un manque total de respect pour la personne humaine et une intrusion dans l’intimité et la vie privée de Mme Chiasson. On peut facilement comprendre qu’à l’écoute de tels propos, la personne visée se sente humiliée, amoindrie, déstabilisée, perde confiance en elle et doute de ses capacités.

Le tort causé est très grave et presque irréparable. Mme Chiasson a raison de se sentir souillée en tant que femme et de considérer qu’il s’agit d’une attaque à son intégrité professionnelle et physique ainsi qu’à sa vie privée.

On a beau avoir « la couenne dure » comme le mentionnent les quatre (4) animateurs lors de leur témoignage devant le Tribunal, aucun être humain quel qu’il soit incluant Mme Chiasson, ne peut avoir une carapace assez solide pour rester imperméable aux insultes proférées à son endroit et aux incursions faites dans son intimité et sa vie privée ; surtout lorsqu’elles sont fausses et se répètent fréquemment.

Les propos tenus en septembre et octobre 2002 sont inqualifiables surtout qu’ils s’adressent à une personne que les animateurs ont déjà eu l’occasion de rencontrer et qui leur a fourni toutes les preuves nécessaires pour démonter qu’elle est intelligente, que son cheminement se fait au gré d’efforts constants et qu’elle n’a rien à se reprocher au niveau professionnel.

Pourquoi Jean-François Fillion et les co-animateurs s’attaquent-ils à Sophie Chiasson de façon aussi démesurée depuis 1999-2000 ? Pourquoi arrive-t-on aux attaques personnelles de l’automne 2002 ? Rien ne permet de comprendre la gratuité de tels propos.

Les animateurs de l’émission « Le monde parallèle » tentent de justifier leurs commentaires concernant Mme Chiasson en expliquant que M. Fillion est un féru de météorologie et qu’à travers elle il s’attaque à la façon dont on traite la météo au Québec. L’explication ne tient pas. Il faudrait être bien naïf pour croire la partie des témoignages de MM. Fillion, Landry, Gravel et Mme Saint-Laurent à ce sujet. Ceci est d’autant plus insoutenable et incroyable que lors de l’émission du 23 janvier 2001 on complimente Mme Chiasson sur sa façon de travailler à « Météo-Média ». Lors de l’entrevue qu’elle a eue avec M. Fillion en janvier 2001, Mme Chiasson explique qu’à « Météo-Média » on travaille en collaboration avec des météorologues qui fournissent toutes les informations nécessaires permettant de diffuser des bulletins météo exacts. D’ailleurs, M. Fillion déclare qu’il ne vise pas Mme Chiasson ni « Météo-Média » mais les autres stations qui obtiennent leurs renseignements d’Environnement Canada.

Plus outrageant, M. Fillion indique au Tribunal au cours de son témoignage « qu’il faut avoir du respect pour le traitement de la météo ». En réponse à une question du Tribunal qui lui demandait s’il n’est pas plus important d’avoir du respect pour l’être humain plutôt que pour la météo, M. Fillion fait un signe affirmatif de la tête et baisse le regard pour montrer qu’il se sent mal à l’aise. Pour sa part, M. Gravel réfère également à la préoccupation de M. Fillion pour le traitement de la météo au Québec. À une question du Tribunal, M. Gravel avoue que CHOI-FM diffuse des bulletins météo sans intervention de météorologue et que les renseignements transmis en ondes proviennent d’Environnement Canada ou d’agences de presse.

Il faut admettre qu’au cours de leur témoignage les co-animateurs de l’émission « Le monde parallèle » utilisent un langage très différent de celui entendu en ondes lors des extraits d’émission produits en preuve. Le Tribunal n’a aucune hésitation à dire que lors de leurs témoignages MM. Fillion, Landry, Gravel et Mme Saint-Laurent s’expriment en bon français, démontrent un certain respect pour l’institution judiciaire et adoptent une attitude de repentir au sujet des propos prononcés à l’égard de Mme Chiasson à l’automne 2002. Chacun des animateurs affirme « qu’ils sont allés trop loin et que les propos n’avaient pas raison d’être ». Ils les qualifient d’ailleurs de vulgaires, grossiers et blessants.

