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Courte-pointe d’un amour infini : Éloïse et Loïse
18 septembre 2006
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Entrons toutes et tous dans le jardin de Loïse Lavallée. Un immense jardin plein de fleurs magnifiques. Ouvrir la porte de ce jardin, c’est aussi ouvrir la porte de son âme. Pour elle, les fleurs et la nature sont synonymes de vie et de pérennité.
Loïse nous amène ensuite dans une petite chambre. Une courte-pointe est exposée sur l’un des murs. Assemblement de carreaux représentant chacun un souvenir du passage sur terre de sa fille Éloïse. Troublant témoignage d’une immense souffrance, certes, mais d’un amour maternel toujours vivant. Sur l’un des carreaux, l’anneau de bébé, sur un autre, son toutou préféré, sur un troisième, un thermomètre, une photo où l’amour et la tendresse sautent aux yeux. Éloïse, petite Éloïse. Une vie frappée par la fatalité.
Il y a quelques années, alors que Loïse fait une promenade avec son fils de trois ans et sa petite fille dans un landau, une conductrice ivre va heurter le carrosse dans lequel Éloïse, sept mois, dort. L’enfant est projetée sur le bitume. Brisée en miettes la petite, mais toujours vivante. Plâtrée des pieds à la tête, elle a tout de même de la chance. Elle survivra, mais des problèmes importants se révéleront plus tard. La maman et son fils seront saufs.
Deux mois passent, le plâtre est trop petit pour la pouponne qui grandit rapidement. On procède au changement. Cette fois-ci, on constate que la chance a abandonné Éloïse. Elle aura des séquelles permanentes au cerveau qui la rendent aveugle, muette et quadraplégique. Toute la famille est bouleversée. On passe par la colère, la révolte et ensuite se distille lentement une indescriptible tristesse. Tout un tsunami d’émotions. Puis, on réapprend à vivre avec cette enfant qui ne sera plus jamais comme les autres. Oh, il y a bien l’espoir de maximiser son potentiel, mais le potentiel est faible.
Le noyau familial se resserre autour d’Éloïse. On la berce, la caresse puisqu’elle a conservé la perception du toucher, on lui chante des berceuses, l’ouïe étant toujours fonctionnelle. Et surtout, on l’enveloppe d’amour. Le coeur, lui aussi, est immensément vivant. On veille sur elle jour et nuit. Éloïse nécessite des soins constants. Elle a entre dix et vingt épisodes de convulsions par jour à cause de l’épilepsie qui s’est développée. Qu’à cela ne tienne, la maman, le papa, le frérot, les parents, les amis sont là. Même si cette enfant est aveugle, il y a dans ses yeux cette lueur, ce désir de vivre perceptible pour qui l’observe à tous les instants. Cette esquisse de sourire quand on chante ou qu’on lui caresse le bras. Éloïse file le cours du temps, mais pour elle, le temps court même si l’amour des siens ne faillit jamais.
Vers l’âge de dix ans, elle souffre d’une scoliose sévère. Elle pleure souvent, elle a mal. À ses douleurs s’ajoutent toujours ces crises d’épilepsie qui la secouent continuellement. Qu’à cela ne tienne, on la serre très fort, on la couvre de petits baisers pour qu’elle sache, qu’elle sente qu’elle n’est pas seule. Pour qu’elle ressente tout l’amour qu’on a pour elle. Puis, peu à peu, la lueur dans les yeux d’Éloïse devient minuscule étincelle, puis s’éteint. Éloïse souffre trop. Elle n’en peut plus.
Les médecins convoquent les parents pour leur proposer une opération nécessaire à la survie de la jeune fille : on devra lui poser une longue tige dans la colonne vertébrale pour la redresser afin d’oxygéner ses poumons. On insiste aussi pour faire un trou dans son estomac afin de la gaver puisqu’elle a perdu le réflexe de la déglutition.
Consternés devant les douleurs de leur enfant, les parents refusent les traitements. On les met en garde : leur fille va mourir. Ils le savent, l’admettent et choisissent pour elle, avec elle. Eloïse leur transmet sa grande fatigue, son usure. La vie d’Éloïse est devenue trop pénible. Onze mois plus tard, Éloïse mourra d’une pneumonie entourée de sa famille, à la maison, dans les bras de sa mère. On lui murmure des mots tendres, on lui permet de partir en paix, de partir vers la paix, vers l’infini.Dans les semaines, les mois qui vont suivre, on croira peut-être que la famille est soulagée. Hélas, non. Éloïse rassemblait à son chevet tout le noyau familial ; maintenant qu’elle n’est plus là, on est désemparés, on ne sait pas vivre sans elle. Le silence est assourdissant, l’absence intolérable. La cellule familiale éclate. Autre deuil.
