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Narco-prostitution de rue et vie de quartier
Environ 150 prostituées tiennent un quartier en otage

3 juin 2005

par L’ARRFM

Mémoire déposé au Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile de la Chambre des communes.



Montréal, le 16 mars 2005

L’Association des résidants et résidantes des Faubourgs de Montréal (ARRFM).

L’ARRFM regroupe deux cents résidants et résidantes des districts de Saint-Jacques (sauf le Vieux-Montréal qui a sa propre association de résidants) et de Sainte-Marie, de l’arrondissement Ville-Marie de la ville de Montréal. Les membres qui sont obligatoirement des résidants et des résidantes sont engagés dans leur quartier au niveau des écoles, des garderies, de l’embellissement des parcs, des rues et des ruelles.

L’ARRFM a été fondée en avril 2000 par des résidants qui se sont élevés à l’hiver 1999-2000 contre le projet pilote de déjudiciarisation de la prostitution de rue tel que proposé par la ville de Montréal pour les districts de Saint-Jacques et de Sainte-Marie.

Ce projet avait été développé par la ville et des groupes communautaires sans consultation des résidants et des commerçants qui ont dû se battre pour obtenir tout au plus des réunions d’informations.

Face à la grogne populaire et à la faiblesse argumentaire de sa justification, la ville a dû le retirer en catastrophe en mars 2000.

Cette expérience constitua une bonne leçon pour les résidants et les résidantes qui se sont donné une voix pour :

 Représenter ses membres aux diverses tribunes publiques : Conseil d’arrondissement, Conseil de ville, Commission de la sécurité publique, Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de Montréal (anciennement Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre), Comité montréalais sur la prostitution de rue adulte, Table d’aménagement du Centre-Sud, Table de concertation du Faubourg Saint-Laurent, etc ;
 Faire reconnaître et valoriser la fonction et le caractère résidentiel du quartier ;
 Identifier les enjeux prioritaires ;
 Proposer des solutions aux problèmes de narco-prostitution de rue, de toxicomanie galopante, de bruit et de circulation qui affligent notre quartier ;
 Proposer et promouvoir les actions favorisant l’amélioration de la qualité de vie résidentielle.

Préambule

 Dans ce mémoire les termes prostituées et narco-prostituées s’appliquent autant aux hommes qu’aux femmes. À notre avis le terme travailleurs du sexe ne fait que banaliser une réalité qui est loin de l’être. Il appartient plus à la langue de bois bureaucratique et est déconnecté du sens commun des termes partagés par la majorité de la population.
 Le contenu de ce mémoire témoigne de l’expérience concrète de résidants et résidantes dans un quartier où sévit intensément le racolage sur le domaine publique pour fin de prostitution. Afin d’illustrer notre propos, nous citons les témoignages de résidants et de résidantes.
 Nous tenons à signaler que ce mémoire se limite au phénomène de la prostitution de rue et de ses impacts dans les quartiers résidentiels.

Quelques observations sur le racolage et la prostitution de rue

 La prostitution de rue dans notre quartier est intimement liée à la vente et à la consommation de drogues dures.
 Le nouveau proxénète est le pusher (ou revendeur de drogue).
 Les résidants et les résidantes victimes de la prostitution de rue (outre les personnes prostituées elles-mêmes) hésitent à porter plainte, craignant les représailles du milieu prostitueur, réputé pour sa violence.
 Il faut tenir compte que, dans une forte proportion, les prostituées de rue sont des toxicomanes et que la vente de stupéfiants est contrôlée par le crime organisé. L’argent gagné par les prostituées ne reste pas longtemps dans leurs mains : 20$ pour une fellation est vite transformé en une dose de cocaïne ou de crack.
 La narco-prostitution de rue a généralement lieu dans les quartiers défavorisés et ce sont donc les personnes les plus démunies qui sont aux prises avec ses impacts.
 La clandestinité ne rend pas la narco-prostitution de rue violente, elle l’est par sa nature même. La rue où elle s’est installée devient violente, le monde de la drogue est violent, le crime organisé est violent et les clients sont violents. Que le racolage sur la rue soit légal ou non, cela ne changera rien à la violence de la narco-prostitution de rue.
 Les narco-prostituées n’hésitent pas à racoler devant les écoles, les garderies, les parcs et les lieux de culte. La prestation de service sexuel se fait trop souvent sur place.

