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Mes "problèmes de sexe" chez le garagiste !

20 décembre 2005

par Johanne St-Amour

Les femmes, peut-être plus particulièrement les féministes - femmes libérées ou en voie de le devenir ou, à tout le moins, informées, conscientisées, responsables de leur devenir, etc. - ont un « problème de Cul » ! Le saviez-vous ? C’est l’impression que je garde de l’article de Francine Pelletier, « Le cul avec un grand C », dans le numéro hors série de La Vie en rose, publié aux éditions du Remue-ménage en septembre 2005. Les femmes se sentent incapables de se voir comme objet sexuel lors de la relation sexuelle, nous dit Madame Pelletier. Elles ont des fantasmes mollassons, banals, stériles - qui ne mouillent pas quoi ! - , leur sensualité s’exprimant au détriment de leur plaisir sexuel, selon Monsieur Philippe Sollers, spécialiste (?) du « Cul au féminin ».

Confrontées à un millénaire « dangereusement sexuel », poursuit l’auteure, la réalité des femmes se vit aux antipodes. D’un côté, des femmes qu’on étouffe sous la burka, d’un autre des « conquérantes et prédatrices sexuelles » comme Madonna, Britney Spears, Nelly Arcan, Catherine M. et les copines de « Sexe à New-York ». Dans la série documentaire « Baise Majesté » qu’elle a réalisée pour la télévision, Francine Pelletier découvrait aussi que la sempiternelle mésestime des femmes s’était frayée un chemin jusque dans les replis du plaisir - inexistant ? - du sexe : elle parle de « la tendance des femmes, quelles que soient leurs aptitudes sexuelles, à se dévaluer ».

La dévalorisation, sexuelle ou non, comme un huard qui tombe en chute libre, côtoie le besoin, presque morbide, des femmes d’être aimées. Rien de nouveau au-dessus, au-dessous, autour et dans les tropiques. Plusieurs recherches le décrient : la plupart des femmes et des jeunes filles manquent de confiance en elles. Si les femmes n’avaient qu’une bataille à livrer, peut-être auraient-elles avantage à se concentrer sur l’estime de soi. Mais reste à savoir comment la confiance permettrait de prendre davantage de pouvoir sur sa vie sexuelle, de vivre un érotisme satisfaisant.

Je comprends très mal l’idée d’amalgamer confiance en soi et « aptitudes sexuelles ». D’ailleurs, quelles sont ces fameuses aptitudes sexuelles qu’il y aurait lieu d’accumuler ou que certaines auraient triomphalement récoltées ? Je suis extrêmement sceptique à l’idée que ma puissance sexuelle s’exprime à travers le développement de compétences acquises. Un peu plus et on instituerait un bulletin d’évaluation ! Ma vie sexuelle se mesure à chacune des expériences intimes que je vis, elle n’engage que moi et n’a aucun rapport avec des talents, des prédispositions ou des habiletés.

À la lecture de cet article, non seulement je demeure sous l’impression d’un reproche adressé aux femmes à cause de leurs « supposés problèmes de sexe » ou de leur « déficit érotique », mais de plus, j’ai l’impression que ce problème requiert les services d’un garagiste tant l’approche m’apparaît d’ordre mécanique ! Sinon, pourquoi se voir à tout prix comme un objet sexuel préférablement à une « personne sexuelle », comme une personne ayant un pouvoir sexuel ? En se confinant dans une image d’« objet sexuel », l’objectif n’est-il pas de tuer le pouvoir sexuel réel de la personne, de la femme ? Surtout qu’un objet étant plutôt statique, il n’a aucun pouvoir d’action. Quel paradoxe chez l’auteure qui désire faire prendre conscience aux femmes de leur sexualité un peu trop "pâle" ! Je soutiens très mal la comparaison avec, par exemple, un vibrateur, un piercing vulvaire ou un gel-succion. Personnellement, je me vis davantage qu’un simple objet sexuel. Je me sens entièrement au coeur même de ma vie sexuelle, je me porte garante de ma jouissance, de mon érotisme, de mon plaisir et du plaisir de l’autre, de la découverte de mes sensations, de la découverte de l’autre, indépendamment de la saison, de l’endroit, de la pratique ou de la position empruntée.

Et pourquoi n’opposer que des images extrêmes de femmes : des femmes voilées, emburkannées versus des femmes dénudées, supposées être libérées sexuellement ? Entre ces deux extrêmes, n’existe-t-il pas des milliers d’images de femmes avec des milliers d’expressions de leur sexualité ? Pour ma part, Catherine M., qui selon ses propos lors d’une entrevue à TV5, « faisait » les parcs à la recherche d’inconnus, qui participait aussi à des soirées orgiaques à Paris et qui privilégiait les relations à partenaires multiples, ne m’inspire pas particulièrement. Je respecte ses désirs... mais j’aime encore mieux les miens. Non plus que Britney Spears, Madonna, Nelly Arcand et les femmes de « Sexe à New-York » ne sont pour moi des modèles de sexualité accomplie.

