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France Bonneau : un souffle puissant

19 juin 2006

par Élaine Audet

J’ai assisté, le 11 mai dernier, au beau spectacle de poésie-musique-théâtre, Au bout de l’exil, de la poète France Bonneau, accompagnée de Pauline Tidbury, au violon, et de Jacques Fiore, à l’accordéon, dans une mise en scène très réussie de Martin Mercier.

France Bonneau possède un souffle puissant. Elle a tenu la scène plus d’une heure sans notes, récitant ses poèmes "par coeur". Et du cœur, elle n’en manque pas. Un cœur vaste et sensible qui passe harmonieusement de l’intime au social. Au bout de l’exil, c’est pour elle : "la quête d’identité, l’errance, la peur, la révolte, le rêve, la solidarité humaine, tous ces êtres et ces pays, en nous.".

Nous publions ici un poème de celle que Gaston Miron considérait comme "une artiste poète personnelle et convaincante", dont la "performance constitue à la fois une initiation et un accomplissement poétiques".

Si j’étais immigrante

Si j’étais immigrante
J’aurais pour parler le langage des mots utiles, des "bonjour, comment ça va ?"
Je voudrais dire mais ne dirais rien. La tête haute, je m’en irais vers ma maison,
vers mon îlot de ville. Près des miens, je serais bien. Près d’eux, pas besoin de rien.
Pas besoin de serrer les poings, ...voyez, comme en ce moment.

Si j’étais immigrante, les miens à dire vrai, ne me suffiraient pas.
Je voudrais abolir. La petite vie à la petite semaine, le petit salaire,
la petite peur. Abolir, les yeux baissés, la soumission, l’étroitesse des balcons.

Si j’étais immigrante, je claquerais des dents et je hurlerais, là, sur-le-champ.
Rien ne sortirait, ...voyez, comme en ce moment.
Personne ne m’a pourtant dit de me taire.
Mais quand on vient d’ailleurs, on se ferme simplement.
La tradition est millénaire. On enterre sa gueule sous les boniments.
On fait comme il se doit. Naturellement.

Si j’étais immigrante
Je maudirais le conflit qui s’abat en moi.
Suis-je d’ici, d’ailleurs ou de nulle part ?
Ai-je mon mot à dire ?
À quoi servent les présidents ? Le droit de vote, l’internet et la télévision ?

Si j’étais immigrante, je n’aurais pas le verbe hurlant.
Mais sans crier gare, j’avancerais,
J’avancerais quand même.
Bon sang, mauvais sang !
Voyez, comme en ce moment !

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 mai 2006.

Élaine Audet


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