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Des arguments de poids...

7 octobre 2006

par Michèle Bourgon

Comme tout le monde, j’ai des cousins. Une multitude de cousins. Germains et de plus loin. Des hommes, des vrais, aux expressions viriles, des mâles absolus. Tout le long de mon adolescence, j’ai cru percevoir dans leur œil allumé la fierté familiale quand ils me voyaient. J’étais jeune et belle. Très mince surtout. « C’est ma cousine », disaient-ils aux autres hommes avec un certain sentiment d’appartenance et de fierté génétique.

Nous avons tous vieilli, hélas. Mes cousins aussi. Dégarnis du coco, bedonnants, ils sont quand même restés les cousins que j’aime. Des hommes de mon sang. Ils sont loin d’être roses. Pas noirs non plus, non. Plutôt grisâtres. Pour eux, la femme se mesure à son équilibre pondéral. Ils viennent du Moyen Âge, les cousins ? Non, malheureusement non. Les cousins, tous les cousins* de l’Amérique et de l’Europe sont encouragés par les magazines, la télévision, la publicité, les mannequins, les couturiers, Élizabeth Hurley et cie. Elle vient d’affirmer que, si jamais, elle devenait grosse comme Marilyn Monroe, elle se suiciderait. Rien de moins... C’est un cousin, elle aussi, mais je ne l’aime pas.

Combien de fois, lors de réunions de famille, entourée de ma parentelle masculine, les premières paroles que j’entendais étaient : « T’as donc ben engraissé ! » Bel accueil ! Je souriais, tout de même un peu crispée et un brin déçue. La conversation s’arrêtait souvent là. Moins mince, moins intéressante, en déduisais-je. Ridicule ! Ce que je faisais, ce que je vivais ne les intéressait pas le moins du monde. Ils m’évaluaient à mon pesant...de gras. Chairs cousins !

Lors de funérailles, de mariages ou de fêtes familiales, je les entendais mâlement chuchoter : « Cé tu d’valeur, telle cousine a engraissé... Elle n’a pas fait attention à elle..., son mari untel doit être ben déçu... » En moi, je sentais poindre une légère révolte du genre : « Aïe, les cousines, exterminons tous les cousins jusqu’au dernier ou encore mieux, cessons de cuisiner. De cette façon, tout le monde jeûnera et sera beau, donc intéressant ». Sophisme, bien sûr. Ces femmes, mes charmantes cousines, avaient toutes eu plusieurs enfants, les avaient bien élevés, avaient aidé leur mari dans leurs entreprises, avaient collaboré au succès familial et surtout, surtout, surtout aucune de mes cousines n’était obèse. Nous avons juste vieilli et nous avons profité de la vie, comme les cousins d’ailleurs.

Récemment, l’un d’eux a demandé le divorce. Raison "familialement" évoquée : « Ma femme a pris trop de poids. C’est de valeur, mais j’en peux plus ». La femme du cousin doit bien peser un immense 145 livres, et trois enfants. Une éléphante, quoi !

Ben là, mon p’tit cousin, ta grande cousine va te dire une chose : Je t’aime beaucoup, mais t’es idiot. Le message d’ailleurs s’adresse à tous les frères, les cousins, les maris, les zommes qui pensent comme lui, femmes incluses.

On nous demande à nous, les femmes, d’être parfaites, de susciter constamment le désir, d’être Pénelope Cruz, Marylin Monroe et Paris Hilton (ouach) en même temps. Oh ! bien sûr, juste pour vous ; surtout pas pour les autres. Coudonc, vous devez envier certaines pratiques qui imposent le voile aux femmes... On nous demande de n’être jamais fatiguées, jamais bougonneuses, jamais ridées, jamais grassettes. On nous demande de travailler, mais de ne pas négliger la maison, ni les enfants, ni le mari. On nous demande d’être la mère et la putain et de changer de personnalité sexuelle de temps à autre. De mettre une perruque blonde un soir, des talons aiguilles un autre soir, des G-strings, des jeans moulants, des soutiens-gorge pigeonnants. Bref, d’être des Barbies efficaces.

Et vous, vous a-t-on déjà reproché de prendre de la bedaine ? Vous a-t-on déjà demandé de porter des derrières rembourrés ? Certaines femmes le font et portent même un soutien-gorge qui fait boum quand par malheur, il leur glisse des mains. Parce qu’on nous veut belles, parfaitement proportionnées. Pas trop grosses ni trop maigres. Juste parfaites. Hélas, des femmes meurent du désir de perfection de certains hommes. Elles meurent aussi, faut-il le dire, de leur propre désir d’être comme le mannequin du magazine. Pourquoi ? Pour plaire ; par soif d’amour.

Qui êtes-vous les cousins, pour demander tout ça à vos conjointes ? Même si vous êtes bien mignons, Orlando Bloom, Richard Gere et Kevin Costner ne font pas souvent partie de nos familles. Pas plus que Roy Dupuis** et cie. Même les hommes les plus beaux n’ont pas le droit d’exiger que leur femme n’excède jamais 110 livres.

Pour qui vous prenez-vous pour exiger tout cela ? Certes, il y aura toujours des femmes seules, minces et parfaites pour un certain temps qui combleront vos besoins, mais vous deviendrez fort probablement des bédouins de l’insatisfaction et de l’errance relationnelle. La perfection n’est pas de ce monde.

Une femme ne s’évalue pas à sa minceur ni à son épaisseur.

Oui, au poids santé, non aux stéréotypes sexistes qui forcent les femmes à s’affamer éternellement, à faire de l’exercice jusqu’à épuisement total et à être des poupées au service des mâles.

Chouchou, lui, me trouve voluptueuse. J’aime beaucoup le qualificatif. Il me dit qu’il sait apprécier la sensualité des modèles de Rubens... mais il lui arrive parfois de me suggérer de m’abonner à un centre de conditionnement physique. Oh ! pour ma santé seulement et histoire de conserver ma volupté... Cré Chouchou ! Serait-il parfois un cousin ?

L’amour qu’une femme peut donner à tous, la débrouillardise, la tendresse, l’intelligence, la tolérance, l’humanité, la douceur, l’autonomie, la féminité devraient, chers cousins, être considérés dans votre « évaluation de la qualité du produit ». Oh, je vous aime beaucoup, mais vous me décevez. Vous êtes souvent trop minces.

* Le terme « cousins » ici s’applique à tous les hommes qui nous entourent et qui pensent de cette façon. À certaines femmes aussi, hélas !
** Un comédien québécois.

 Lien vers l’Université d’Ottawa pour vous enseigner à calculer votre poids santé.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 octobre 2006

Michèle Bourgon


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