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Cette fois, ce sera non

4 mai 2005

par Yvette Roudy

Dans quelques jours, les socialistes vont devoir dire s’ils approuvent ou non le texte proposant pour l’Europe un nouveau Traité, sorte de règlement intérieur accommodé à la mode libérale que certains appellent "Constitution"...

Une première. C’est la première fois que le Parti Socialiste organise pareille consultation et nous sommes le seul parti européen à le faire.

C’est notre fierté. Est ce une bonne chose ? C’est excellent pour la démocratie. C’est moins bon pour la paix intérieure de notre vieille maison. Gardons à l’esprit qu’au lendemain de la consultation - et
quels que soient les résultats - nous devrons vivre ensemble et préparer un projet de Gauche pour les prochaines élections. Il faudra bien alors retrouver une cohérence.

Soyons clairs. Nous sommes tous des socialistes et nous sommes tous des Européens. Nous savons tous qu’une Europe forte est notre seule chance d’échapper à la colonisation américaine d’un Bush, dominateur, prêchant l’obscurantisme, d’une religiosité intégriste, au service des plus forts, impitoyable pour les plus faibles.

La nature du texte. Cela étant dit on peut poser une première question sur le statut de ce texte. Est ce une Constitution ? Par nature, le pouvoir constituant appartient au peuple, lequel peut le déléguer a une
assemblée constituante. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure.. Certains d’entre nous avaient souhaité que nos nouveaux députés, en arrivant au Parlement Européen, se saisissent du texte, en
discutent, l’amendent, le réécrivent dans le cadre d’une Assemblée constituante et soumettent leur copie à referendum aux 25 pays concernés. Voilà qui aurait été conforme à nos traditions démocratiques. Nous n’avons pas été entendus.

Une élaboration contraire à la démocratie dans sa méthode. Nous avons donc un texte élaboré par 56 représentants des Parlements des Etats membres et candidats, 28 représentants des gouvernements, 16
représentants du parlement européen et 2 représentants de la commission. Mandatés par qui ? Rendant compte devant qui ? Nous n’en savons rien. Au regard de la Démocratie ils n’avaient aucune légitimité pour parler, peser, décider. Pire encore... Trois "personnalités indépendantes" ont été nommées par les représentants des gouvernements. Elles ont joué un rôle déterminant. Sans jamais nous
informer. Récemment. L’ensemble des chefs d’Etats a approuvé ce texte, après de fortes concessions accordées à la Grande Bretagne. Et c’est en fin de course seulement que les peuples enfin sont consultés.

Au moment de Maastricht ou d’Amsterdam nous avions rêvé d’une Europe économique respectueuse des droits des travailleurs. Nous y avons cru. Nous avons fait confiance et nous avons été déçu. On nous dira comme on nous a déjà dit au moment de Maastricht en 92 ou d’Amsterdam "c’est ainsi que l’Europe fonctionne. Votez oui. On fera mieux la prochaine fois". Mais il n’en a rien été. Alors vient un moment où il faut
donner un avertissement. Cette fois ce sera non.

Parce qu’on ne peut - au nom du réalisme - nous demander à nouveau de voter contre nos convictions. Nous l’avons fait plusieurs fois. La dernière fut pour élire à la Présidence de la République un homme
incapable de proposer un projet ambitieux à son pays, qui n’a qu’un souci : échapper aux explications qu’il doit à la justice. A trop de renoncements, nous risquons de perdre notre âme... C’est pourquoi
cette fois ce sera non.

De l’élargissement. Nous avons dit oui à l’élargissement à 25 avec une dizaine de pays à peine sortis de la glaciation soviétique. Il fallait les sauver de l’invasion mafieuse. La majorité de ces pays s’est révélée peu intéressée par notre conception de la démocratie puisqu’ils ont fort peu participé aux élections de leurs députés et qu’ils
suivent plus facilement les conseils des Etats-Unis que ceux de l’Europe. On commence déjà à parler de l’entrée de la Turquie. Demain parlerons-nous du Maghreb, manière d’arrimer la Méditerranée à
l’Europe. Pourquoi pas ? Voilà des pays proches "sollicités" à la fois par la super-puissante Amérique et par des tendances religieuses
musulmanes intégristes. Si nous voulons constituer un bloc européen capable en même temps de tenir tête aux Etats-Unis, et de résister à la pénétration de l’intégrisme islamiste nous devons nous préparer.

