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Femmes et FFM 2006
L’art de vivre et de vieillir

12 septembre 2006

par Lucie Poirier

« Je voudrais que les femmes puissent dire la joie du corps de façon à vieillir sereine et à mourir heureuse. Depuis 55 ans, je milite pour changer le monde et la transformation passe toujours par le désir. » Ces affirmations ont été formulées par Thérèse Clerc, 77 ans, féministe de la première heure, fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil en France et franchement bisexuelle.

Je l’ai rencontrée à Montréal lors du 30e Festival des films du monde. Elle assistait à la première mondiale d’un documentaire auquel elle a participé L’art de vieillir, réalisé par Jean-Luc Raynaud présent lui aussi.

Thérèse m’assurait être tout à fait à l’aise de se déclarer féministe « pour clamer ma liberté de femme ». Aussi, elle m’a suggéré la lecture du livre Femmes qui courent avec les loups de Clara Pinkola Estès.

De plus, elle espère fonder une autre maison, celle des Babayagas. Ce nom désigne une sorcière dans un conte russe et correspond à celui d’une maison de couture qu’elle a eue autrefois. Babayagas accueillera des femmes âgées parce que Thérèse souhaite « ouvrir la voie à n’être plus soumise aux codes sociaux ». Elle se veut « initiatrice à une autre façon de vieillir. En 2050, dans les pays industrialisés, le tiers des gens auront plus de 65 ans. »

Or, la vieillesse, ajoutait Jean-Luc Raynaud, « est un tabou que j’ai essayé de transgresser pour conjurer l’image négative que j’avais de la vieillesse parce que mes parents vieillissaient mal ». Il a proposé son projet de filmer les avantages de la vieillesse, mais personne n’a voulu le financer. C’est donc seul, avec sa petite caméra, qu’il a filmé, en de nombreux gros plans, l’intimité, les occupations, les aveux, les conceptions, les émois, les convictions, les demandes, les rires et les baisers des artistes et aventuriers de la vieillesse. Il a voulu démentir le précepte que la vieillesse est une sagesse pour le remplacer par celui de l’irrévérence.

Qu’il est bon d’entendre dans ce documentaire, Jean, 77 ans, préciser que ses priorités sont « apprendre et aimer. On cesse d’être jeune quand on n’est plus un révolté ». Puis, Régine, 92 ans, qui parle de la grand disponibilité que procure la vieillesse et prend pour modèle une femme dont on dit : « Toujours elle apprenait ».

Et André, 79 ans, enthousiaste parce « la lecture est une source inépuisable de tout ». La vieillesse l’a amené à vivre la sexualité autrement, à « donner du plaisir sans mon pénis ». On retrouve Thérèse qui se décrit : « Je suis une vieille coquette » et qui apprécie la sexualité puisque « c’est une grande authenticité ».

Car on parle de sexe. Sérieusement. Joyeusement. Véritablement. Impuissance, incontinence, c’est ça être vieux. Débarrassé de l’obsession de l’orgasme, plus libre de vivre l’amour, découvrir l’importance de donner, c’est aussi ça être vieux. Le ventre plissé, le sein amputé, c’est ça être vieille. Jouir sous les caresses, profiter d’un massage, organiser des soirées à thème, c’est aussi ça être vieille.

Une répression familiale et sociale prive les mères, les pères, de leur sexualité alors que l’appétit de vivre s’élabore avec le sexe mais, observe Thérèse, « les vieux qui boivent, baisent et inventent dérangent ».

On n’a pas la chance de vieillir en Afghanistan

Mais, tout le monde n’atteint pas la vieillesse en Afghanistan. Pendant des générations de femmes, des envahisseurs guerriers s’y sont succédés. L’évocation des armées contextualise Zolykha’s secret , scénarisé, réalisé et monté par Horace Ahmad Shansab, cinéaste indépendant. Avec minutie, il détaille la calme répétition du travail ménager de la mère, la courageuse opiniâtreté du travail fermier du père et l’inventivité des jeux des enfants habitués déjà à la constance du danger.

