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Garde partagée ou résidence alternée : l’enfant d’abord

22 février 2005

par Jacqueline Phélip

Avant d’aborder un sujet, aussi sensible que douloureux, il est nécessaire d’apporter quelques précisions :

Définition

Une résidence alternée est le passage d’un enfant, d’un foyer à l’autre.
Elle peut se faire à des rythmes variés, et non systématiquement une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre.

Il faut distinguer

Les résidences alternées organisées à l’amiable par les parents (les plus nombreuses) des résidences alternées imposées par des juges aux affaires familiales.
Ce sont ces dernières qui posent le plus de problèmes, et des problèmes graves.

Notre expérience

Après deux ans et demi, environ, d’existence, nous avons reçu plus de huit cents appels de parents.
350 dossiers concernent des enfants de 0 à 9 ou 10 ans.
Tous ces enfants ont été soumis à des rythmes d’alternance inadéquats imposés :

 Quel que soit l’âge de l’enfant
 Quel que soit le conflit parental et la non-communication entre les parents
 Sans tenir compte des violences conjugales
 Sans tenir compte du modus vivendi qui précédait la séparation et sans déterminer celui qui était le principal pourvoyeur de soins
 Sans respect pour le désir profond de l’enfant lorsqu’il est à même de le formuler.

Contexte

Dans 50 à 60% des cas qui nous sont soumis, la séparation est due à des violences conjugales de toute nature : physiques (parfois graves) mais aussi psychologiques, sexuelles, etc.... (nous rejoignons en cela les statistiques canadiennes).
Dans 20% des cas au désintérêt total du conjoint pour la famille et les enfants.
Dans quelques cas( moins de 1%)le père a cherché à évincer la mère dès la naissance de l’enfant.

La résidence alternée paritaire

Dans ce contexte, elle est exigée par les pères le plus souvent :

 Pour se « venger » de la conjointe qui a pris l’initiative de la séparation (aujourd’hui, dans 70 à 75% des cas ce sont les femmes qui demandent la séparation).
 Pour ne pas payer de pension alimentaire.
 Sous la pression des grands parents paternels.

Justice

Nous pouvons observer l’arbitraire auquel sont soumis les enfants en fonction des juges aux affaires familiales dont ils dépendent.

    - Ces derniers n’ont aucune formation sur le développement psychoaffectif des enfants.
    - Certains enlèvent la garde totale de très jeunes enfants à leur mère pour la confier au père sans autre raison qu’idéologique et sans s’assurer que le père s’était investi un minimum auparavant.
    - Ils sont débordés par le nombre de dossiers.
    - Ils n’ont aucun moyen fiable de faire la lumière sur chaque situation familiale (enquêtes sociales ou expertises psychologiques laissent souvent à désirer).

Enfants

Tous ces enfants sont en grande souffrance.

    Les plus petits (de 0 à 3 ou 4 ans)

Ils présentent des symptômes divers et variés, parfois très importants, en fonction de leur sensibilité propre, qui ont été observés et décrits dans la littérature scientifique lors des séparations mère-enfant et dont on sait que les conséquences possibles n’apparaîtront qu’à l’adolescence sous des formes diverses : angoisse flottante, états dépressifs et tentatives de suicide, troubles du comportement, difficulté à s’attacher aux autres de façon profonde et durable etc....

Ils redeviennent fusionnels avec leur mère, alors que dans une situation normale, l’inverse devrait se produire.

    Au-delà et jusqu’à 8- 9-10 ans (selon les situations personnelles)

Ils ont un comportement de mal-être avec repli sur soi, tristesse, dépression, lassitude, grande fatigue, colère agressive etc.

Certains menacent de fuguer ou de se suicider, alors qu’ils n’ont que 7 ou 8 ans.

Conséquences annexes

 Alors même que l’on parle de l’ampleur des violences conjugales, une résidence alternée rend mère et enfants otages de l’agresseur.
 Alors que le chômage sévit, nombre de ces jeunes mères ne peuvent accepter un emploi qui les éloigne du domicile paternel.
 Si la résidence alternée exempte souvent les pères de toute pension alimentaire, ces derniers laissent, dans nombre de cas, la mère payer l’entretien complet de l’enfant et assumer toutes les tâches se rapportant à ce dernier( visites médicales, achats le concernant).

