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Le risque global d’être convertie en marchandise

10 novembre 2005

par Tammy Quintanilla Zapata, avocate

Version électronique d’un article publié dans Alternatives Sud, (vol. XII, n° 3, 2005) qui est paru en septembre sous le titre de Prostitution, la mondialisation incarnée.



    « L’assimilation d’une femme à un objet sexuel concerne toutes les femmes, parce qu’elle porte atteinte à la dignité humaine. Dans cette situation, n’importe quelle femme peut être convertie en marchandise. »

L’économie des capitaux se meut dans un marché où est considéré commercial tout produit ou service qui ne présente pas d’obstacle légal à l’activité mercantile. Il est nécessaire de décréter fermement que la mobilité des capitaux doit s’effectuer dans le cadre d’activités qui n’affectent pas les droits de l’Homme, ce qui signifie une exigence supérieure à celle de la simple légalité.

Le commerce des « services sexuels » est une activité qui s’opère simultanément et conjointement dans les deux domaines, le licite comme l’illicite. L’absence d’une reconnaissance politique des atteintes aux droits de l’Homme qui vont de pair avec le commerce des « services sexuels » donne lieu à sa croissance incontrôlée, à tel point qu’il en est venu à s’appeler « secteur sexuel ».

Objectifs économiques de la dépénalisation du proxénétisme

Une des caractéristiques de sa complexité est la diversité des acteurs impliqués, parmi lesquels ne figure pas seulement la femme livrée à la prostitution, mais aussi le client qui représente la demande, c’est-à-dire celui qui paie pour les « services sexuels ». Aux côtés de ces deux acteurs, il y a également les tiers qui obtiennent un bénéfice économique de ce commerce, à savoir les proxénètes et les souteneurs.

La distinction entre le licite et l’illicite s’opère en fonction de la permissivité existante pour chacun des acteurs. Il y a des pays qui sanctionnent tous les acteurs, comme Puerto Rico, les Etats-Unis et la Chine ; d’autres qui sanctionnent les proxénètes et les clients, comme la Suède et la Finlande, tandis que dans le cas du Pérou on sanctionne les clients d’adolescentes victimes d’exploitation sexuelle, mais pas les clients de prostituées adultes ; et dans de nombreux pays on ne sanctionne que les proxénètes, comme au Brésil et en Angleterre.

Le commerce des « services sexuels » organisé et/ou réalisé selon les paramètres de l’entreprise est étroitement lié au proxénétisme, car il requiert des intermédiaires entre l’offre et la demande. C’est pourquoi il y eut plus d’une tentative de dépénaliser le proxénétisme, dans le but de générer, sans le faire clandestinement, des revenus sur base de l’utilisation sexuelle commerciale des femmes. Cependant, dans les pays où la prostitution est réglementée, le commerce de « services sexuels » réalisé en fonction de paramètres légaux et celui qui s’exerce dans la clandestinité ou hors de tels paramètres coexistent. La différence est que, dans le premier cas, l’administrateur, l’intermédiaire ou l’entrepreneur du commerce a été exempté de la dénomination de proxénète, tandis que dans le second cas cette conduite est délictueuse.

De nombreux intérêts économiques, situés dans différentes parties du monde, ont évalué la magnitude des gains potentiels liés à l’investissement dans le commerce des « services sexuels ». C’est ce qui s’est passé en Catalogne (Espagne), où s’est créée une association spécialisée qui, avant d’investir dans la construction de locaux destinés au commerce sexuel, a obtenu un avis légal favorable.

Le corps des femmes comme marchandise

Avec l’évolution de ce commerce, la marchandise offerte consiste en l’usage sexuel du corps des femmes, considérant que le corps et la sexualité sont intrinsèques à la personne. Cette marchandise est en permanence renouvelée pour pouvoir satisfaire la demande, représentée par les clients. Les femmes sont déplacées entre les locaux ou les rues où se pratique le commerce des « services sexuels », et elles sont amenées à d’autres endroits. Dès lors, le transfert des femmes fait partie du commerce des « services sexuels », donnant lieu à la traite, qui consiste en l’exploitation économique basée sur l’utilisation sexuelle d’une personne sur son lieu d’arrivée.

Moins il y a de considération pour les femmes en tant qu’êtres humains - puisqu’elles constituent la marchandise du commerce des « services sexuels » - moins d’importance revêt pour les propriétaires du commerce la volonté des femmes d’aguicher les clients ; pas plus qu’il n’est intéressant de savoir, pour les clients, si la prostitution exercée par la femme est le résultat d’une décision propre ou non. Les proxénètes ou les propriétaires du commerce savent que celui qui paie pour les « services sexuels » ne fera pas de différence entre une victime de la traite et une femme qui, en principe, ne l’est pas.