Avant d’accueillir de nouveaux pays, nous devons exiger une modifications des institutions européennes. Paraphrasant François Mitterrand et sa
théorie des 3 cercles nous pourrions imaginer : le cercle des fondateurs adhérents à l’euro, celui de la G.B. et des pays nordiques, enfin celui des pays de l’Est, des Balkans et les autres.

De la règle de l’unanimité. La règle de l’unanimité empêchera tout changement en particulier en matière de politique extérieure, de défense, de fiscalité ou de révision du texte. Parce que ce texte est irréversible. Sa révision est impossible. A cela je dirai non.

De la laïcité. L’article 10 de la charte des droits fondamentaux indique que "la liberté de conscience et de religion implique la liberté de manifester sa religion en public et en privé". Nos amis laïques partisans du oui n’y voient aucune menace pour notre laïcité. Ils risquent d’être surpris par l’interprétation qu’en fera la Cour de
Justice des Communautés. A cela, aussi je dirai non.

Le rêve d’Antoine Ernest Sellière réalisé. Parlons d’une phrase de la 3° partie (les politiques et le fonctionnement de l’Union) qui propose d’installer l’Europe économique sur "un marché unique où la
concurrence est libre et non faussée". On comprend que ce texte plaise à Ernest Antoine Seillière, pour qui "cette Constitution est un progrès pour une économie plus flexible, plus productive et pour un
Etat allégé. Elle bénéficiera aux entreprises". (Université d’été du medef 2004). Cette position du patron des patrons se suffirait à elle-même pour justifier le non des socialistes. Avec cette liberté
supplémentaire, l’épouvantail des délocalisations va se transformer en cauchemar. Déjà, c’est chaque jour qu’on apprend qu’ici 40 emplois ont été supprimés au profit de la Chine. Là, 223 vers l’Inde. Là-bas
c’est une entreprise de Rhône-Alpes qui ferme ses ateliers pour en ouvrir en Hongrie. Selon les estimations de "Deloitte Research", d’ici à 2008 plus de 800,000 emplois de col blancs pourraient être transférés vers l’Inde, la Chine ou l’Amérique latine. On parle d’ entreprises "papillons" et d’emplois "kleenex".

En Europe, pour l’instant c’est surtout vers la Slovaquie que vont nos entreprises. On parle de délocaliser la fabrication de 300,000 voitures
avec un smic à 163 euros pas mois. Le rêve pour Ernest AntoineSellieres... Ce que la France, la Grande-Bretagne, l’Europe ont connu au moment de la révolution industrielle du 19° siècle se reconstruit à grande échelle au niveau mondial où l’exploitation de la misère humaine au profit de l’économie de marché ne connaît aucune entrave. Il est temps de dire non. Comme il faut dire non au démantèlement du service public.

Schizophrénie. Enfin comment pouvons-nous dire oui à un texte en totale contradiction avec nos engagements pris à l’issue de notre dernier Congrès, en contradiction avec les thèmes de notre campagne des
Européennes ? Serions-nous devenus schizophrènes ?

L’exemple du nouveau Parlement européen. Il y a quelques jours le nouveau Parlement Européen a su dire non à la commission. C’est une première. Il est vrai que le nouveau Président de la commission, le Portugais José Manuel Boroso, proche de Bush, n’avait pas hésité à octroyer les meilleurs portefeuilles aux petits pays récemment entrés, complètement soumis aux USA, la France et l’Allemagne, pays fondateurs, devant se contenter de portefeuilles de moindre importance. Mais la goutte d’eau qui fit déborder le vase fut la nomination au poste de ministre de la Justice, d’un Italien Démocrate chrétien, Rocco Buttiglione, proche du Pape, connu pour ses positions sexistes et homophobes. Les nouveaux parlementaires viennent de nous montrer la voie. Il y a des moments où il faut savoir dire non pour préserver et préparer l’avenir.

Publié sur le site NONSOCIALISTE.NET, le 11 mai 2005 : « Cette fois ce sera non ! », par Yvette Roudy

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 mai 2005.

Yvette Roudy


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1791 -