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Du calme, Dr Chicoine

4 avril 2006

par Lise Payette, Le Devoir

La recette est connue. Pour écrire un best-seller sans trop se fatiguer, il suffit d’écrire des choses qui vont faire en sorte que les mères vont se sentir coupables. Rien de plus facile. Il faut leur dire qu’elles sont en train de rater l’éducation de leurs enfants dont elles ont la responsabilité et vous avez un succès assuré.

C’est ce qu’a fait le bon docteur Chicoine en deux temps, trois mouvements... soutenu par une femme journaliste qui vient appuyer les affirmations du docteur.

La dernière fois qu’un pédiatre a voulu élever nos enfants à notre place, il s’appelait Spock. Le bon docteur Spock. À la suite de la publication de son livre, nous nous étions toutes senties complètement inadéquates comme mères et surtout coupables d’être de pauvres amateures comparativement au cher docteur.

Il nous a bien fallu une trentaine d’années pour remettre les pendules à l’heure, découvrir que le fameux docteur avait charrié pas mal et reprendre confiance dans le bon sens dont presque toutes les mères sont pourvues d’office.

Et voilà que le bon docteur Chicoine se lance dans la mêlée. Il hurle, gesticule, accuse même, tout ça dans un même souffle.

On se dit qu’une « petite shotte de Ritalin » lui ferait le plus grand bien.

Veut-il sauver les enfants, comme il le dit, ou veut-il vendre son livre ? La question se pose.

Qu’en pensent les femmes ?

Les femmes élèvent des enfants depuis que le monde est monde. Elles les ont élevés dans les cavernes comme dans les châteaux, en temps de paix et en temps de guerre. Elles les ont transportés aux champs et dans les villes, elles les ont élevés quand les écoles n’existaient pas.
Elles ont porté leurs enfants dans leur ventre et sur le dos l’été comme l’hiver. Elles les ont élevés avec ou sans homme, selon les circonstances.

Elles ont peuplé la planète.

Qu’elles en aient raté quelques-uns, c’est bien possible. Mais sur le lot, il me semble qu’on peut dire qu’elles n’ont pas si mal réussi. De nos jours, les femmes ont tendance à dire que c’est moins la quantité de temps qu’elles passent avec leurs enfants qui est importante que la qualité.

Vaut-il mieux une mère fière d’elle-même, satisfaite de s’accomplir comme citoyenne à part entière, tout en ayant les enfants qu’elle désire, ou une mère à plein temps, fière de l’être et entièrement consacrée à ses enfants ?
C’est à chaque femme de répondre. Selon ses choix.

La société doit donc s’organiser de telle sorte qu’une femme puisse exercer ce choix librement. Nous sommes encore loin du compte au Québec, mais il y a eu certains progrès. Nous sommes loin d’une politique familiale cohérente et les revendications continuent.

Nous avançons à petits pas.

Il reste que personne n’a plus d’expérience que les femmes quand il s’agit d’élever des enfants. Même pas le docteur Chicoine.

Pourtant, cette semaine, il a suffi qu’un docteur en médecine se mette à s’énerver et à crier au loup pour que les femmes se sentent coupables de tous les péchés du monde, et particulièrement de négligence envers les enfants. Alors, on se calme tout le monde.

Que le bon docteur vende son livre s’il le veut. Nous, on va continuer d’élever nos enfants comme on l’a toujours fait. En leur expliquant pourquoi on va s’absenter et quand on sera de retour. Et qu’entre-temps, c’est papa ou c’est la gardienne qui va nous remplacer... Pas besoin d’un livre de docteur pour comprendre ça.

Les femmes le font depuis que le monde est monde.

Ce n’est que quand on les fait se sentir coupables qu’elles ne savent plus quoi faire.

Source : Journal de Montréal, le 30 mars 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 avril 2006.

Lise Payette, Le Devoir


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