Quelques chiffres et précisions

 Il faut savoir qu’il est quasiment impossible de faire reconnaître à la justice la détresse de ces enfants :
 Les symptômes qu’ils présentent se produisent au domicile maternel (chez le parent, en fait, qui est ressenti par l’enfant comme le plus sécurisant. C’est à-dire la mère dans la majorité des cas).
 Les médecins, pédiatres ou pédopsychiatres, qui examinent ces enfants ne peuvent faire de certificat sous peine de sanctions du Conseil de l’Ordre.
 Les pères, convoqués par ces mêmes médecins refusent de se rendre à la consultation.
 Les statistiques montrent que les pères non divorcés ou séparés passent en moyenne 16 ou 17 minutes par jour à s’occuper de leurs enfants. C’est encore très peu et ne suffit pas à créer un lien suffisamment sécurisé pour avoir leur enfant à mi-temps après la séparation, d’autant que nombre d’entre eux ne changent rien à leur façon de vivre qui précédait cette séparation.
 Ils s’occupent très rarement eux-mêmes des bébés ou très jeunes enfants et ceux-ci sont alors soumis à une succession de pourvoyeurs de soins (ce qui est nocif et même dangereux).
 Les femmes ont des emplois et des salaires le plus souvent inférieurs à ceux des hommes ; ce sont elles qui, majoritairement, quittent leur emploi ou sacrifient une carrière pour se consacrer aux enfants : elles sont donc lourdement pénalisées par des résidences alternées qui exemptent les pères de toute contribution financière, alors même qu’elles sont empêchées de trouver du travail ailleurs que sur place.
 Les jeunes mères d’aujourd’hui, dans leur grande majorité, contrairement à celles de la génération précédente (et contrairement à l’intox à laquelle nous sommes soumis) sont conscientes de l’importance d’un père pour l’enfant.

Elles acceptent volontiers une résidence alternée lorsqu’elles lui font confiance car il s’est impliqué efficacement dans les tâches parentales jusqu’à la séparation.

 Ce ne sont pas les familles monoparentales féminines qui nuisent aux enfants mais l’absence de rôle de père (y compris quand le père est présent) et la grande précarité.
 Une étude de l’INSERM récente dévoile qu’un enfant sur 8 a des troubles de santé mentale
 L’hyperactivité, symptôme qui traduit une lutte contre l’angoisse et la peur de l’abandon a presque doublé en dix ans.
 L’âge des premières tentatives de suicide ne cesse de s’abaisser (on parle de dix ans aujourd’hui).

En conclusion

 Il y a une majorité de bons et même très bons pères. Mais ceux qui exigent leur part égale d’enfant, lorsque ce dernier est encore jeune (alors qu’ils savent les risques qu’ils lui font prendre) ou lorsque l’enfant dit et montre son grand mal-être, et qui répondent : « c’est mon droit » ou « c’est comme ça, un point c’est tout » ont le profil de ceux que décrit M. Berger lorsqu’il les voit en expertise : ce sont des hommes qui imposent leur loi, au lieu de la dire.
 Les nombreux pères qui font appel à nous éprouvent une grande anxiété de l’inconnu que représente l’après séparation, dans le lien qu’ils vont avoir avec leur enfant. Nous leur expliquons qu’en passant en force, ils hypothèquent la qualité de ce lien, alors qu’une progressivité va l’assurer, amenant l’enfant lui-même à demander, peut-être, une résidence alternée paritaire voire le souhait d’aller vivre chez son père. Et dans ces cas-là, de la même façon, l’enfant doit être entendu et respecté.

L’ENFANT D’ABORD

Nous avons créé cette association, à la demande de plusieurs pédopsychiatres, à l’automne 2002.

Jacqueline Phélip, sa présidente, appartient en effet à une famille qui compte plusieurs médecins. Son époux a dirigé un service hospitalo-universitaire et présidé plusieurs sociétés scientifiques et elle a elle-même une formation de sage-femme.

A la suite de la loi de mars 2002, qui octroyaient aux juges aux affaires familiales le pouvoir d’imposer une résidence alternée, un grand nombre d’enfants, des tout bébés pour certains, ont développé différentes pathologies, pour certaines très sévères.

Nous avons été quelques-uns, par ailleurs, à avoir le triste privilège de pouvoir observer les dégâts sur un bébé, à l’époque âgé de 8 ou 9 mois, provoqués par un mode d’hébergement inadapté : sa détresse, son angoisse incommensurable au moment des départs, son visage qui devenait livide, figé, le regard vide (visage de « cire » dit la littérature scientifique, visage de « mort » décrivent les mères). Puis, nous avons assisté à quelques retours : un bébé qui hurlait dès que sa mère disparaissait de sa vue, qui était prostré ou bien jetait tous ses jouets à travers la pièce... etc.

Cette jeune mère saisit la justice pour que les vacances d’été soient au moins fractionnées en petites périodes et non en un mois d’affilée, comme l’exigeait le père. A notre stupéfaction ce fut refusé par le juge.

Cet enfant, à 3 ans, a eu des troubles sphinctériens sévères, à 4 ans des troubles phobiques. Aujourd’hui elle aime son père, mais ne lui fait pas confiance et exprime une forme de rejet.

Notre position charnière entre enfants d’un côté et système judiciaire de l’autre, est riche d’enseignements, que seule cette articulation peut donner.

Jacqueline Phélip, présidente de l’association « L’enfant d’abord »

Site L’enfant d’abord
Courriel

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 février 2005.

Jacqueline Phélip

P.S.

À lire

Jacqueline Phélip, Le Livre noir de la garde alternée, Dunot, Paris, 2006, préface du Dr Maurice Berger, 226 pages.




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