Les impacts du racolage dans un quartier résidentiel

Impacts sur les femmes du quartier et/ou les femmes qui fréquentent le quartier :

 Pour les clients qui entrent dans une zone réputée pour la présence de prostituées de rue, chaque femme est une prostituée potentielle, peu importe sa tenue ou son allure, peu importe l’heure du jour ou de la nuit. Il n’est donc pas possible de sortir dans la rue et de marcher tranquillement, encore moins d’attendre quelqu’un au coin de la rue sans qu’un automobiliste s’arrête et demande « c’est combien ? ». Souvent le client insiste. Si la femme est une jeune fille d’une quinzaine d’années (ou moins), le client s’arrête de la même manière. Un soir, je discutais avec un ami devant chez lui, une voiture s’est arrêtée à notre niveau et le conducteur a demandé : « C’est combien pour la fille ? » (Agnès, mère de famille)
 « Etre une femme dans un quartier où des prostituées racolent signifie marcher vite, baisser la tête, essayer d’être transparente. Quand je circule dans la rue, je fais bien attention de marcher vite et de regarder par terre, je n’ai pas envie de me faire embêter ». (Yolaine).

Impacts sur les enfants et les familles du quartier

 Les enfants qui habitent les quartiers ciblés ou qui les fréquentent voient des jeunes femmes ou des jeunes hommes dans des tenues que l’on pourrait qualifier de pornographiques. Par exemple : sans sous-vêtement et une jupe qui ne couvre pas les fesses, la poitrine exposée, le corps nu « drapé » de lanières de cuir, et même la nudité complète.
 Les enfants se font une idée fausse des rapports homme/femme. « En face des HLM, les petites filles de 12 ans jouent à celle qui va pogner le plus d’autos qui s’arrêtent pour leur demander de monter ». (Linda).
 Les parcs sont jonchés de préservatifs et de seringues, parfois même les enfants y sont interdits de séjour. « Un dimanche matin, j’ai vu le pusherqui était avec 2 filles demander aux enfants qui jouaient dans le parc de déguerpir ». (Réal).
 Même les espaces privés sont touchés. « L’autre jour mon chum sort pour prendre l’auto qui était stationnée sur le côté de la maison, une fille était en train de faire une fellation sur le capot, il a crié et elle a dit « oh ! les nerfs, j’achève !!! » ( Blandine).

Impacts sur la vie économique et la vie de quartier

 Les quartiers aux prises avec la narco-prostitution de rue et le racolage sur le domaine public sont jugés non sécuritaires. Les citoyens ne sont donc pas intéressés à y installer leur famille ou leur commerce. Le développement économique en pâtit donc.
 Plus de 120 commerçants de la rue Ontario (soit la presque totalité des commerces entre la rue Berri et la voie ferrée) ont signé une pétition demandant aux autorités d’intervenir pour faire cesser les activités de vente de stupéfiants et de prostitution sur la rue. « Parfois, je vois des clients qui s’attardent devant la vitrine de mon commerce, une prostituée arrive, l’aborde en lui demandant ce qu’elle peut lui faire. Le client en général se sauve et bien entendu ne rentre pas dans le commerce. » (une commerçante de la rue Ontario).
 Les clients motorisés à la recherche de prostituées de rue tournent sans relâche dans les quartiers cibles jusqu’à ce qu’ils trouvent une prostituée. Ils génèrent ainsi une intense circulation automobile dans des rues résidentielles. Devant le Centre de la petite enfance "La Sourithèque", rue Saint André, tous les matins (sans compter les nuits !), des prostituées racolent alors que les familles, les parents et leurs enfants arrivent. Le panneau arrêt situé devant l’établissement est à peine remarqué. Le carré formé par les rues Saint-André, Robin, Saint-Timothée et Ontario, est idéal pour les véhicules qui tournent en cherchant une prostituée.
 Les actes sexuels ne sont pas consommés entre quatre murs mais dans la rue, les parcs, les véhicules, les ruelles, les entrées charretières, les cours privées… « En plein après midi, mon fils a stationné son auto dans notre stationnement, il n’a pas fait attention qu’il bloquait une automobile stationnée là, lorsque j’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu qu’il y avait au volant un homme en train de se faire faire une fellation. Nous avons appelé la police (une commerçante) ».
 Les jeunes familles quittent le quartier. Les 5 écoles primaires et l’école secondaire voient leur survie menacée. « Maintenant que Y. va à l’école, nous partons de ce quartier, ce n’est plus possible de vivre avec les putes et les prédateurs. En plus on se fait toujours menacer si on les regarde ». (Sylvie).

Faut-il modifier la loi sur le racolage de rue ?

D’après l’expérience vécue dans notre quartier, et le large consensus qui se dégage chez les membres de l’ARRFM, la réponse est NON.

Narco-prostitution de rue et vie de quartier sont incompatibles. De par leur gravité, les impacts du racolage sur la rue et la pratique de la prostitution dans les espaces publics sont incompatibles avec une qualité de vie résidentielle. Il est impossible d’ignorer que narco-prostitution de rue rime avec toxicomanie et avec crime organisé.

Il est, à notre avis, extrêmement ardu, voire impossible, d’organiser le travail des narco-prostituées de rue (secteur délimité, nombre, bonnes pratiques…). En effet, celles-ci sont pour une grande majorité des personnes aux prises avec de graves problèmes de toxicomanie et sont d’ailleurs en général exclues des autres formes de racolage (agences d’escortes, petites annonces, salons de massage…). Ou elles s’en excluent elles-mêmes car cela est trop contraignant.

