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Soraya Benitez - Une histoire d’amour avec le Québec

15 février 2005

par Élaine Audet

Dès les premiers instants, j’ai su que j’avais devant moi une femme forte, engagée, authentique. Le contact est facile, la parole inspirée. D’origine vénézuélienne, la chanteuse, Soraya Benitez, vit une grande histoire d’amour avec le Québec, intimement liée à sa passion de la musique et de la langue française.



Née à Caracas au Vénézuéla, Soraya est l’aînée d’une famille de quatre enfants dont elle est l’unique fille. Famille très unie de musicien-nes non-professionnel-les « parce que, dans ce temps-là, ce n’était pas facile de faire vivre une famille avec la musique ».

L’amour de la musique

Deux enfants sont devenus professionnels, Pablo, le frère cadet qui est venu le premier au Québec, et Soraya, qui l’a suivi en 1997. « Maman chante et mon père aussi. Mais bien sûr c’est à la maison. J’ai grandi avec ça, dit-elle, j’ai grandi avec des tangos, des boléros et, bien sûr avec la musique vénézuélienne. Depuis toujours mes oncles mettaient de la musique classique pour nous faire dormir. J’aime l’opéra, j’aime la musique populaire, la musique latino américaine, l’expression humaine de la musique. Faire une chanson, pour moi, c’est aller chercher les souvenirs dans mon âme d’enfant et d’adolescente. »

La guitare est son instrument. Au début, elle a commencé avec un instrument rythmique à quatre cordes, le quatro et c’est vers l’âge de 6-7 ans qu’elle a eu sa première guitare après avoir détruit quelques quatros ! « Je suis une autodidacte de la musique. Pour apprendre la guitare, j’étais toujours devant la télé et j’arrivais à voir les accords que les musiciens faisaient, alors je me disais que cet accord-là pouvait aller pour telle ou telle chanson. C’est comme ça que j’ai commencé à faire mon propre travail d’apprentissage, à ma manière. » On reconnaît là un esprit d’indépendance qui ne la quittera plus.

Elle commence à lire et à comprendre la musique vers l’âge de 18 ans, parce qu’elle a chanté dans des chœurs d’opéra, de musique classique, mais sans trop en voir l’utilité puisque qu’elle a l’oreille musicale. « J’ai commencé à rêver de jouer la guitare, mais pas de chanter. Je me voyais jouer la guitare dans un film ! » C’est vers l’âge de dix-treize ans qu’elle commence à jouer à l’église et découvre, en même temps que les autres, qu’elle a une voix. Une chaude et splendide voix de contralto. « Là, j’ai commencé à rêver de chanter à l’église et je faisais mes pratiques seule là-bas. »

Prendre le large

Elle fait rapidement carrière comme chanteuse, productrice et directrice de spectacles culturels. Elle joue, en 1983, le rôle principal de l’opéra rock « Josef and the Amazing… ». C’est une vedette. À la fin des années 90, elle décide cependant de tenter sa chance au Québec, parce qu’elle considère que les artistes ne sont pas reconnus dans son pays. « Je suis partie même si j’étais au plus haut qu’on puisse être dans ce pays, parce qu’il n’y avait pas de sécurité. Ce n’est pas une société où tu peux t’épanouir, où tu peux être. J’ai eu la possibilité de travailler dans le milieu culturel comme directrice de la culture des municipalités et je croyais pouvoir changer des choses. Mais, dans les faits, ce n’est pas vrai, ça bloque partout, parce qu’il n’y a pas de politiques culturelles permettant aux artistes de vivre. »

Il n’y a pas beaucoup de solidarité non plus parce que tout le monde est fatigué de lutter. Et de plus en plus, constate-t-elle, c’est la musique pop anglophone qui domine alors que des artistes qui proposent des choses intelligentes ne sont pas écoutés. « Je ne sais pas où va le pays. Il a été très affecté par la corruption et ça m’a beaucoup fait mal. Ça blesse de voir l’être humain diminué, de voir des gens qu’on aime perdre leur travail. Chaque jour, il y a un peu plus de pauvreté. »

