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Élection Canada 2006
Voter ? Mais pour qui ?

23 janvier 2006

par Micheline Carrier

Appelé-es à participer à l’élection d’un nouveau gouvernement au Canada, lundi le 23 janvier, plusieurs Québécois-es se demandent encore pour qui voter. La campagne électorale a pris une tournure inattendue lorsque les sondages ont montré le chef conservateur, Stephen Harper, favori dans les intentions de vote dans l’ensemble du Canada. Le Parti libéral et le Parti conservateur se ressemblent de plus en plus, le Nouveau parti démocratique (NPD) n’a pas beaucoup la cote au Québec, et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Les tiers partis, tel le Parti Vert, sont mal connus parce qu’ils n’ont pas de moyens et n’attirent pas les médias. Il reste le Bloc québécois, pour lequel une bonne partie de l’électorat, motivée avant tout par le désir de servir la cause nationaliste, votera. Le Bloc, on le sait, ne peut être qu’un bon parti d’opposition représentant les intérêts du Québec, car il ne sera jamais un parti de gouvernement. Il demeure parmi les plus progressistes, bien que son audace sur le plan social s’effrite à mesure qu’il prend de l’âge. C’est le parti notamment de Réal Ménard qui suggère d’instaurer des bordels un peu partout dans le pays. Comme progrès social, on a déjà vu mieux.

Pour plusieurs, il est impensable de voter pour le Parti libéral du Canada après le détournement de fonds révélé par le "scandale des commandites" et en raison de l’entêtement de Paul Martin à narguer le Québec et à bafouer les droits des provinces. Mais il est tout aussi impensable de voter pour Stephen Harper, qui promet d’accroître l’influence et la présence de l’armée, menace de restreindre le droit au libre choix en matière d’avortement et se préoccupe de culture comme de sa dernière chemise. Toutefois, l’homme s’est montré habile. Il a su séduire une partie de l’électorat québécois en promettant de résoudre le problème du déséquilibre fiscal et de s’inspirer de René Lévesque pour redresser les moeurs politiques.

Il n’est pas si étonnant, toutefois, que l’électorat québécois se laisse courtiser par les conservateurs. Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, ne cesse de répéter depuis trois ans qu’il faut se débarrasser des libéraux à Ottawa, et Gilles Duceppe est un homme très populaire et écouté. En outre, le chef du PQ, André Boisclair, qui souhaite diriger le prochain gouvernement à Québec, courtise lui aussi les milieux conservateurs depuis la campagne à la direction de son parti, en juin dernier. Syndicalisme, droits des femmes, protection des plus démunis ne pèsent pas lourd dans le discours ni dans la besace d’un homme sans substance et enivré de lui-même dont l’élection à la tête du PQ reflète mieux que tout l’état de ce parti. Le Parti conservateur ne récupérera sans doute pas que les seuls votes fédéralistes généralement acquis au Parti libéral du Québec, mais également une partie du vote nationaliste.

Il faut cesser, en effet, de s’imaginer que l’engagement souverainiste est nécessairement synonyme de progressisme social ou un rempart contre le conservatisme. Il existe des réactionnaires autant chez les souvenairistes que dans les autres tendances politiques au Québec. Le chef péquiste en tête, que j’imagine mal, par exemple, défendre avec conviction et ferveur les valeurs syndicales, l’équité sociale, le libre choix des femmes en matière d’avortement, l’équité salariale. Qu’il courtise l’électorat de l’ADQ n’a rien d’étonnant. Qu’il renie le progressisme social traditionnel du PQ pour s’attirer des votes de droite lors d’un éventuel référendum sur la souveraineté pourrait toutefois lui jouer un vilain tour.

Par ailleurs, si le parti conservateur est élu lundi, il formera probablement un gouvernement minoritaire, ce qui pourrait limiter les dégâts qu’il envisage de faire dans différents domaines. La plupart des décisions politiques majeures doivent obtenir l’appui du Parlement, et Stephen Harper pourrait goûter à la médecine qu’il a servie à Paul Martin lorsque ce dernier dirigeait le précédent gouvernement. Ainsi, s’il veut ouvrir la question de l’avortement, il laissera les député-es conservateurs voter librement et Paul Martin a admis qu’il accorderait la même latitude à ses député-es. À moins que je m’illusionne encore, ce ne sera probablement pas le cas de Layton et de Duceppe, dont les député-es voteront en bloc contre les amendements qui pourraient limiter le droits au libre choix. En outre, comme il serait surprenant que la moitié des député-es libéraux appuient un retour en arrière en matière d’avortement, Harper aurait donc du mal à imposer ses vues. Il en est ainsi sur la question du mariage de personnes de même sexe. Harper a beau vouloir revenir à la définition du mariage traditionnelle - deux personnes de sexe différent. Chef d’un gouvernement minoritaire, il devra tenir compte du vote de l’ensemble de la députation aux Communes et de la décision de la Cour suprême en la matière.

Mais la question qui trotte dans la tête de plusieurs depuis plus d’un mois est la suivante : Avions-nous besoin d’une élection 18 mois après l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire, en plein mois de janvier, et pour en revenir au même point, c’est-à-dire un autre gouvernement minoritaire ?

Le taux de participation au scrutin de lundi nous indiquera ce que l’électorat canadien a répondu à cette question.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 janvier 2006.

Micheline Carrier


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