Avec ses images soignées, Shansab rend hommage aux humainEs, proclame un hymne à la vie. Mais le Taliban Yusuf surveille, épie, traque ; l’enfant qui vole a la main coupée, le médecin qui s’est occupé de femmes malades est fouetté et le père de Zolikha dans le champ est forcé de rejoindre l’armée.

Yusuf veut épouser la soeur de Zolikha que sa famille refuse de lui céder. Sa convoitise est suprême. Il tire dans le dos du père. Il tue la mère à coups de poing ; c’est un crime personnel, sans l’intermédiaire d’une arme à laquelle la force est déléguée, il s’acharne, pour tuer une femme, il a la rage nécessaire.

Shansab me disait que tous les hommes ne sont pas comme ces Talibans qui traitent les femmes pire que des animaux car pour eux « they are non citizens ». Dans des villages, les femmes ont des droits comme ceux des hommes « and I saw the wife telling the husband what to do ». D’ailleurs, pour nuancer l’image des Afghans, il introduit dans le scénario Mahmud recruté par les Talibans qui, en désaccord avec eux, tente de sauver les enfants.

Shansab proclame la spécificité de son pays jusqu’au moindre insecte qu’il filme longtemps en gros plan, il a la volonté d’un dialogue avec l’Occident et il n’est pas « hopeless », il croît encore à l’ « human spirit ».

La parole occultée dans Ruido

C’est aussi autour d’un personnage féminin qu’a été développé Ruido, issu du cinéma portoricain. Franchi, une adolescente, vit avec sa mère divorcée après avoir surpris son mari en pleins ébats sexuels avec un homme. Le nouveau conjoint de sa mère la convoite sexuellement. Franchi décide de l’empoisonner, il survit. Fin du film. Que manque-t-il à ce scénario rocambolesque, farfelu et néfaste qui se consacre à montrer ce qu’il ne faut pas faire comme si toutes les victimes d’inceste devaient se transformer en empoisonneuses ?

Rappelons pour mémoire qu’en 1676 la marquise de Brinvilliers fut décapitée après avoir empoisonné, entre autres, son père et ses frères qui l’avaient incestuée pendant des années.

Que manque t-il donc au scénario de Ruido ? La proposition aidante, la suggestion qui amorcerait un parcours guérisseur, l’affirmation qui déclencherait le bouleversement de la situation au lieu de maintenir le secret, le danger, la récidive.

Par la parole, une victime se reconstruit en tant qu’humaine, elle inverse la déshumanisation qu’on lui a infligée. Car les mots expriment la subjectivité, la sensibilité, l’écœurement, le refus après la dépersonnalisation.

À travers le dénigrement et l’agression, alors qu’elle est diminuée, chosifiée, maltraitée, par la parole, elle se sauve, elle se donne de la valeur. Elle se réinvestit comme être humainE, et une humaine affirmative, agissante, qui s’oppose aux conceptions de l’autre, qui riposte, qui empêche qu’elle soit entravée par le non-dit.

La parole ne mettrait peut-être pas une limite à l’abuseur, ni n’amènerait la mère à admettre qu’elle choisit très mal ses conjoints en s’interrogeant sur la qualité d’intimité qu’elle partage avec eux mais, par la parole, la victime se donne de l’importance, et c’est déjà contrarier le mépris à son égard dont l’autre est convaincu.

Peut-être sera-t-elle écoutée. Après ce parcours traumatisant, peut-être la mère et la fille pourront-elles réfléchir à la façon dont, pour chacune, s’articulera le désir et l’acceptation du désir suscité chez une personne qui sera digne de confiance.

Un film reste superficiel quand il se limite à la trame événementielle. Le seul aspect valable de ce film, c’est que le réalisateur César Rodriguez n’a pas tourné de scènes ni misogynes ni scabreuses malgré l’occasion qu’il avait de le faire, et c’est quand même une belle rareté !

Lire aussi : « Maintenant, c’est le bonheur », par Lucie Poirier, sur d’autres films présentés au Festival des films du monde, 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 septembre 2006.

Lucie Poirier


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