source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2285 -



Le Conseil du statut de la femme ne veut pas d’un débat public

24 mars 2006

par Louise Paquet, Collectif Féminisme et Démocratie

Ce n’est que tout récemment que nous avons appris que le Conseil du statut de la femme avait répondu à notre lettre du 3 février 2006 commentant sa position dans le cadre de la consultation sur la réforme de la Loi électorale et l’invitant à participer à un débat public à ce sujet. En effet, la lettre de la présidente, madame Diane Lavallée, a été placée dans le site du CSF le 1er mars dernier mais aucune réponse ne nous est parvenue, ni par courriel, ni par la poste (1). Voilà tout de même une façon plutôt cavalière de répondre à notre invitation ! Toutefois, madame Lucie Desrochers, rédactrice de l’Avis du CSF sur cette question, nous a fait parvenir un texte pour réagir à nos propos.

Contrairement à ce que disent mesdames Lavallée et Desrochers dans leur lettre respective, le débat soulevé par la prise de position du Conseil ne relève pas du respect du pluralisme des idées dans le mouvement des femmes. S’il s’agissait d’un autre groupe que le CSF, elles auraient raison. Mais il s’agit de l’organisme qui joue un rôle conseil auprès du gouvernement du Québec et dont l’expertise est généralement reconnue. Dans ce cas, nous sommes en droit, il nous semble, de confronter l’analyse, les sources, la méthodologie et les conclusions de cet avis et, qui plus est, de demander des explications, voire de confronter les arguments dans le cadre d’un débat public.

Nous comprenons de la lettre de madame Lavallée que le Conseil ne veut pas d’un débat public sur cette question puisqu’elle affirme : « enfin, nous sommes persuadées que les personnes intéressées au débat en cours ont déjà bien compris notre message et le vôtre, et qu’elles suivent avec attention les opinions des divers groupes portées à l’attention du législateur... Nous avons aussi pleinement confiance en la capacité des femmes et des hommes du Québec à porter un jugement éclairé sur le sujet. »

Elle nous propose plutôt d’aller rencontrer le Conseil lors d’une de ses rencontres et de faire connaître notre position dans le cadre d’une entrevue à paraître dans le numéro d’avril de la Gazette des femmes qui portera sur la question de la représentation politique des femmes. Cette dernière proposition permet d’informer un large auditoire, mais elle ne permet toutefois pas de confronter de part et d’autre les arguments invoqués, ce qu’un débat public aurait permis de faire. Quant à notre présence à une rencontre du CSF pour expliquer notre point de vue, cela n’était pas notre demande. Nous n’avons jamais voulu d’une rencontre privée avec les membres du CSF et nous ne voyons pas ce que cela pourrait donner comme résultat si ce n’est de conclure que nous ne nous entendons pas sur la question.

Une des caractéristiques de la démocratie est certainement la place que l’on accorde au débat et à la confrontation des idées, non seulement sur papier, mais publiquement, afin que le débat puisse éclairer un grand nombre de gens. Il semble que le CSF préfère éviter d’avoir à défendre son point de vue sur la place publique.

Le mode de scrutin

En regard du mode de scrutin, le CSF répète encore que, selon lui, la cause des femmes est mieux défendue dans le cadre du mode de scrutin actuel. Comme chacune sait, il s’agit d’un système basé sur le bipartisme où sont élus des gouvernements forts (majorité des sièges) qui ne représentent jamais la volonté populaire (majorité des voix), mais qui peuvent « faire ce qu’ils veulent » durant leur mandat. Il y a pourtant tant d’exemples de décisions prises par ce genre de gouvernement qui ne sont pas favorables aux femmes (les attaques au droit à la syndicalisation des responsables de services de garde en milieu familial, l’attente de l’équité salariale pour les femmes des secteurs public et parapublic, pour n’en nommer que deux).

De plus, nous rejetons l’argument invoqué par mesdames Lavallée et Desrochers à l’effet que le Québec, s’il était indépendant, figurerait au 14e rang mondial au plan de la représentation des femmes. Si l’on suit cette logique, il faudrait alors considérer tous les États qui ne sont pas des pays indépendants pour établir un nouvel ordre mondial. Par exemple, l’Écosse et le Pays de Galles (qui incidemment ont un mode proportionnel mixte compensatoire) ont déjà respectivement 39,5% et 50% de femmes dans leurs parlements. Le classement international pourrait certainement changer.

Rappelons aussi que le Collectif ne prétend pas que la situation des femmes est améliorée automatiquement avec un mode de scrutin proportionnel, mais que celui-ci facilite la mise en place d’un cadre égalitaire et/ou de mesures positives à l’égard des femmes en raison des listes de candidatures. Ainsi, les listes, si leur composition est encadrée par la loi, permettent d’aller au-delà de la bonne volonté arbitraire des partis politiques ou de leurs chefs.

Les mesures positives

Comme mesdames Lavallée et Desrochers mentionnent que les femmes élues dans le cadre de mesures positives peuvent être discréditées de ce fait, nous voulons préciser que la proposition du Collectif est d’établir l’alternance obligatoire entre les sexes pour les candidatures de listes. Au Collectif, nous croyons qu’il y a autant de femmes que d’hommes compétentEs pour remplir la fonction de députéE ; alors nous ne voyons pas pourquoi les femmes choisies selon cette mesure seraient plus discréditées que les hommes qui le seraient selon cette même mesure puisque le cadre établi est égalitaire. On dirait que le CSF présume de la compétence des hommes en politique !

