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Propos méprisants et haineux envers des femmes au bar "Chez son père", à Québec

23 août 2005

par Anne-Valérie Lemieux Breton, de Rose du Nord

Lettre de protestation

Québec, le 7 juin 2005

Aux propriétaires du bar Chez son père,

Nous sommes quatre femmes et un homme qui, pour la plupart, fréquentent régulièrement le bar Chez son père, et ce, depuis plusieurs années. Pour certaines d’entres nous, votre établissement est synonyme de bons souvenirs, de fête, de bons temps. Nous apprécions cet endroit pour son atmosphère accueillante et chaleureuse.

Nous vous écrivons cette lettre pour vous faire part de notre indignation. Vendredi soir dernier, le 3 juin 2005, nous nous sommes rendues au bar Chez son père pour fêter l’anniversaire d’une amie. La soirée était bien commencée, nous nous amusions. Vers 1h30, le chansonnier François Leblanc nous a annoncé avoir récrit les paroles du grand classique de Gaston Mandeville, Le vieux du bas du fleuve. Il a souligné que ses paroles en choqueraient sûrement certaines et certains, mais qu’il s’en moquait. Évidemment, il en avait dit assez pour avoir toute l’attention de son auditoire. Voici un extrait des paroles :

C’était une fille du bas du fleuve
Qui s’mettait un peu partout
On l’appelait la charrue neuve
Depuis qu’elle avait quatorze ans
Elle s’est levée un bon matin
Une cicatrice dans l’arrière-train

Anne-Valérie, une femme de notre groupe, indignée devant de tels propos, s’est levée et a dit : « Tu es un esti de cave, ça ne se chante pas des choses comme ça. » Un silence a suivi, la chanson a cessé et le chansonnier François Leblanc a dit à Anne-Valérie : « Tu viens de me confirmer ce que je pense des femmes comme toi. » Il a continué à jouer en ajoutant, presque entre chacune de ses chansons, des commentaires insidieux et dénigrant envers notre groupe : « J’en ai tu frustré d’autres ici, à part celles qu’on sait déjà ? » « Inquiétez-vous pas, j’embrasserai personne de force ce soir. » « J’peux tu finir mon show en paix » « Est-ce qu’on la recommence ? »

Entre-temps, le portier et la gérante Martine sont venuEs nous dire qu’il et elle ne pouvaient tolérer que l’on insulte leur chansonnier. Nous avons tenté de leur expliquer qu’à notre avis il est inadmissible que de tels propos soient véhiculés et tolérés, qu’une cicatrice dans le derrière d’une femme réfère sans équivoque au viol. Nous sommes ensuite restées calmement assises, encore sous le choc de tout ce que nous venions d’entendre et de vivre, jusqu’à ce qu’une d’entre nous se lève pour danser sur une des chansons interprétées par François Leblanc. Ce geste fut interprété comme un manque de respect et de la provocation. Le portier et la gérante nous ont alors ordonné de quitter les lieux dans les cinq minutes, nous demandant de ne plus remettre les pieds au bar Chez son père. Selon les dires de la gérante, nous n’avions pas de sens de l’humour, nous n’avions pas compris que cette chanson était une blague, nous ne devions pas en faire une dépression. Nous avons refusé de partir.

Nous sommes indignées et en colère ! À notre avis, il est inacceptable qu’un bar accepte que soient tenus de tels propos haineux, dégradants et violents envers les femmes. La gérante nous a dit qu’elle avait déjà entendu cette chanson et qu’elle acceptait que François Leblanc la joue. Par conséquent, le bar Chez son père endossait ces paroles. Nous sentons avoir été brimées dans notre dignité par les reproches du portier, de la gérante et du chansonnier que nous jugeons non fondés. Leur attitude était harcelante. Est-ce insulter une personne lorsqu’on se lève pour faire cesser des paroles qui insultent les femmes ? Est-ce manquer d’humour que de refuser de rire lorsqu’on parle de viol, lorsqu’on traite les femmes de charrues ?

À vous, propriétaires du bar Chez son père, nous vous posons deux questions : est-ce que vous cautionnez les propos méprisants et haineux tenus par un chansonnier de votre établissement ? Des moyens seront-ils pris pour que de telles situations ne se reproduisent pas ?

Nous souhaitons connaître vos réactions face aux événements ainsi que les actions qui seront entreprises. Nous attendons votre réponse à l’adresse suivante :
À l’attention de :
Anne-Valérie Lemieux Breton
ROSE du Nord
177, 71e rue Est
Charlesbourg, Québec
G1L 1L4

Anne-Valérie Lemieux Breton, Organisatrice communautaire au Regroupement des femmes sans emploi du Nord de Québec (ROSE du Nord)
Marie-Eve Genest, Intervenante sociale au Centre Femmes d’aujourd’hui
Marie-Ève Duchesne, Coordonnatrice à l’Association pour la défense des droits sociaux de la Rive-Sud (ADDS Rive-Sud)
Jonathan Carmichaël, Coordonnateur à l’Association pour la défense des droits sociaux au Québec métropolitain (ADDS-QM)

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 août 2005

Anne-Valérie Lemieux Breton, de Rose du Nord


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