Elle note qu’avant au Vénézuéla, il y avait plusieurs classes sociales, maintenant, il n’y en a que deux, les très riches et les très pauvres. « C’est la première fois que les Vénézuéliens vont chercher la nourriture dans les poubelles. Et pourtant, le prix du pétrole est tellement haut, mais il y a la dette à payer et rien d’autre ne compte. C’est un pays où tout le monde est en train de voler tout le monde pour survivre. » Quant aux femmes, il leur est très difficile de vivre dans une culture macho. Petit à petit, elles ont acquis une place et du pouvoir dans la société et leur milieu de travail mais, précise-t-elle, « de façon individuelle et non politique, parce que, si elles s’organisent, les hommes vont les écraser. »

Le coup de foudre québécois

C’est sous le signe de la musique et de la solidarité que s’inscrit d’entrée de jeu l’existence de Soraya au Québec. Quinze jour après son arrivée, elle, qui était directrice du secteur de la culture au Vénézuéla, descend dans le métro pour chanter. « Rester à la maison avec l’envie de chanter et de dire des choses, je pense que ça demandait beaucoup plus de courage ! », me répond-t-elle quand je luis dis que ça demandait du courage de se lancer ainsi à l’aventure.

Dans le métro, elle trouve immédiatement son public qui forme des attroupements autour d’elle. "Je me souviens très bien que je n’étais pas habituée au froid et, quand tu chantes dans le métro, il faut marcher, signer un livre à 5h du matin. Il y a une énergie tout à fait spéciale à Montréal à 5h du matin. Après il faut affronter le froid pour rentrer à la maison. Les gens passent, l’argent tombe bien, certaines fois, je rentrais à la maison avec des bonbons, de l’argent, des fleurs, des cartes, des tickets de métro, etc." Les gens sont émus par la puissance et l’émotion que dégage la voix de Soraya. Ils sont étonnés de constater qu’elle n’a pas de micro.

Cette expérience enrichissante ne dure pas longtemps, quinze jours plus tard, Francis Legault de C’est bien meilleur le matin la découvre et lui fait une entrevue. Et tout se précipite, elle fait une tournée des maisons de la culture, participe à plusieurs spectacles collectifs pour le SUCO, la paix, le 8 mars, le Sommet des Amériques à Québec, etc. Elle passe plusieurs fois à la télévision et à la radio, mais, ce qui a été déterminant, c’est sa rencontre avec Richard Desjardins, dont elle a fait deux fois la première partie du spectacle : « Richard, c’est un grand homme, c’est un homme de parole. Je l’ai connu au Spectrum pour le 50ème anniversaire des droits de l’Homme. Je suis sortie de scène et il était là. Je ne le connaissais pas et il m’a parlé en espagnol, c’était bon, ça nous a plu à tous les deux et après, je l’ai écouté et je me suis dit « quelle force ! ». J’aimerais faire « Le cœur est un oiseau ».

Sortir du ghetto

Le milieu artistique québécois a ouvert ses portes à Soraya et lui a aussi concrètement manifesté sa solidarité pour obtenir son droit de résidence au Québec. Tous les artistes avec qui elle a chanté, les gens de la radio, comme Monique Giroux, Martine Jessop, Chantal Jolis, des artistes comme Richard Desjardins, Sylvie Legault, Pol Pelletier, une quarantaine d’entre elles et eux l’ont aidé dans sa démarche pour l’immigration. J’ai une liste de trente ou quarante artistes qui ont écrit des lettres pour l’immigration et « ils étaient même tous là à l’immigration pour témoigner que j’étais une femme qui devait rester au Québec ».