Ce que nous avons appris de notre participation au Comité montréalais sur la prostitution de rue adulte

Nous partageons les trois axes d’orientations du Plan d’action stratégique montréalais sur la prostitution de rue/adulte adopté par la ville de Montréal et l’agence.

Axe 1 : Amélioration des conditions de vie (matérielles, économiques, sociales) des prostitués-es
Axe 2 : Accès à des soins de santé et à des services sociaux adaptés par la mise en place de continuum de services
Axe 3 : Amélioration de la qualité de vie des quartiers concernés par la prostitution de rue

Les prostituées de rues sont plus des victimes que des criminelles.

Le rôle du crime organisé qui se profile derrière la narco-prostitution de rue est toujours occulté.

Nous croyons que certains organismes communautaires sont voués à la défense des droits des prostitué/es. Ils ne cherchent pas à les aider à se sortir du milieu prostitutionnel.

L’aide à la réinsertion sociale et à la désintoxication est inexistante la plupart du temps.

Les responsables des organismes ne résident pas dans le quartier où se déroule le racolage et la prostitution de rue. Ils ne démontrent pas de sensibilité aux problèmes vécus par les résidants et les résidantes à qui ils ne doivent d’ailleurs aucun compte.

La réduction des méfaits et l’empowerment sont les « buzzwords » des groupes communautaires qui se sont auto-proclamés experts incontestables en matière de prostitution, de toxicomanie et prévention du VIH/SIDA.

Les groupes communautaires ne rendent de compte qu’à leur bailleur de fonds et à leurs membres. La communauté au sens large est ignorée. Chaque groupe communautaire voit ses arbres et ignore la forêt.

Les études, la documentation, et d’une façon générale, la connaissance des caractéristiques de la demande (les clients) de services de prostitution, est quasi inexistante alors qu’elle fait partie intégrante du phénomène.

Il n’existe pas d’organismes et ou de programmes visant à venir en aide aux clients.

Environ cent-cinquante prostituées tiennent notre quartier en otage.

Nos connaissances découlant du projet Cyclope

Le projet Cyclope est un programme que le Service de police de la ville de Montréal a créé suite à l’initiative de résidants qui ont affiché sur des poteaux de téléphone les numéros de plaques d’immatriculation et la description des clients de prostituées.

Le programme consiste à fournir à la police le numéro de plaque, la description du client et du véhicule ainsi que les circonstances de la sollicitation (date, heure, lieu, etc.).

Le service de police valide l’information et communique avec le client pour lui signaler que son geste va à l’encontre de l’article 213 du code criminel, que les résidants sont excédés par ce comportement et qu’il risque l’arrestation ou des problèmes de santé.

Après plus de 1 600 rapports validés, on constate que :

 le taux de récidive des clients contactés est de 1,5% ;
 la provenance des clients est à 95% de l’extérieur du grand Centre-ville ;
 le nombre de clients a considérablement baissé.

Nos connaissances découlant d’autres sources

Les ouvrages de Yolande Geadah, Richard Poulin et Rose Dufour, soulèvent parmi nos membres des questionnements sur la prostitution hors du domaine public.

Selon ces auteurs la prostitution ne relève pas d’un choix personnel.

L’âge d’entrée est d’environ 14 ans.

La prostitution est reliée à la traite des femmes et des enfants.

Réglementer la prostitution (autrement dit : la permettre sous certaines conditions) ne contribue pas à réduire le phénomène, au contraire.

Le trafic des corps ne saurait se comparer au trafic de l’alcool ou des drogues : la marchandise dans le cas de la prostitution, ce sont des femmes et des enfants (de jeunes hommes dans une beaucoup moins grande mesure).

Recommandations

Toute modification aux lois sur le racolage devra permettre :

1) D’améliorer la qualité de vie des résidants des quartiers au prise avec la prostitution de rue ;
2) de réduire la violence des clients envers les prostitués ;
3) de réduire la violence des revendeurs de drogue envers les prostitués ;
4) de contribuer à dissocier le crime organisé de la prostitution ;
5) de réduire l’entrée des mineures dans la prostitution ;
6) de pénaliser les clients.

Le Sous-comité se doit d’examiner de près l’expérience suédoise.

La prostitution de rue est sans doute inévitable, comme le sont plusieurs phénomènes sociaux indésirables. Contribuer à sa mise en valeur et à son organisation est inacceptable.

Mémoire préparé par : François Robillard, Agnès Connat, Marie Gaudrau, René Chabot, Luc Belhomme, Lise Béland, Roland Vallée

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 Site de l’Association des résidants et résidantes des Faubourgs de Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 mai 2005.

L’ARRFM


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