Faire sensation ne serait-il pas par ailleurs le but du titre accrocheur de cette série ? Concernant Nelly Arcand, je me souviens avoir lu une entrevue dans laquelle elle affirmait que, même très jeune, ses parents étaient à l’affût de la moindre imperfection de son corps. Cette attitude ne serait-elle pas en partie responsable de son besoin avoué, presque maladif, de la séduction ? Ayant joué à fond cette carte jusque dans la prostitution, ne dénonce-t-elle pas l’uniformisation des modèles sensés être représentatifs du désir et la commercialisation de la sexualité ? Pour les modèles à suivre donc, on repassera. Mais, comme pour les « aptitudes sexuelles », mon autonomie sexuelle a-t-elle besoin de modèles, ne puis-je pas me fier à mon intuition, à mes sensations, à mes besoins présents et à mon imagination, aussi « beiges » soient-ils ?

Y a-t-il une quête véritable du bien-être sexuel des femmes dans cet article ou bien l’attrait est-il d’être au diapason du « millénaire sexuel », de la société sexuelle ? Ou plutôt hypersexualisée ! Cet article me fait penser aux propos du sociologue français Daniel Welzer-Lang qui, faisant un bilan des industries du sexe, affirmait qu’il n’y avait pas - encore - « d’infrastructures » pour actualiser la libération sexuelle des femmes ! La sexualité a-t-elle d’autres avenues que des analyses commerciales ? Et si les femmes désiraient vraiment autre chose que des industries du sexe surtout calquées sur le modèle d’exploitation des femmes, sur le modèle du patriarcat, sur le modèle marchand ? Outre le fait de se voir au centre de sa sexualité, il serait intéressant de voir comment les femmes peuvent vivre librement leur sexualité dans une société où on les déshumanise, non seulement à travers la prostitution et la pornographie, mais à travers la publicité et l’image hypersexualisée qu’on leur renvoie et l’implantation d’industries du sexe.

De même, qu’ont en commun le sexe, l’érotisme et l’orgasme, et le viol, l’inceste et autres violences sexuelles ? L’orgasme est-il le but ultime de la sexualité, nonobstant le contexte dans lequel il est atteint, soit dans l’inceste ou dans le viol collectif ? Je comprends le désir des messagères de La Vie en rose « d’outrepasser, de déborder, d’être excessives », mais lorsque Francine Pelletier se réfère à deux jeunes femmes qui disent avoir joui lors de relations incestueuses ou violentes sexuellement, à mon avis, elle vient de manquer un virage dangereux et elle survole le fossé. Est-ce que la jouissance lors d’abus sexuel amoindrit son caractère arbitraire, oppressif, forcé, débridé et barbare ? Va-t-on dénoncer les femmes qui ont joui alors qu’on abusait d’elles, les accusant d’hypocrisie, de dissimulation, de tromperie ? N’est-il pas reconnu que plusieurs victimes d’inceste rechercheront toute leur vie l’amour de leurs parents abusifs, tellement il est difficile de séparer l’abus du lien émotif qui les unit à ceux-ci ? Imaginez si maintenant on se met à valoriser l’orgasme dans l’abus ! Mais devrais-je plutôt dire banaliser l’orgasme. Mais surtout banaliser l’abus.

Quelques dizaines d’entrevues réalisées pour des émissions de télévision autorisent-elles un jugement global et péremptoire sur la sexualité des femmes ? J’accède au désir de l’auteure de vouloir discuter de sexe, tous les sujets sont abordables. Maintenant, il m’apparaîtrait plus respectueux s’il faisait l’objet d’un échange, d’un partage plutôt que d’élaborations de diktats étrangers à soi, à suivre à tout prix. Il y aurait lieu également de démêler les fils de l’écheveau passablement entremêlés qu’elle nous livre : démêler le sexe de la sexualité, de l’érotisme, de son propre pouvoir sexuel, surtout des considérations extérieurs, d’objectivation, d’évaluation d’acquis, de modèles à suivre ou encore de jugements, tel celui de Monsieur Philippe Sollers, sur nos fantasmes « médiocres » : « Un spectacle sur la migration des poissons, ça pourrait être en effet un spectacle érotique féminin », dit-il. Et si ce spectacle me fait gonfler, moi, Monsieur Sollers, qu’est-ce que vous en avez à foutre ? Mais encore plus, démêler tout cela des abus, de l’oppression, de l’industrialisation du sexe, d’une société hypersexualisée et, devrais-je dire, de la mécanisation du sexe.

 « Le cul avec un grand C », Francine Pelletier, La Vie en rose, hors série 2005, pages 96 à 99, septembre 2005.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 novembre 2005

Johanne St-Amour


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