Loïse Lavallée, la maman, écrira un livre, Éloïse, poste restante, lettres à une enfant disparue, qui témoigne de l’infinie tendresse d’une mère pour sa fille. Ces lettres parlent de douleur, de perte, de deuil, mais aussi d’amour et de vie.
Loïse Lavalée est devenue auteure. La poésie est un baume, une façon d’exorciser la douleur, de perpétuer le souvenir.
Vous trouverez ici la liste des écrits de Loïse Lavallée. Son livre Éloïse, poste restante s’est vendu à plus de 7,000 exemplaires.
Loïse travaille aussi à la préparation de livres pour enfants. Du Yoga avec Om’a à paraître prochainement et Om’a en ski qui est sur sa table de travail. Un recueil de poésie dont le thème est le passage du temps est aussi en préparation.
Robert Latimer
En aparté, Loïse nous parle de Robert Latimer dont l’histoire la préoccupe toujours.
Il s’agit de cet homme de la Saskatchewan qui, par compassion, a mis fin aux souffrances de sa fille. On l’a presque tous et toutes oublié. Pas Loïse qui correspond régulièrement avec lui. Il est en prison depuis six ans. Condamné à la réclusion à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant un minimum de dix ans d’incarcération. Sa petite fille, aussi lourdement handicapée qu’Éloïse, a dû subir les interventions décrites plus haut. Les médecins, investis de leur pouvoir de vie et de mort, ont imposé à Tracy et, par ricochet, à toute sa famille, toutes les opérations nécessaires à sa survie.
L’enfant a souffert plus qu’il n’est possible de le décrire. Les parents ont assisté, impuissants, au martyre de leur enfant. Le système médical s’est acharné contre la volonté des parents, et le papa a décidé de mettre fin au calvaire de son enfant.
Criminaliser Robert Latimer est-il une solution qui satisfait l’opinion publique ? Il paie pour un geste d’amour que beaucoup d’entre nous n’aurions jamais eu le courage de poser. La Cour suprême du Canada a tranché contre lui. Des groupes religieux craignaient que tous les parents des enfants handicapés ne les tuent avec l’assentiment de la société. Allons donc ! Quand on aime comme on aime un enfant, quand on l’a soigné pendant des années, est-il possible de vouloir s’en « débarrasser » par pur égoïsme ? N’est-il pas temps de militer encore en faveur de la libération de monsieur Latimer ? Ne peut-on comprendre son geste, même s’il est criminel ? N’a-t-il pas assez payé et sa famille aussi ?Quand on pense à tous ces malfaiteurs qui ont tué délibérément, qui ont torturé, violé, détruit la vie d’innocents et qui reçoivent des sentences plus clémentes, est-il vraisemblable de penser que Robert Latimer représente une menace pour la société ? Cela paraît immoral. Pourtant, certains diront que Dieu seul peut décider. Et si Dieu n’avait pas cette méchanceté, si Dieu ne jugeait pas puisqu’on dit qu’il est Amour ? Et si Dieu n’existait pas ? Et si l’Amour était plus fort que tout ? Et si Dieu était Amour ?
Le débat est encore ouvert et restera ouvert tant que la société ne prendra pas ses responsabilités devant une technologie, un acharnement des disciples d’Esculape, des principes religieux incompréhensibles qui gardent des gens en vie contre toute forme d’humanité, de compréhension.
Voilà aussi sur le tapis tout le débat sur l’euthanasie. Réfléchissons d’abord sur l’euthanasie par compassion. Essayons de comprendre, de nous mettre à la place de ceux qui souffrent, de ceux qui aiment. Essayons donc d’aimer comme eux. Soyons tolérants.Des liens internet intéressants
Vous trouverez sous ce lien le discours que Loïse Lavallée a prononcé en français à la Cour suprême du Canada, de même que celui de son ex-mari Christopher Stone, en anglais. Vous pourrez aussi soutenir la libération de monsieur Latimer et lui écrire. robertlatimer.ca.
On peut lire des articles relatant les événements entourant l’histoire de Robert Latimer.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 septembre 2006