Pour marquer ce 150e numéro de Prostitution et Société, nous avons choisi, comme une évidence, de donner la parole aux personnes prostituées.
Prostitution et Société n°150
En relisant les témoignages recueillis au long de ces vingt dernières années, on est saisi de vertige.
Dans le dédale des mots, se bousculent les peurs, les dépendances, les violences, tout ce qui constitue, jour après jour, l’enfermement prostitutionnel.
Ces mots suffisent à tracer un univers tissé de souffrances, de silences, d’injustices, signe d’un intolérable mépris de la femme et de l’homme. Tout est dit par ces témoins hors du commun, ces personnes que nul n’entend, dans des moments privilégiés où la parole devient vérité sur le vécu, où le cœur, souvent dans la douleur, se met à battre au rythme de la liberté enfin retrouvée, même si tout reste à construire.
Moments de vérité, sur les espoirs, l’envie de vivre, de rencontrer un amour vrai, une tendresse réelle, de vrais liens de solidarité, envie de croire que tout est possible... Comment ne pas être frappé par les contrastes entre la rapidité de la passe et le lent réapprentissage de la confiance, entre la "reconnaissance" par l’argent et la revalorisation de la personne, entre la vie réduite au présent immédiat et la projection dans l’avenir ?
Lire ce dossier entraîne bien loin de tous les discours de justification de la prostitution qui tissent la pensée commune.
Loin des poncifs sur la prostitution "libre", les éternels "besoins" des hommes, les femmes qui seraient "faites pour ça". Loin surtout du fatalisme écrasant qui paralyse les énergies et empêche le changement.
La parole des personnes prostituées n’a nul besoin de commentaires. Tout est dit. Pourtant, tout reste encore à dire jusqu’à l’avènement d’un monde sans prostitution. Combien de numéros de notre revue, combien de témoignages nous faudra-t-il encore publier avant d’entrevoir ce jour ?
Bernard Lemettre,
Président du Mouvement du Nid
Éditorial de Prostitution et Société, n°150, juillet-septembre 2005