Devant le Tribunal, ils s’excusent auprès de Mme Chiasson. M. Fillion mentionne même que « s’il lui était possible d’avoir une baguette magique pour faire disparaître ces propos, il en serait très heureux ». En regardant Mme Chiasson, il lui fait des excuses que le Tribunal croit alors « sincères ». Or, les propos tenus postérieurement sur les ondes de CHOI-FM démontrent que ces excuses ne contenaient pas « le ferme propos » puisque lors des émissions des 4, 8 et 9 mars 2005, M. Fillion et certains des co-animateurs en rajoutent au sujet de Mme Chiasson. Ils font des commentaires très désagréables à l’égard du contenu de son témoignage, insistent sur son peu d’importance ou banalisent ce qui a été dit en septembre et octobre 2002. Plus particulièrement lors de l’émission du 4 mars 2005, M. Fillion dit que la poursuite en diffamation de Mme Chiasson constitue « une perte de temps pour lui ».

Le Tribunal se doit de constater que l’attitude des animateurs de l’émission « Le monde parallèle » change du tout au tout dès qu’ils entrent en studio. Ils s’adressent alors à leur auditoire par l’intermédiaire d’un microphone, sont invisibles et ne peuvent être contredits. Ils se permettent de dire n’importe quoi et sont incapables de s’autocensurer, c’est ce qu’ils appellent « liberté d’expression ». En 2002, ils s’adressent simultanément à près de 64 000 personnes au quart d’heure alors qu’en 2004 ils rejoignent 100 100 auditeurs.

À tous les jours de la semaine entre 6 h 20 et 10 h 15, les animateurs de l’émission « Le monde parallèle » changent de personnalité, ils deviennent incontrôlables, prêts à dire n’importe quoi sur n’importe qui pour améliorer leur cote d’écoute. Ils agissent en « matamore » dès qu’ils sont devant un « microphone ».

L’admission faite aux paragraphes 97.1 et ss. de la contestation ré-amendée et la preuve accablante faite à l’audience donnent ouverture à l’octroi d’importants dommages moraux.

Au cours des interrogatoires après contestation, MM. Fillion et Demers minimisent la portée des propos tenus à l’égard de Mme Chiasson les qualifiant de « banalités » et allant jusqu’à dire qu’il s’agit de « compliments ». Il est vrai que lorsqu’on parle d’une personne pour dire « qu’elle est belle et qu’elle est bonne », il s’agit-là d’un compliment. Cependant, lorsqu’on réfère à « des beignes » et qu’on dit que la personne visée, Mme Chiasson, n’est pas« la plus mauvaise beigne de la boîte », il est difficile de prétendre qu’il s’agit-là d’un compliment. On ne peut non plus considérer comme un compliment le fait d’entendre « Chophie qui est venue ici pis qui… a enlevé son jacket pour être sûre qu’on lui voit ses deux (2) grosses affaires là. Et de source sûre c’est gros là. C’est encore plus gros toute nue que… habillée là. C’est le genre de fille que tu fais un saut quand elle, quand ça sort de là », « tout est dans la brassière », « est-ce que ça défie la gravité ? », « au-dessus des épaules il n’y a pas grand-chose », « pouffiasse », « niochonne », « chouchounne », « chatte en chaleurs », « sangsue », « la même p’tite rapace », « cruche vide », « spécialiste de la menterie », « méchante malade » etc. Le Tribunal réfère à tous les péjoratifs reproduits en annexe au présent jugement, et entendus sur les cassettes P-1 et P-2, termes qu’il ne considère pas comme des compliments, bien au contraire.