La mondialisation provoque la croissance du secteur des « services sexuels » parce qu’il s’agit d’un commerce qui rapporte des millions, sans tenir en compte les atteintes aux droits de l’Homme qu’il suppose. Les limites ont été fixées à la traite sexuelle des adultes et à l’exploitation sexuelle des enfants et des adolescents. Ce n’est cependant pas suffisant parce que dans les deux cas existent d’amples possibilités pour que les victimes tombent dans des pratiques soi-disant volontaires du commerce de « services sexuels », même si elles ont subi des violations graves de leurs droits humains.

Les victimes adolescentes ou enfantines de l’exploitation sexuelle atteignent leur majorité et, ce jour-là, cessent formellement d’être considérées comme des victimes. Elles deviennent des personnes qui font commerce de leur corps, soi-disant selon leur propre volonté et en plein exercice de leur liberté.

La même chose se passe apparemment pour les victimes adultes de traite sexuelle, qui peuvent avoir été trompées sur les conditions dans lesquelles elles allaient se trouver. Cependant, lorsqu’elles prennent conscience de l’exploitation dont elles sont l’objet, elles restent sur les lieux parce qu’elles n’ont pas d’alternative (toutes les victimes de la traite ne sont pas empêchées de s’enfuir). Ainsi, il peut sembler qu’elles exercent la prostitution librement, mais ce n’est pas le cas.

Confusion entre volonté et liberté

Dans les deux cas, il existe une confusion entre la signification de la volonté et celle de la liberté. La volonté en vient à être une acceptation de la réalité dans laquelle les femmes sont immergées, dans une tentative de survivre sans se laisser vaincre par la pratique d’une activité qui génère le rejet à leur égard. La liberté est un droit qui dépend des options dont la personne dispose pour choisir, de sorte que lorsqu’il n’y a pas d’option, il n’y a pas de liberté. La majorité des femmes qui ont été victimes de traite ou d’exploitation sexuelle lors de leur adolescence n’ont pas d’alternatives pour choisir une autre activité que la prostitution. De nombreuses femmes qui exercent actuellement la prostitution ont été l’objet de traite ou d’exploitation sexuelle lors de leur adolescence. En réalité, le changement d’attitude vis-à-vis de l’adversité ne leur enlève pas la qualité de victime.

L’assimilation d’une femme à un objet sexuel concerne toutes les femmes, parce qu’elle porte atteinte à la dignité humaine. Dans cette situation, n’importe quelle femme peut être convertie en marchandise. Les soutiens émotionnels, les ressources socio-économiques et cognitives ainsi que les opportunités de développement personnel sont des éléments absents chez les femmes qui sont utilisées dans la prostitution. Il est nécessaire que la mondialisation garantisse l’accès et la permanence de ces éléments dans la vie de ces personnes. Il faut éviter que la discrimination fasse en sorte qu’existe un contingent humain disponible pour le commerce des services sexuels », où les proxénètes en viennent à être appelés administrateurs, hommes d’affaires et investisseurs.

La réglementation est la porte ouverte vers la dépénalisation du proxénétisme. Elle donne également lieu à la répression et à l’accentuation des risques pour les femmes, parce que la prostitution exercée en-dehors de cette réglementation est poursuivie. Elle place en permanence dans une situation de vulnérabilité les femmes qui, pour ne pas s’exposer à des rencontres avec les autorités, finissent par se soumettre aux proxénètes.

Dans le champ mondial créé par la mondialisation, les Etats doivent être vigilants en matière de protection des droits de l’Homme parce que les forces du marché peuvent gagner, en écrasant des êtres humains au profit du flux des capitaux. En ne prenant pas leurs responsabilités dans la conduite des politiques publiques, les Etats engrangent des ressources économiques provenant de l’exploitation sexuelle commerciale d’adultes et affaiblissent les droits de l’Homme qu’ils sont censés protéger.

Conformément aux engagements pris au sein de la communauté internationale, les Etats doivent réprimer le proxénétisme et ne pas permettre d’échappatoires à ces restrictions. Les politiques doivent être destinées à freiner la demande représentée par les usagers/clients : à long terme grâce à l’éducation, à court terme grâce aux moyens de communication. Il faut également promouvoir des valeurs qui rejettent l’utilisation des femmes comme objets sexuels. Au contraire, ce qui est recherché, c’est l’exercice plein d’une sexualité libre et volontaire, associée au plaisir de chaque personne et sans interférence causée par des transactions commerciales.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 octobre 2005.

Tammy Quintanilla Zapata, avocate


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