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Ebadi et d’autres lauréates du prix Nobel contre des frappes nucléaires en Iran

21 avril 2006

par Élaine Audet

La récipiendaire iranienne du prix Nobel de la paix en 2003, Chirine Ebadi, l’Américaine Jody Williams, nobelisée en 1997 pour son action contre l’utilisation de mines anti-personnel, et d’autres lauréates du prix Nobel comme Rigoberta Menchu viennent de dénoncer le recours éventuel à des frappes nucléaires américaines en Iran. Elles veulent faire savoir au monde que les peuples d’Iran et des États-Unis n’appuient pas le recours à la force pour résoudre cette crise. "Nous voulons un monde non-violent où la sécurité des êtres humains est primordiale", écrivent-elles dans leur déclaration (1).

Alors que ces personnalités sont à mettre au point les détails de leur campagne pour la paix, Williams a déclaré : "Nous voulons redéfinir la paix autrement que par l’absence de conflit armé. S’il n’y a pas une justice sociale égale pour tous et toutes, il n’y a pas de paix."

Des dizaines de milliers de victimes en Iran

De son côté, la sénatrice démocrate de Californie, Dianne Feinstein, se demande : "Sommes-nous capables de tirer une leçon de nos erreurs et d’appliquer la fermeté diplomatique plutôt que de nous appuyer encore sur la doctrine d’intervention préventive qui a échoué ?" (2)

Elle se dit très inquiète que l’administration Bush ait réitéré, il y a quelques semaines à peine dans son dernier énoncé sur sa stratégie de sécurité nationale, sa doctrine des frappes préventives. Feinstein souligne qu’on ne peut se fier aux rapports des agences de renseignement qui peuvent se tromper ou être manipulées.

La façon différente dont les États-Unis ont traité la Corée du Nord, qui possédait l’arme nucléaire, et l’Irak, qui en était dépourvu, incite plusieurs pays à vouloir s’en doter en guise d’arme de disuasion. Loin d’empêcher la prolifération nucléaire, la politique agressive des États-Unis a plutôt comme résultat de l’encourager.

La sénatrice dénonce la banalisation des armes nucléaires tactiques comme de simples prolongements des armes traditionnelles. L’utilisation de bombes nucléaires spéciales contre les bunkers souterrains provoquerait la mort de dizaines de milliers, sinon de centaines de milliers de personnes au Moyen-Orient. Qui peut croire que les retombées radioactives seraient minimes ? Une telle inconséquence est terrifiante.

La sénatrice Fernstein recommande donc l’utilisation pacifique de la diplomatie et, s’il le faut, de sanctions internationales contre l’Iran et d’inspections supervisées par les forces des Nations-Unies. Les États-Unis doivent tirer les leçons de leur invasion de l’Irak, dit-elle, et ne pas répéter des erreurs qui auraient pour conséquence la dévastation nucléaire dans cette région.

Une stratégie qui mène à l’impasse

Richard Clark et Steven Simon, respectivement coordonnateur national pour la sécurité et le contre-terrorisme et haut directeur du contre-terrorisme au Conseil national de sécurité des États-Unis, lançaient le 16 avril dans le New York Times (3), un nouveau cri d’alarme face aux intentions belliqueuses de l’administration Bush qui ne peuvent qu’avoir un effet contraire à celui escompté.

Les deux spécialistes de la sécurité, à la suite du journaliste Seymour Hersh dans The New Yorker, s’interrogent sur la pertinence d’envisager des frappes nucléaires sur une douzaine de sites nucléaires, dont plusieurs enfouis un peu partout en Iran. On compte également frapper les bases aériennes, navales, les installations de radar et de missiles afin d’empêcher la riposte iranienne contre la flotte américaine dans le Golfe.

Clark et Simon considèrent qu’une telle intervention américaine entraînerait des conséquences imprévisibles dont des attaques iraniennes éventuelles contre les installations pétrolières du Golfe, des attentats contre des cibles américaines à travers le monde par des commandos terroristes et des kamikazes, des campagnes encore plus meurtrières contre les occupants américains de la part des milices chiites en Irak. Les possibles pertes de vie américaines pousseraient vraisemblablement Bush à autoriser des bombardements plus intensifs contre l’Iran, ce qui aurait pour effet inéluctable de toucher des cibles civiles et de renforcer l’appui au régime islamique contre l’invasion étrangère, comme on l’a vu en Irak.

Les auteurs recommandent une extrême vigilance en rappelant que, en mai 2002, le président Bush avait déclaré n’avoir "aucun plan de guerre sur son bureau", même s’il avait en réalité passé des mois à planifier l’invasion de l’Irak. Ils espèrent que "le Congrès ne permettra pas à l’administration Bush de lancer une autre guerre dont les résultats sont imprévisibles, ou pire, trop prévisibles".

Il faut espérer que l’opinion publique, au Québec et dans le monde entier, exprime haut et fort son opposition à d’éventuelles frappes nucléaires américaines contre l’Iran et sa confiance en une résolution pacifique de ce conflit. Et qu’à l’instar des lauréates du prix Nobel, le mouvement des femmes réaffirme son attachement indéfectible à la paix et sa détermination de lutter pour le désarmement nucléaire complet.

Comment ne pas voir la duplicité des États-Unis qui, sous prétexte d’empêcher la prolifération nucléaire, s’autorisent eux-mêmes à posséder et à développer le plus grand arsenal nucléaire de toute l’histoire et envisageraient froidement d’utiliser des armes nucléaries tactiques contre l’Iran ?

Rien ne peut justifier que l’administration Bush continue à mettre impunément des pays à feu et à sang pour asseoir son hégémonie sur le monde. La violence n’engendre que la violence. Indéfiniment. Seules la conscience et l’action des peuples pourraient enrayer cet engrenage dévastateur et renverser des régimes patriarcaux, exploiteurs, belliqueux, obscurantistes qui mettent en jeu l’avenir de la planète au nom de leurs intérêts mercantiles et de leur fanatisme religieux.

Notes

1. Linda Deutsch, Female Nobel laureates campaign for peace between U.S., Iran, Los Angeles, Star-Telegram, 12 avril 2006.
2. Dianne Fernstein, "Confronting Iran", The Los Angeles Times, 15 avril 2006.
3. Richard Clarke et Steven Simon, "Bombs That Would Backfire", New York Times, 16 avril 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 avril 2006.

Élaine Audet

P.S.

À lire :

 Michel Chossudovski, Préparation d’une guerre nucléaire ?, 3 janvier 2006.

 Jocelyn Coulon, L’Iran dans la mire, La Presse, 12 avril 2006.




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