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J’ai rencontré le quinquagénie

8 août 2006

par Michèle Bourgon

L’équipe de Sisyphe m’a offert de rouler une pierre en haut d’une montagne. Je sais aussi que cette pierre va redescendre la pente et que je devrai recommencer sans cesse. Je suis angoissée, mais c’est un peu l’histoire de toute une vie ; de toutes les vies.

J’aurai cinquante-deux ans bientôt. Hé oui, j’ai rencontré le quinquagénie !!!

Quand j’étais toute jeune, j’entendais souvent parler de l’an 2000. Et, sérieusement, je me demandais si je serais encore vivante. Quarante-six ans me semblait tellement immensément vieux, proche de la sénilité. Et là, ça y est ! Un demi-siècle !

Cinquante ans, ce n’est pas rien ! Le moment pour un redrapage de la bedaine, la liposuccion des fesses, le remodelage des seins, le lissage du visage, les injections de Botox, la reconstitution du vagin... Ayoye... Le Grand Oeuvre... Puis, quand c’est arrivé, je me suis dit : « Bof ! le travail est trop grand ». Ça va me coûter la peau des dents. Oups ! Les dents... une autre affaire... Alors, autant m’habituer et m’habiter telle que je suis. Qui m’aime me suive ! Ce qui ne m’empêche pas toutefois de vouloir être belle, coquette, séduisante, mais j’ai compris que vouloir compétitionner avec les jeunes femmes était stérile, idiot et insensé... alors je m’y prends autrement. Une heure pour chaque chose et chaque chose à son heure. J’ai du charme et un peu de chien... Ça plaît à certains.

Cinquante autres années et j’aurai ... cent ans ! C’est vertigineux rien que d’y penser. Que se passera-t-il pendant ces cinquante autres années ? Ça, je ne le sais pas. Ce que je sais par contre, c’est que je me rappelle, parfois avec bonheur, parfois avec peine, les événements que la vie m’a fait traverser. Pas toujours facile, la vie. Mais on s’y accroche, on la mord, on la griffe et on l’embrasse quand elle nous embrase.

Je vais vous surprendre, mais... je m’aime !!! Désolée de vous décevoir. J’ai connu, profité, immensément bénéficié du travail des femmes avant moi. Merci à celles qui se sont battues pour créer les brèches qui font qu’aujourd’hui, le monde change. Merci aux hommes de nous avoir finalement entendues. Attention à vous jeunes femmes de ne pas vous laisser endormir et de croire que la lutte est terminée. On en reparlera...

La Mère Michèle ne porte pas de string sauf pour faire rire Chouchou, pas de soutien-gorge à balconnet, le balcon nécessiterait trop de réparation... je n’ai pas d’anneau dans le nombril, ni de diamant dans le nez. Pas de tatouage non plus. Des cicatrices physiques, des estafilades au cœur par contre... et savez-vous ? Je les aime. Elles m’appartiennent, elles m’ont façonnée. J’ai des rides qui ne sont plus ridules, les paupières légèrement chiffonnées, des cheveux gris au temple de la renommée, un seul poil au menton ( lui, je l’’’aguis") qui se déploie dans les moments les moins opportuns et j’ai... de la gueule. Dans tous les sens du terme... Ce que j’apprécie le plus, c’est que même si je suis physiquement moins conforme aux standards des canons de beauté, j’ai plus confiance en moi. Oh ! Je fus belle jadis et maintenant..., je le suis toujours, mais différemment.

On m’avait pourtant prévenue ; les journaux, les magazines, la télévision : cinquante ans, c’est la mort, la déchéance, la mise au rancart. En plus, je suis une boomer... les zhonnis, les zhaïs, celles dont on a hâte qu’elles fassent de la place. À mort, la vieille !

La journée officielle de mes cinquante ans, je n’ai pas ressenti de tristesse du tout. Mais je m’étais bien entourée. Je m’étais organisée une fête. Moi-même. Hé oui ! Je célébrais l’amitié et l’amour, les joies, les peines avec tous les gens que j’aime, que j’aimais, que j’ai aimés. Certains étaient là, d’autres pas. Chose certaine, les souvenirs, eux, m’enveloppaient. Je n’ai conservé que les meilleurs, les plus doux, les plus chauds. J’ai exorcisé la peur de la cinquantaine. J’ai frotté la bouteille de champagne et le quincagénie est apparu. Hic !

Etre femme à cinquante ans, ça a aussi son côté excitant. J’ai mûri, j’ai de l’expérience, je suis plus rusée, je n’ai plus peur du ridicule (même si je ne le recherche pas). Je sais ce que je ne veux plus même si je ne sais pas encore tout à fait ce que je veux. Clichés ? Oui, mais tellement vrai.

Je suis une femme, fière d’être femme. Féministe par obligation : vaincre l’injustice, permettre aux jeunes femmes de bénéficier d’avantages que je n’ai pas eus. Libre de donner de l’amour, de la joie, du rire, des opinions. C’est ce que je ferai à chaque fois que je viendrai vous rencontrer. Vous ne serez pas toujours d’accord avec moi, je m’en doute bien. Je ne possède pas la Vérité avec un grand V. Mais je vous écouterai, vous respecterai. Une société est formée de différences, de tolérance, d’ouverture. J’essaierai.

Hé oui, y’a la ménopause qui arrive... J’me sens « hot » mais pas de la même façon qu’avant.

J’aborde cette deuxième partie de ma vie avec confiance. J’ai déjà deux années d’expérience et, pour plusieurs raisons, je pense n’avoir jamais été aussi heureuse.

Maintenant que j’ai connu le Quincagénie, j’ai hâte de rencontrer le Sexagénie. Ben quoi... il semble offrir plein d’expériences intéressantes ... Je l’appellerai peut-être le Sexygénie. On verra.

À toutes les femmes qui paniquent à l’idée d’aborder cette nouvelle étape, aimez-vous. Vous êtes belles et fortes de vos échecs comme de vos succès. Vous avez vécu, vous avez aimé, vous avez souffert, mais vous êtes passées au travers. Bravo au Quincagénie !

Oups, la pierre qui redescend la colline !

Bof... pierre qui roule n’amasse pas mousse !!!

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 août 2006.

Michèle Bourgon


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