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La coupe de la honte de football
Un scandale qui en cache d’autres10 juin 2006
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De nos jours, tous les grands événements sportifs internationaux - Jeux olympiques, Coupe du monde de football, courses automobiles de Formule-1 - semblent produire une expansion de la prostitution et, par conséquent, de la traite à des fins de prostitution. Déjà, à Athènes, en 2004, aux derniers Jeux olympiques d’été, la ville s’apprêtait à autoriser 30 nouvelles maisons closes et à assouplir ses règlements afin de permettre la traite à des fins de prostitution de 20 000 femmes pour répondre à l’« accroissement de la demande » attendu pendant l’événement. La mobilisation internationale a mis un terme à ce projet, du moins à son aspect public.
En 2001, à la faveur du Grand Prix de la Formule-1 de Hongrie, pour « bien desservir » les touristes, les autorités ont légalisé la prostitution pendant les trois jours de l’événement. Pendant la course de Formule-1 à Montréal, la « demande » explose et une migration de danseuses nues et de personnes prostituées de tout le pays, et sans doute d’ailleurs, est organisée pour la satisfaire.
La traite des femmes et la Coupe du monde
La presse populaire berlinoise citant des « experts » estime que près de 40 000 femmes pourraient, en juin 2006, être « importées » et mises sur le marché de la prostitution en Allemagne à l’occasion de l’événement sportif. Un rapport du Conseil de l’Europe estime que de 30 000 à 60 000 femmes prostituées supplémentaires sont nécessaires pour répondre à la demande accrue : l’événement devrait attirer plusieurs millions de visiteurs en juin et en juillet. Selon un porte-parole de la police munichoise, il y a 2 000 femmes prostituées dans la ville et ce chiffre pourrait être multiplié par trois pendant la Coupe du monde.
Dans les douze villes où auront lieu des matchs ont été créés des bordels temporaires, des drive-in de sexe, des « cabanes du sexe » ressemblant à des toilettes appelées « cabines de prestation », etc. « Le football et le sexe vont de pair », déclare l’avocat du mégabordel de 3 000 m2, Artemis, pouvant accueillir 650 clients, et construit près du principal stade de la Coupe du Monde à Berlin. Le client prostitueur paie un ticket d’entrée de 70 euros et les femmes prostituées doivent acquitter un droit d’entrée de 50 euros. Selon la loi allemande, le patron d’Artemis n’est qu’un loueur en meublés, non un proxénète. Entre les femmes prostituées et lui, il n’y a qu’un contrat de location.
Dans la pratique, en Allemagne, seuls peuvent être poursuivis les gens qui seraient accusés dans d’autres pays de « proxénétisme aggravé ». Il faut alors qu’il y ait dépôt d’une plainte et démonstration par la victime de la contrainte, de l’usage de la force, des menaces, du chantage, de la fraude ou d’un abus d’autorité. Si c’est à la victime de fournir les preuves, il n’est pas difficile d’imaginer l’énormité des obstacles à laquelle elle fait face en affrontant des réseaux proxénètes organisés et puissants. De plus, les victimes de la traite à des fins de prostitution risquent l’expulsion comme « immigrantes illégales ».
Condamner la prostitution « forcée » !
Dans une résolution, le Conseil de l’Europe a demandé au président de la Fédération internationale de football (FIFA), Joseph Blatter, de condamner la « prostitution forcée ». Des associations et des politiciens ont lancé également une campagne, « Ab pfiff » (« Coup de sifflet final »), contre la traite et la prostitution « forcées », exigeant des clients prostitueurs qu’ils s’informent auprès des personnes prostituées pour savoir si elles sont là volontairement ou non. Joseph Blatter, lui-même, a exhorté les supporters à ne recourir qu’« aux services des volontaires ».
L’alternative offerte au partisan de football, assimilé à un client potentiel, est parfaitement biscornue : prostituée « forcée » (Nein) ou « volontaire » (Ja) !
Pendant ce temps, la mairie de Berlin se prépare à distribuer 100 000 préservatifs et un tract en anglais édictant les dix règles de bonne conduite pour les supporteurs souhaitant se payer une personne prostituée.
L’autre scandale : la banalisation de la traite
L’impact international du scandale a obligé l’État fédéral allemand à retirer une brochure donnant des conseils à de jeunes Ukrainiennes « désireuses d’exercer la prostitution » en Allemagne. Le Guide de voyage pour femmes, publié par un organisme dépendant du ministère fédéral de la Coopération, relève qu’il est possible de travailler légalement comme prostituée en Allemagne en évitant les pièges des passeurs et des proxénètes (tels que définis par la loi allemande). Mais, ajoute-t-il, « cela ne vaut malheureusement que pour celles ayant les autorisations de séjour et de travail nécessaires, par exemple, après un mariage ». La loi allemande permet, en effet, à un citoyen de mettre sur le marché de la prostitution son épouse et de vivre des fruits de sa prostitution*. Il n’est plus un proxénète au sens de la loi, mais un « entrepreneur ». Tout un marché marital avec les « beautés slaves » et les « Asiatiques soumises » a été depuis développé comme moyen légal d’importer des femmes dans le dessein de les prostituer.
Le même guide indique que pour éviter tout souci en entrant en Allemagne, il est préférable d’emprunter ce qu’on appelle la frontière verte, c’est-à-dire les endroits sans poste-frontière. Publié pour la première fois en mars 2005, ce guide a éveillé l’attention du ministère de l’Intérieur, lequel a jugé inopportun qu’une publication officielle encourage la prostitution et la traite peu avant le Mondial.
Devant la frénésie de la demande allemande, le gouvernement de Lettonie a lancé une campagne dont le but est de prévenir les jeunes filles des risques qu’elles courent à accepter des jobs de danseuse, d’hôtesse ou même de baby-sitter en Allemagne.
Légitimation de la prostitution
Depuis la légalisation de la prostitution et du proxénétisme en Allemagne, l’industrie du sexe a connu une croissance exponentielle. En 1998, on estimait à 200 000 le nombre des personnes prostituées, en mars 2006, les autorités du pays affirment qu’il y en a 400 000. Environ 75% d’entre elles sont d’origine étrangère, victimes d’une traite qui est aussi bien légale qu’illégale.
L’actuelle campagne contre la prostitution « forcée » permet de légitimer la prostitution massive au pays, dite « volontaire ». La croissance forcénée de la prostitution dans ce pays met à mal le concept de prostitution « volontaire ». Les centaines de milliers de personnes qui ont opéré ce « choix » avaient-elles la possibilité de décider autrement ? Le scandale n’est peut-être pas là où on croit - la traite de femmes pour cet événement sportif -, mais dans l’acceptation même de la marchandisation du corps de centaines de milliers de femmes pour le plaisir sexuel des hommes, le profit des proxénètes et les revenus en taxes et en impôt de l’un des principaux souteneurs d’Europe, l’État allemand.
* La première source est la loi allemande elle-même (Gesetz zur Regelung der Rechtsverhältnisse der Prostituierten, Prostitutionsgesetz, adoptée le 21 décembre 2001) qui dit clairement que les personnes prostituées sont libres de contracter avec leurs clients et leur proxénète, tout en étant protégées par le droit en cas de problème dans l’exécution du contrat. Le proxénète peut être le mari. La loi refuse la « prostitution forcée », mais pas la prostitution ni certaines formes de proxénétisme. La deuxième source est un mémoire d’Odile François en droit comparé (France et Allemagne) sur la prostitution.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mai 2006.