« Aussitôt qu’on arrive ici, on a l’impression d’être adoptée. Moi, j’ai adopté le Québec dès mon arrivée. J’étais encore dans l’avion que j’ai dit à la personne qui m’accompagnait : personne ne va me faire sortir d’ici. Quelle énergie ! Ça fait cinq ans depuis mon arrivée et l’amour est toujours là ! » Lorsque je m’étonne qu’elle parle si bien le français, elle me raconte qu’elle a eu de bons professeurs dont une qui a bien compris qu’elle avait sa propre méthode d’apprentissage, comme en musique : « je n’aime pas faire de devoirs, j’aime beaucoup plus écouter la télé et la radio, c’est ma façon d’apprendre à l’oreille. »

Elle dit qu’elle a toujours aimé le français, que son arrière grand-père était français. « On ne peut vraiment apprendre une langue, dit-elle, que si on est dans le pays pour la bien parler. Vivre en ghetto, ça fait des immigrants qui ne sont pas contents parce qu’ils n’arrivent pas à s’intégrer à la société. Maintenant, si on cherche mon disque, on va le trouver dans « Musique du monde », mon espoir, c’est qu’on le trouve dans la section québécoise parce que moi je me considère Québécoise. » Dans une ville multiethnique comme Montréal, la musique du monde fait désormais partie de notre culture.

Une vision généreuse du monde

Les différentes facettes de l’identité de Soraya, indissociablement vénézuélienne et québécoise, se fondent harmonieusement dans une vision généreuse du monde. Elle est révoltée contre les gens qui sont toujours en train de se remplir les poches, qui ne pensent qu’à voler les autres. Pour elle, ils sont aussi en train de se voler eux-mêmes la possibilité d’être. « La première chanson de mon disque, Con horizontes de seda - Avec des horizons de soie (1) -, c’est ma philosophie. Il ne s’agit pas de donner pour recevoir, ça se fait tout seul, c’est naturel, c’est la vie, c’est comme ça ! » Elle raconte qu’elle a déjà eu un gérant qui lui conseillait de ne pas chanter bénévolement parce que plus personne n’irait à ses spectacles payants. Mais, pour elle, « ce n’est pas vrai, tout le monde va à tous les spectacles. La population du Québec sait qu’il faut aider les autres, c’est une population qui ouvre son cœur même à ceux qui ne sont pas riches. C’est pourquoi je me sens bien ici, parce que je suis comme ça ! »

L’amour est la source de son inspiration. Elle sait qu’elle a un caractère fort mais, confie-t-elle, ça fait longtemps qu’elle a appris que la colère fait plus de mal que de bien dans sa vie. « J’ai autre chose dans ma personnalité, quand une personne me fait du mal, par exemple, je cherche toujours pourquoi. C’est une question que je me pose à moi-même et aux autres. J’attends que la personne passe sa colère, puis je lui demande pourquoi elle a fait ça, est-ce qu’elle ne m’aime pas ? Et ça change ! » Elle adore faire la cuisine, peu importe les kilos, et dit s’inspirer de sa grand-mère qui préparait toujours de bons plats pour lui faire plaisir ainsi qu’aux autres : « Il y a tellement de manières de donner l’amour, dit-elle, et pour moi, c’est l’émotion qui doit être la plus forte ».

C’est la même vision du monde qu’elle applique dans la préparation de ses spectacles, elle dort bien et pour bien chanter, elle se prépare en elle-même, dans ses sentiments. Pour elle, le travail intérieur est plus important que les vocalises. « Je ne suis pas une femme qui se pose beaucoup de questions, je suis une femme qui se remplit d’émotions qui vont faire sortir les choses. Il faut s’arrêter, bien sûr, mais pour créer ».

De mère en fille la musique

Le chemin a été long, admet-elle. « Je suis fille d’un foyer séparé, mes parents se sont séparés quand j’étais adolescente et ces moments-là ont été très durs pour moi, surtout parce que j’étais l’aînée et que j’avais la responsabilité de tout le monde. Puis, pendant toutes les démarches à l’immigration ici, elle savait que sa mère l’attendait au Vénézuéla. Trois ans sans la voir, c’était beaucoup pour une maman très proche de ses enfants, une mère poule. À un moment donné, Soraya a fait une chanson pour demander des réponses à la vie, ça s’appelle « mère-vie » (2).

