source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=202 -



Une rencontre exceptionnelle

16 novembre 2002

par Élaine Audet

Je lui ai donné rendez-vous un midi au restaurant Mazurka, mon quartier général, depuis les années 70. Nous avons passé l’après-midi ensemble. Même si je venais de vivre deux mois plongée dans ses textes, rien ne remplace la présence, en particulier celle de Louise Vandelac, avec sa chaleur, sa passion de rendre le savoir contagieux, son ouverture totale à l’autre, son extrême sensibilité, ses moments de gravité et de tristesse, vite remplacés par l’élan irrésistible qui l’habite.



Nous avons d’abord parlé de ce portrait d’elle à partir de ses textes. Elle me répète que je suis la première à avoir fait un tel travail et que ça lui donne une envie terrible d’écrire les deux ou trois livres qui l’habitent depuis des années. Quand je lui demande ce qui l’en empêche, elle répond : Tout, mais je le ferai ! Elle dit se sentir comme une funambule en équilibre fragile portant à bout de bras toutes les causes qui lui tiennent à cœur sans rien échapper, sans tomber sous le poids. Elle ne peut plus s’arrêter, tout est essentiel, en interaction, urgent. Elle a parfois l’impression de s’éparpiller dans ses mille et une activités, qu’elle compare à des poussières d’étoiles, qui l’entraînent même jusqu’aux épuisantes quêtes de fonds pour financer les divers secteurs de recherche qu’elle initie.

Lorsque je lui demande de me parler de son enfance, de son milieu, elle le fait avec simplicité et précision. Elle est née dans le quartier Villeray, cadette d’une famille de cinq enfants, trois filles, deux garçons. Elle a toujours posé beaucoup de questions auxquelles sa mère, se souvient-elle, prenait soin de répondre le plus exactement possible. Le nom Vandelac est d’origine flamande, Vand’hoolaeghe. Son père administrait pour la succession familiale l’une des plus anciennes tavernes du Vieux-Montréal. Il l’y amenait souvent quand elle était enfant et elle a pu observer très tôt les hauts et les bas des hommes entre eux. On aurait dit parfois, remarque-t-elle, un tableau des vieux maîtres flamands. Sa mère était ménagère et elle a tout donné pour les siens, de là vient probablement, à elle sa fille, le rejet de toutes les formes de mépris, surtout celui dans lequel le travail ménager et la maternité ont été tenus, y compris par certaines franges du mouvement féministe.

Des questions, elle n’a cessé d’en poser, d’hier à aujourd’hui. Ce qui lui a valu, avec 70 autres étudiantEs d’être expulsée de l’école et plus tard du cegep Maisonneuve à la suite de leur grève contre la fermeture des Départements de sciences humaines et d’histoire de l’art. Elle a eu dans sa vie de très grandes peines qui l’ont terrassée, mais aussi de grands bonheurs dont celui de devenir mère en 1991. Elle vit au bord de la rivière des Prairies et peut voir de sa fenêtre les castors bâtir leur abri, ce qui l’a inspirée pour refaçonner leur propre maison.

Elle aime toujours beaucoup la France et y retourne souvent pour ses recherches. Elle se rappelle que lorsqu’elle y vivait, dans les années 70, on se moquait d’elle parce qu’elle trouvait que les Français souriaient toujours, même dans le métro… Elle s’est rendu compte plus tard qu’elle était si heureuse que les gens autour d’elle ne pouvaient s’empêcher de lui rendre son sourire. Je suis certaine que c’est toujours le cas.

Elle dit penser dialectiquement, avoir besoin pour avancer de débattre et de fréquenter tous les milieux. Elle a adoré son expérience cinématographique, tant la réalisation que les discussions avec public lors de la diffusion. On lui a souvent proposé de s’engager en politique et elle n’élimine pas cette possibilité, mais à ses propres conditions. Quand je lui demande si on a déjà essayé de lui barrer la route, elle hoche la tête et dit préférer être mobile plutôt que de laisser la méchanceté ou la mesquinerie avoir prise sur elle !

Dans cette trajectoire marquée par la démesure, il y a une extraordinaire logique dans la façon dont chacun de ses centres d’intérêt engendre le suivant comme si cela allait de soi, lui était dicté par la vie même. Après l’avoir quittée, me reste l’image d’une chercheuse intrépide irrésistiblement attirée par le fond des choses. La parole qu’elle y capte est claire comme de l’eau de roche. Vive comme la pensée en mouvement.


L’Apostrophe, vol. 1, no 2, Automne 2001
Mise en ligne sur Sisyphe le 15 novembre 2002

Élaine Audet

P.S.

  Suite : Louise Vandelac - Premiers engagements




Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=202 -