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Hommage à une figure emblématique de la lutte contre le sida au Burundi

10 septembre 2006

par Françoise Nduwimana


Toronto a accueilli, du 13 au 18 août, le XVIième Congrès International sur le SIDA. Le thème choisi à cette occasion est un appel à la mobilisation et à la solidarité : « Passons aux Actes ». En marge de ce Congrès, la diaspora burundaise vivant en Outaouais a rendu hommage à l’une des participant-es, une femme exceptionnelle qui, rejetant l’étoffe de la victime, est véritablement « passée aux actes », devenant ainsi un symbole mondialement reconnu de la résistance contre le sida.

Jeanne Gapiya-Niyonzima a personnellement été frappée de plein fouet par le sida. Séropositive depuis 21 ans, elle a aussi perdu son premier mari, son fils de 18 mois, sa sœur et son unique frère, tous emportés par le sida. De cette expérience terrifiante, est née une formidable capacité de résilience qui l’a poussée à affronter le sida plutôt qu’à le subir.

En 1995, une époque où le sida était encore un sujet tabou au Burundi, une époque où les malades du sida, particulièrement les femmes, étaient assimilés à la honte, Jeanne fut la première personne à déclarer publiquement sa séropositivité. Elle mit sur pied l’Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et aux Malades du Sida (ANSS), dont le rôle fut déterminant dans la défense des droits des personnes vivant avec le VIH.

En 1999, grâce au partenariat avec l’ONG française SIDACTION, Jeanne mit sur pied le Centre Turiho, qui veut dire en kirundi : nous, personnes vivant avec le VIH, sommes réellement vivantes et déterminées à défendre nos droits. Le Centre Turiho est devenu une référence nationale en matière de soins, de conseils et de traitements contre le sida. Il assure les traitements anti-rétroviraux à environ 1,700 patients. Quand on sait qu’à l’échelle nationale, le nombre total de personnes qui reçoivent ces traitements se situe autour de 5,000, on comprend mieux l’importance de ce centre.

Les orphelins du sida, une tragédie nationale

Le taux de séroprévalence du sida au Burundi est évalué à 11%, ce qui classe ce pays au 16ème rang des pays d’Afrique subsahariens les plus sévèrement affectés par le sida. Cette triste réalité en cache d’autres, car les conséquences du sida dépassent de loin le cadre médical ou clinique ; elles concernent aussi la manière dont la pandémie affecte socialement et économiquement les différentes catégories de la population. La situation des orphelins du sida est, de ce point de vue, une véritable tragédie nationale.

En 2001, ONUSIDA dénombrait 231,000 orphelins du sida au Burundi. Des orphelins dont un nombre considérable vit avec le VIH, des orphelins-mineurs contraints aussi de remplir le rôle de chefs de ménage. D’après le Bureau du PNUD au Burundi, le pourcentage d’enfants âgés de 7 à 14 ans, qui, en 2002, étaient obligés de travailler afin de subvenir un tant soit peu aux besoins de leurs frères et soeurs, s’élevait à 30,6%. Une situation d’une telle ampleur laisse évidemment des marques indélébiles sur les enfants eux-mêmes, mais aussi sur leurs proches, qui assistent, souvent impuissants, au sacrifice d’une génération, le Burundi de demain.

Ayant elle-même vécu avec traumatisme la perte de son fils, ayant été témoin de cette douleur inqualifiable de voir souffrir l’innocence, de voir des enfants naître pour mourir, de voir les enfants rompre dans une extrême brutalité avec l’enfance, Jeanne décida de concentrer ses énergies à la défense des orphelins du sida. Grâce à SIDACTION toujours, elle mit sur pied un projet de prise en charge globale des orphelins qui ont perdu leurs parents à cause du sida. Actuellement, le projet répond aux besoins essentiels de 300 orphelins. Il leur assure frais de scolarité, fourniture scolaire, sécurité alimentaire, habillement, soins de santé, y compris les traitements contre le sida.

Dans un pays pauvre comme le Burundi, prendre en charge trois cents orphelins du sida est un véritable exploit qui mérite d’être souligné. Cependant, cela ne devrait pas faire oublier que dans cette course contre la montre, des milliers d’autres enfants sont sans secours ni assistance. C’est pour accroître le nombre des enfants bénéficiaires mais aussi améliorer leur qualité de vie, qu’il est demandé à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté, d’appuyer cette noble cause que Jeanne défend depuis une décennie.

Un message d’amour et d’espoir aux orphelins du sida

Albert Camus disait que « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Il n’y a pas meilleure phrase pour illustrer notre capacité collective à donner des mains à l’espoir, l’espoir de voir les orphelins du sida réapprendre à sourire, l’espoir de les voir à nouveau mordre dans la vie.

Une enquête effectuée sur les conditions de vie de l’enfant au Burundi (PNUD, 2003) a révélé que moins de 72% des enfants âgés de 0 à 14 ans vivaient avec deux parents. Il ne s’agit pas, comme on peut le voir, d’une proportion insignifiante des enfants, la crise affecte plus de 10% d’entre eux. Mais si grave soit-elle, la crise des orphelins n’est pas une fatalité. Des solutions existent, et Jeanne nous convie à rompre avec l’inaction, en soutenant son projet.

De passage à Paris où elle était invitée le 15 juin dernier à parler des orphelins, Jeanne avait terminé son allocution par un appel. Son témoignage et son appel devraient nous interpeller individuellement et collectivement afin qu’à notre tour, nous passions aux actes : « Mon fils est décédé à une époque où les traitements n’existaient pas encore. Mais combien d’enfants sont morts et meurent encore chaque jour depuis l’introduction des traitements anti-rétroviraux ? Combien d’enfants sont infectés chaque année à l’heure où la science et la technologie permettent de limiter considérablement la transmission du VIH de la mère à l’enfant ? Combien de mères qui, comme moi, éprouvent l’indicible douleur de voir leurs enfants mourir sous leurs yeux sans qu’elles puissent rien faire pour les sauver d’une mort atroce ? Des centaines de milliers au bas mot ! [...] Tous : médecins, chercheur-es, décideur-es, activistes, associations, travailleuses et travailleurs sociaux, nous avons la responsabilité morale de travailler pour rendre le sourire aux enfants de la terre. En aidant les enfants, on reçoit bien plus qu’on ne donne. Aujourd’hui plus qu’hier, il est urgent de nous unir pour les enfants, de nous unir contre le sida. »

En Outaouais, nous avons colporté cet écho, en rendant hommage à Jeanne le samedi 19 août 2006. Véritable transmetteur de vie, Jeanne a entraîné le public venu l’écouter vers la célébration plutôt que le recueillement. Avec elle, nous avons ri, chanté, dansé, joué du tambour ! Sacrée Jeanne, va ! Va pour la vie et l’espoir. Personne n’est capable, autant que toi, de dégager si admirablement, avec tant de fougue, le vivant qui t’habite !

* Le Devoir a publié une version abrégée de ce texte dans son édition du 16 août 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er septembre 2006

Françoise Nduwimana



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