Elle considère avoir plus ou moins la voix de sa mère, mais la sienne est plus basse. « Elle m’a élevé avec sa manière de voir la vie et elle peut trouver dans mes mots tout ce qu’elle a perdu. » Ses chansons sont comme une sorte de miroir de l’amour de sa mère. Elle est venue au Québec pour le lancement du premier disque de Soraya, Mujer. « Elle m’a dit qu’elle n’était plus inquiète et qu’elle était tellement heureuse que j’aie trouvé ma joie dans ce pays ! »

Des paroles qui rejoignent

À propos de la création de son disque Mujer, elle dit que dès qu’elle a écrit la première chanson, on lui a dit que c’était beau et clair. « Après ça, j’étais motivée à écrire. Ce n’est pas un poème, ce n’est pas une grande chose, mais cela dit ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Simple, mais avec des paroles qui rejoignent. Il y a aussi le fait qu’il y a des belles voix sur le disque. Mon frère, il a une belle voix, à chaque fois qu’il chante avec moi, ça me fait vraiment quelque chose. »

Les critiques d’ici ont très bien accueilli le disque. Dans le guide des disques, ils lui ont dit que son disque était dans les meilleurs de 2001. « Je savais qu’il y aurait toujours du monde pour mes spectacles, le public ça ne m’inquiétait pas, mais je ne savais pas comment allait réagir la critique pour le disque. » Mais, heureusement, l’accueil a été enthousiaste, comme le confirme Marie-Christine Blais qui parle d’une « voix pure comme un saphir, chatoyante telle un diamant, flamboyante à la manière d’une opale de feu, servie par de beaux arrangements sobres qui lui servent véritablement d’écrin ».

Mujer rassemble onze chansons originales, la plupart en espagnol dont on peut trouver une traduction française dans la pochette. Trois chansons sont en français, Salut Montréal qu’elle a composée en hommage aux Québécois et les émouvantes Tiens-moi et Fission, cette dernière sur un poème de Catherine Laridain, ainsi qu’une très vibrante version espagnole de Les feuilles morte de Prévert. Un disque envoûtant, où la chanteuse a mis le meilleur d’elle-même : sa passion et son espoir.

De son deuxième disque, Vive, se dégage une fois encore un vent de passion et d’énergie heureuse. On retiendra sans doute le poignant Restos de mi, aussi la chanson titre Vive, et l’interprétation en espagnol de Le cœur est un oiseau (Corazon volador) de Richard Desjardins. Sans compter, bien sûr, son sublime Gracias a la vida. Une belle réussite tant sur le plan musical que poétique. En avril 2005, paraît Entre Lineas, retour à l’intimité de l’être avec neuf chansons originales dont Opus pax (3) écrit, en 2003, lors de l’invasion de l’Irak par l’armée états-unienne qu’elle chante avec des enfants. On a droit aussi à une belle interprétation de La bohème d’Aznavour(4).

Avant de se quitter, elle me dit : "Je voudrais être le miroir dans lequel les gens peuvent se retrouver." Soraya est une chanteuse libre et puissante qui a su d’emblée conquérir le Québec avec sa voix si chaude, sa passion profonde et la luminosité joyeuse de son regard.

Notes

1. Mujer, Les productions Âme en Do, 2001.
2. Vive, Les productions Bros et Soraya Benitez, 2002.
3. Lire Opus pax, ici.
3. Entre Lineas, Les productions Bros, 2005.

© Élaine Audet, 2001-2002.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 avril 2005.

Élaine Audet

P.S.

Soraya Benitez fait également partie du spectacle "Voix des Amériques", au Spectrum de Montréal le 6 mai 2005, dans le cadre du premier Rendez-vous international des créatrices en musique.




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