Madame Lavallée souligne dans sa lettre que « toute mesure qui rendrait « automatique » ce choix (celui d’une femme comme candidate) pourrait être vécue comme une perte de démocratie par les membres, y compris les militantes. » Pourtant, dans son mémoire, le CSF se montrait favorable au « parachutage » de femmes dans des circonscriptions. Voilà certainement une mesure questionnable au plan démocratique !

L’analyse développée par le CSF et répétée encore une fois par mesdames Lavallée et Desrochers s’appuie beaucoup sur les difficultés personnelles vécues par les femmes, telles les contraintes socio-économiques et la conciliation travail-famille. Bien que ces contraintes soient réelles, il faut tout de même reconnaître que toutes les femmes ne sont pas pauvres et n’ont pas de jeunes enfants à leur charge. Alors, si les partis ne réussissent pas à trouver 62 (!) femmes pour porter leurs couleurs comme candidates à une élection, c’est qu’il y a d’autres facteurs qui jouent dans cette situation. Selon nous, ces facteurs sont liés à la culture des partis politiques induite par le système électoral majoritaire (ex : 125 élections individuelles, recherche de candidatEs correspondant au profil dominant, etc.) et à la difficulté d’implanter des mesures positives, même sur une base volontaire, dans le cadre du mode de scrutin actuel.

La discrimination à l’égard des femmes est systémique et les solutions doivent l’être tout autant. À cet égard, la différence entre notre position et celle du CSF est que, pour nous, il doit y avoir des contraintes imposées aux partis politiques pour l’atteinte de l’égalité. Pour le CSF, il faut faire confiance aux partis politiques. Pourtant, ils ont eu 66 ans, depuis l’obtention du droit de vote et d’éligibilité des femmes, pour adopter des mesures structurantes et ne l’ont jamais fait. Pourquoi en serait-il autrement maintenant ?

On peut aussi se demander pourquoi le CSF est prêt à ce que soient versées aux partis politiques des sommes importantes d’argent pour de simples candidatures féminines, même si cela n’assure pas que plus de femmes soient élues. Cette perspective semble défendre les intérêts des partis politiques, mais non ceux des contribuables québécois ! Pour sa part, le CFD exige que les bonifications financières accordées aux partis soient versées pour une performance réelle, soit le pourcentage de femmes élues par chaque formation politique.

Quant à madame Desrochers, elle soutient que, par rapport à cette question, il faut prendre en considération l’opinion des politiciennes, « les premières intéressées ». Et nous qui croyions que les premières personnes intéressées étaient les citoyennes et les citoyens du Québec ! Est-il nécessaire de répéter qu’en matière de réforme électorale les parlementaires sont à la fois « juges et parties » et qu’il n’est pas surprenant que des personnes élues selon les règles électorales actuelles puissent les trouver adéquates. Mais cela ne peut constituer en aucun cas un argument, selon nous.

Enfin, madame Desrochers témoigne d’une méconnaissance des systèmes proportionnels en écrivant : « Le CFD ne croit toutefois pas que la démocratie se résume à ce seul facteur (le pluralisme) parce qu’il préconise un mode de scrutin mixte alors que la proportionnelle intégrale conduirait assurément à une plus grande représentativité. » Les personnes qui connaissent les divers modèles de proportionnelle savent que la proportionnelle mixte compensatoire avec liste nationale (défendue par le CFD) permet d’atteindre autant de proportionnalité que la proportionnelle intégrale en autant que la proportion des sièges allouée à la proportionnelle soit suffisante (40%).

Le dernier point, mais non le moindre, est que le CSF favorise l’équité comme objectif plutôt que l’égalité. Devant la Commission parlementaire, madame Desrochers a d’ailleurs clairement expliqué que le concept d’égalité impliquait l’adoption de mesures contraignantes pour y arriver. Comme le CSF s’est toujours objecté à de telles mesures, nous comprenons alors qu’il se contente du concept d’équité... Mais c’est tout de même renversant !

Pour en savoir plus

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les fondements de l’analyse et les arguments invoqués par le CSF. Nous invitons les personnes qui voudraient en savoir davantage à consulter les autres textes publiés sur cette question dans le site du Collectif et/ou à visionner les témoignages des deux groupes devant la Commission parlementaire sur la Loi électorale. C’est très instructif pour toute personne qui s’intéresse à la représentation politique des femmes et à la réforme électorale.

Louise Paquet
Collectif Féminisme et Démocratie

Le 20 mars 2006

Notes

1. C’est seulement à la suite de la publication de notre dernier bulletin Actualités où nous déplorions être sans nouvelles du CSF que nous avons reçue cette lettre, soit le 14 mars 2006.

Informatipon complémentaire

 Pour prendre connaissance des lettres de Diane Lavallée et de Lucie Desrochers : ici.
 Pour prendre connaissance de l’analyse critique de l’Avis du CSF : ici.
 Pour visionner les auditions du CSF et du CFD devant la Commission parlementaire sur la Loi électorale, voir la journée du 24 janvier 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mars 2006.

Louise Paquet, Collectif Féminisme et Démocratie


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2285 -