Il est tout à fait normal que Mme Chiasson soit grandement affectée par ces propos. Elle a un profond sentiment de dégoût à l’écoute de ce qui se dit à son sujet les 10 septembre et 8 octobre 2002, elle se sent étouffée, prisonnière, terrorisée et angoissée. Elle a l’impression d’être examinée au microscope, qu’on s’acharne sur elle et qu’elle est constamment épiée.

Depuis 1999-2000, elle vit dans un climat de panique qui s’accentue à chaque fois que M. Fillion et les co-animateurs de l’émission « Le monde parallèle » font des commentaires à son sujet. Les deux (2) émissions de l’automne 2002 en sont le point culminant et elle doit prendre les moyens pour qu’on cesse de s’attaquer à son intégrité physique, à sa dignité, à sa vie professionnelle, à sa vie privée et à sa réputation.

Même si la preuve démontre que seuls les membres de sa famille et ses proches amis font référence aux propos tenus par Jean-François Fillion à son endroit ; elle se questionne à chaque fois qu’elle rencontre quelqu’un sur ce que cette personne peut penser d’elle concernant tous les sujets abordés par Jean-François Fillion et ses acolytes. Elle est même justifiée de croire qu’on peut l’enguirlander ou lui faire un mauvais parti parce qu’elle a osé se plaindre des agissements des animateurs de CHOI-FM.

À compter de ce moment, sa vie change. Elle modifie sa façon de se vêtir, change ses habitudes de vie et prend les dispositions nécessaires pour ne pas prêter flanc à la critique. Originaire de Québec, elle craint même de revenir dans sa ville natale et se sent constamment surveillée. Sa confiance en elle s’effrite. Malgré le fait qu’en apparence sa carrière ne soit pas affectée, sa manière de travailler l’est. Le témoignage de Mme Renée Hudon, professeur de diction et « protectrice » de Sophie Chiasson est éloquent à ce sujet. Le Tribunal est d’avis qu’on ne doit pas considérer le témoignage de Mme Hudon comme « un témoignage d’expert ». C’est un témoin de faits. Elle voit le changement d’attitude dans le comportement professionnel de Sophie Chiasson avant et après 2002.

L’acharnement et le harcèlement démontrés par les défendeurs à l’égard de Mme Chiasson la conduisent à une détresse psychologique qui l’oblige à consulter en médecine. Elle doit se faire prescrire des anxiolytiques et des somnifères pour l’aider à supporter l’épreuve qui l’accable.

Mme Chiasson a droit à une condamnation pour dommages moraux largement supérieurs à ce qu’offrent les défendeurs et qui fait l’objet de consignation (30 000$).

La preuve est accablante. Les propos sont dévastateurs et la vie de Mme Chiasson est affectée considérablement depuis ce temps (1999). Elle vit un « enfer » depuis plusieurs années. Les animateurs s’acharnent sur elle, Genex les laisse faire et Patrice Demers ne réagit pas malgré les décisions du CRTC en 2002 et 2004.

Il est difficile de quantifier ce que valent des dommages moraux puisque qu’ils ne font pas l’objet d’une perte de revenu. Ils constituent une blessure profonde à l’âme de l’être humain affecté au plus profond de lui-même. Dans le présent cas, vu la hargne, l’acharnement, le harcèlement, les insultes et les injures faites à Mme Chiasson pendant autant d’années ainsi que leur conséquence sur sa vie, il y a lieu d’accorder un montant largement supérieur à l’offre faite par les défendeurs.

Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit ici d’un cas d’espèce. Les atteintes sont tellement graves, répétées et échelonnées dans le temps qu’elles justifient l’octroi d’un montant de 100 000 $ à titre de dommages moraux que tous les défendeurs sont condamnés à payer solidairement à Mme Sophie Chiasson. […] ».

 M. Jean-François Fillion et Patrice Demers propriétaire de CHOI-FM vont en appel de ce jugement.

Source : Jugements, Cour supérieure du Québec.
Maisonneuve en direct, Radio-Canada.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 avril 2005.




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