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L’âge du consentement sexuel à 16 ans : un pis-aller ?

3 juillet 2006

par Richard Poulin, sociologue

Au Canada, le gouvernement conservateur a élaboré un projet de loi rehaussant l’âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans. Selon le ministre de la Justice, Vic Toews, les dispositions du projet de loi ciblent « directement les adultes qui prennent les enfants pour proie ». C’est pour cette raison que le projet inclut une disposition exemptant les partenaires hétérosexuels qui ont moins de cinq ans d’âge d’écart. Les partenaires homosexuels sont, par ailleurs, toujours interdits de relations sexuelles avant 18 ans. Enfin, ce rehaussement de l’âge de consentement n’affecte pas les dispositions définissant le « détournement de mineur » qui interdit à tout adulte qui se trouve dans une position d’autorité d’avoir des relations sexuelles avec un jeune de moins de 18 ans.

Une tendance internationale

Tous sont d’accord pour dire que « l’exploitation sexuelle des enfants » est abominable et qu’elle relève du crime, même si tous n’ont pas la même définition de l’enfant et du crime.

La prise de conscience internationale de l’intensification et de la massification de la prostitution des enfants, de leur traite à des fins de prostitution - estimée à 1,2 million d’enfants, chaque année, par l’Unicef - qui est liée, entre autres, au tourisme sexuel, et leur utilisation accrue dans la pornographie, a engendré des campagnes internationales contre « l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales ». Or, ces campagnes ont souvent le défaut de ne pas cibler la prostitution et la pornographie comme les causes essentielles de cette « exploitation commerciale », mais de restreindre, pour des raisons qui relèvent peut-être de la stratégie mais peut-être aussi de l’acceptation de l’exploitation de la prostitution des adultes, le problème à l’âge du consentement. Elles tentent de convaincre les États nationaux d’imposer l’âge de dix-huit ans comme âge de la majorité sexuelle.

L’âge de la majorité sexuelle se situe actuellement entre douze et dix-sept ans pour les relations hétérosexuelles et entre douze et dix-huit ans pour les relations homosexuelles dans les pays d’Europe. L’âge de consentement hétérosexuel est douze ans au Mexique, treize ans au Japon, seize ans en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Israël. Aux États-Unis, cet âge varie de seize ans (pour vingt-sept États et l’armée) à dix-sept ans (huit États) et à dix-huit ans (quatorze États).

L’âge de l’interdiction de la prostitution des enfants varie entre quatorze et dix-huit ans en Europe. En Roumanie, les prostitueurs peuvent se payer des enfants âgés de quatorze ans. En Russie, au Portugal, en Suisse, en Allemagne et au Royaume-Uni, les prostitueurs peuvent se payer des adolescent-es de seize ans.

Les ambiguités de la question du consentement

Toutes ces campagnes internationales sont animées par une idée fondamentale : la question du consentement ne peut entrer en compte lorsqu’il s’agit de crimes en rapport avec l’exploitation sexuelle des enfants, comme la prostitution, la pornographie et la traite, l’inceste et ce que l’on nomme la « pédophilie », car ils sont préjudiciables au développement de l’enfant et doivent être différenciés des circonstances de la découverte de la sexualité par ce dernier avec un pair. Dans cette perspective, les enfants âgés de moins de moins dix-huit doivent être protégés « contre l’exploitation sexuelle, qu’ils aient ou non donné leur consentement ». Cette position a été inscrite dans la Convention internationale des droits de l’enfant entrée en vigueur en 1990 et dans son protocole additionnel (2000), qui refutent clairement toute notion de consentement lorsqu’il s’agit d’une personne de moins de dix-huit ans impliquée dans des activités prostitutionnelles ou pornographiques.

Limiter le combat contre « l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales » ou non commerciales à la notion de consentement fait pourtant le jeu des réglementaristes pour qui cette notion est fondamentale dans la légitimation même de la prostitution. Les victimes enfantines des industries du sexe atteignent un jour leur majorité et, ce jour-là, elles cessent légalement d’être « exploitées sexuellement » : elles sont désormais, pour nombre d’États, des personnes qui font le commerce de leur corps de façon consentante, en toute liberté, en connaissance de cause.

L’âge de la majorité sexuelle à seize ou dix-huit ans ne remet pas en cause les fondements mêmes de l’« exploitation sexuelle commerciale » - à savoir les industries qui marchandisent les corps et les sexes, adultes et enfants confondus - et réduit grandement l’efficacité des engagements et des politiques mises en œuvre. Cela explique peut-être les insuccès de la lutte internationale contre le tourisme de prostitution.

La situation canadienne

L’âge moyen de l’entrée de la prostitution au Canada est quatorze ans. Quelque 80% des adultes évoluant dans la prostitution ont été prostitués à un âge mineur. On estime à plus de 10 000 le nombre d’enfants dans la prostitution. Vancouver est une destination bien connue des prédateurs sexuels d’enfants, en raison notamment de l’existence du kiddie stroll et du boys’ town, secteurs de la ville où des filles et des garçons aussi jeunes que onze ans sont prostitués. Un rapport du Conseil canadien du développement social publié en janvier 2000 souligne que le Canada est une destination pour les touristes recherchant des relations sexuelles commerciales avec les enfants.

Avec l’explosion de la pédopornographie, de plus en plus de cas d’exploitation sexuelle commerciale et non commerciale d’enfants sont mis en évidence. Déjà, dans les années quatre-vingt, une commission d’enquête gouvernementale, la commission Bagdley, avait estimé à plus de 60 000 le nombre de Canadien-nes d’âge mineur photographiés pour des fins pornographiques. C’était bien avant l’existence d’Internet et toutes les possibilités de commercialisation engendrées par ce moyen de communication.

Même si l’âge du consentement sexuel était porté à dix-huit ans, cela n’éliminerait pas « l’exploitation sexuelle » des enfants, mais peut-être une telle mesure permettrait-elle plus facilement certaines poursuites judiciaires ? Selon l’enquête de Matiada Ngalikpima (L’esclavage sexuel : un défi pour l’Europe, Éditions de Paris, 2005), les différences entre l’âge de la majorité sexuelle, de la majorité légale et celui de l’interdiction de la prostitution des enfants, ou de l’« exploitation sexuelle commerciale » dans certaines législations, rendent complexe et imprécis le fondement des poursuites pénales. Enfin, une récente étude canadienne révélait que les juges sont beaucoup moins sévères envers les agresseurs sexuels qui s’en prennent aux enfants qu’à l’égard de ceux qui agressent des adultes. Seulement 13% des agresseurs d’enfants ont été condamnés à deux ans ou plus d’emprisonnement, contre 30% de ceux qui ont agressé des adultes. Parce qu’il y a moins de violence - souvent l’agresseur est déjà en relation avec l’enfant -, on présume que l’enfant n’a pas subi le même tort, l’utilisation de la violence physique aggravant la sanction.

Pour lutter contre l’exploitation sexuelle, ne serait-il pas avantageux que la loi soit axée sur l’activité des prédateurs sexuels, individus, réseaux comme industries, qu’elle soit commerciale ou non, et non uniquement sur l’âge de consentement ? Pour combattre l’exploitation de la prostitution des enfants ne faudrait-il pas s’attaquer à la cause, la prostitution elle-même, une industrie tout au profit des proxénètes et des prostitueurs ?

 Richard Poulin, professeur de sociologie, Université d’Ottawa, auteur de La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne, 2004 ; Paris, Imago, 2005) et d’>i>Enfances dévastées. 1. Prostitution, Ottawa, L’Interligne, à paraître à l’automne 2006).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 juin 2006

Richard Poulin, sociologue


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