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Il faut s’attaquer aux mœurs politiques

16 mars 2006

par Groupe Femmes, Politique et Démocratie

Lettre au premier ministre Jean Charest
Pour une démocratie plus représentative

Comment sortir du prisme des partis politiques pour débattre de la représentation de la population à l’Assemblée nationale ? Lorsqu’on est premier ministre, peut-on considérer la question d’un point de vue fondamental, celui d’un démocrate qui s’interroge sur la meilleure manière de rendre plus représentatif le gouvernement qu’il a le mandat de diriger ? Nous pensons que oui, et nous croyons que vous souhaitez faire avancer la démocratie au Québec.

Pour la rendre plus représentative, ce n’est pas surtout la représentativité des partis qui importe, mais bien la représentativité de la population. Mettre l’accent sur la représentation des partis plutôt que sur la représentation de la population, c’est porter attention à ce qui refait surface à chaque élection... peu importe le parti politique au pouvoir. C’est d’ailleurs l’enjeu premier de la consultation en cours sur l’avant-projet modifiant la Loi électorale. Bien sûr, ce choix s’explique. Toutefois, il est bien insuffisant pour faire avancer la démocratie au Québec. Le débat n’est pas le même lorsque l’on discute de représentation de partis politiques et de représentation de la population. Dans le premier cas, on s’attarde au mode de scrutin, tout en sachant qu’il n’y a pas de mode scrutin qui soit bon en soi. Le meilleur est celui qui tend vers un équilibre confortable, pour une société donnée, entre la stabilité gouvernementale et la représentation de la population.

Bien sûr, la question de la représentation de la population est présente dans le débat actuel, mais de façon bien timide. Par exemple, on affirme la nécessité d’une représentation paritaire des hommes et des femmes à l’Assemblée nationale. Cependant, si l’objectif est incontournable, les mesures proposées montrent que l’on n’y croit pas vraiment. L’un des dangers pour les Québécois et les Québécoises, et surtout pour les élu(e)s, c’est de penser que la démocratie québécoise se porte bien parce qu’on est tombé dedans lorsqu’on était petit. La démocratie est fragile. L’histoire récente nous l’enseigne. Nous sommes vigilants lorsqu’il est question des Droits et Libertés de la personne, mais nous oublions que notre démocratie est imparfaite. Avec ses 32% de députées, s’il était listé au palmarès des parlements nationaux de l’Union interparlementaire, le Québec se situerait au 15ième rang pour la représentation des femmes à l’Assemblée nationale. Le Québec est dépassé par les pays scandinaves, bien sûr, mais il se situe aussi derrière plusieurs pays en développement, dont le Rwanda, l’Argentine et le Mozambique. En fait, le Québec sera une démocratie avancée lorsque, à l’Assemblée nationale, les hommes et les femmes y occuperont un nombre égal de sièges. Mais comment parvenir à accélérer l’histoire démocratique de la société québécoise ?

Que peut faire un premier ministre ?

D’abord, reconnaître que l’avant-projet sur la Loi électorale vise, sans plus, à amoindrir la distorsion entre le pourcentage des sièges qu’occupe un parti à l’Assemblée nationale et le pourcentage des votes reçus. Cela, même si les quelques mesures touchant la représentation des femmes peuvent être bonifiées pour influencer les mentalités. D’ailleurs, le document de consultation le dit bien. La présence des femmes à l’Assemblée nationale tient à la culture politique et au mode de sélection des candidats aux élections. Monsieur le premier ministre, lisez plutôt les mœurs politiques s’y prêtent difficilement. Et la question devient : comment rendre les mœurs politiques québécoises suffisamment démocratiques pour que la population y soit représentée dans son essence même ?

C’est bien aux mœurs politiques qu’il faut s’attarder, et le débat actuel, comme la consultation en cours, ne le permet pas. Il faut un débat spécifique. Un débat qui fera ressortir la façon dont opèrent les différents filtres qui existent entre la population et les élu(e)s qui la représentent et cela, à partir de l’intention de faire de la politique en passant par l’entrée effective en politique active à l’élection comme député(e) ou comme chef de parti politique ? Ce débat devrait permettre de lever les tabous touchant, entre autres choses :
 l’attrait pour la politique active et le recrutement dans les partis politiques ;
 le syndrome d’illégitimité des femmes face à des places qui leur seraient réservées pour rattraper le retard ;
 la représentation paritaire des hommes et des femmes qu’on accepte volontiers lors de consultations, mais pas dans un contexte de pouvoir politique ;
 la difficile conciliation famille-travail qui, en fait, touche à la fois les papas et les mamans ;
 la perception des femmes uniquement dans leur rôle familial, comme si, avec une espérance de vie de 82 ans, les femmes ne pouvaient en trouver 20 pour œuvrer en politique active ;
 etc.

Ce débat devrait vous permettre d’identifier les conditions à réunir pour faire avancer la représentation de la population à l’Assemblée nationale et de prendre les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre.

M. le premier ministre, le démarrage d’un tel chantier sur la représentation équitable des femmes à l’Assemblée nationale vous amènerait à convier tous les démocrates de ce pays à améliorer le bien le plus précieux pour une société : la démocratie.

Claire Prévost-Fournier, présidente du Groupe Femmes, Politique et Démocratie
Élaine Hémond, directrice générale
Esther Lapointe, Michel Umbriaco, Natalie Rinfret, Caroline Caron et Louisette Hinton, membres du conseil d’administration.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 mars 2006.

Groupe Femmes, Politique et Démocratie


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