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Maya et le viol sacré

24 octobre 2006

par Lucie Poirier

Des mots qui semblent incompatibles sont pourtant associés et leur union rencontre un assentiment général : guerres saintes, prostitution sacrée, Georges Bush parlant de démocratie au moment d’envahir l’Irak, Mère Thérésa, se déplaçant dans une auto de luxe, donnée par des criminels - qui est venue au Québec dire que les filles de 15 ans qui se font avorter nuisent à la paix sociale - et que l’on veut canoniser.

Il en est ainsi des mots et des concepts suivants : viol obligatoire, viol qui rend les femmes belles, viol et rite de passage, viol traditionnel, viol religieux, viol sacré. Ces incongruités déterminent des pratiques répétées sur des petites filles en Inde et révélées par le film Maya, du scénariste et réalisateur Digvijay Singh. Ce drame pourra être vu par les résidentEs du Québec, ce vendredi le 27 octobre, à la télévision sur la chaîne de diffusion Télé-Québec.

Au début du film, Maya, petite fille enjouée, curieuse et spontanée s’amuse avec son cousin. Mais, le commencement de ses menstruations, dont on ne l’avait jamais informée, scelle son destin irrémédiablement. Alors, la famille paie pour que la petite soit maintenue sur un autel lors d’une cérémonie rituelle dont elle ne sait rien non plus, une célébration, une fête, une occasion de bouffe et de réjouissances qui se déroule pendant que l’enfant est violée par 3 prêtres du temple.

La justesse de la mise en scène de Singh nous montre Maya qui marche difficilement le lendemain ; ce détail s’accorde avec les traumatismes, non seulement psycho-émotifs, mais aussi physiques qui font partie des séquelles d’un viol,

À la fin du film, le cinéaste mentionne : « L’abus d’enfant est un phénomène qui n’est lié ni à la culture ni à la région ». Qu’est-ce qui peut expliquer la pratique de viols sur des enfants ? (Ou sur des femmes ? Ou sur des hommes ?)

De plus en plus, des symboles, des actes, des comportements infériorisants, handicapants, violents et même annihilants sont justifiés par la religion, la tradition, l’ethnie, la culture. Tous ces prétextes sont admis au-delà de la santé, de l’intégrité, du droit et surtout dans le déni de la compréhension, de l’empathie, de la compassion. Dans d’autres contextes, avec d’autres grilles d’interprétation et d’évaluation, on parle de pédophilie, de psychopathie, de prédation sexuelle, de déviance et même de déficience mentale.

Réitérer une coutume, pratiquer une religion, reproduire une tradition restent des choix faisant sens, des décisions chargées de significations, des volontés teintées d’intentions. Il est toujours possible de se dissocier d’une habitude religieuse, d’une obligation ancestrale, car l’humainE peut évoluer, apporter des innovations, instaurer des changements.

Déplorablement, le côté sale, l’aspect vil, la tendance grave trouvent leur justification, acceptée, dans des prétextes brandis comme des obligations alors qu’il s’agit bien de choix.

L’acharnement à infliger la douleur fait partie d’une dynamique humaine, il est peut-être excusé par des abstractions religieuses, des prétentions culturelles, des habitudes géographiques, des arguments juridiques, il n’en reste pas moins violent et destructeur, il n’en reste pas moins humain, il concerne une satisfaction personnelle. Il y a toujours quelqu’unE à qui ça fait plaisir que l’autre ait mal et cela n’est ni divin, ni justifiable, ni excusable, c’est humain. Donc, peu importe les allégations, les subterfuges, les psaumes, les lois, ce sont les humainEs qui en sont responsables.

Maya, de Digvijay Singh, vendredi le 27 octobre 2006, à 23h30, à Télé-Québec.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 octobre 2006

Maya - addenda-

À l’instar de certains poèmes, des films n’épuisent toutes leurs possibilités sémantiques en un seul, ou même plus d’un, contact. En revoyant Maya, d’autres aspects m’ont atteinte.

Ainsi, le symbolisme du serpent (pénis) qui détruit le nid (hymen) malgré la tentative de sauvetage de Sanjay, le cousin, (scènes présentées en alternance) et le symbolisme du lézard, petit comme un clitoris, mais que tout le monde craint (scènes fréquentes et même finale) sont venus émaillés la narration événementielle et le déroulement chronologique.

La veulerie du prêtre vomissant et violeur appelé sa Sainteté et l’habituelle violence faite aux enfants s’ajoutent à un contexte déjà oppressant, inquiétant et contrasté par la banalisation.

Alors qu’en Amérique nous tentons d’empêcher et de condamner les prêtres pédophiles, en Inde ils sont protégés, vénérés, encouragés et payés.

Les constances : la vulnérabilité et la douleur des enfants.

La particularité : la recherche de la souffrance imposée. Le viol et la pornographie se ressemblent dans cette volonté de faire souffrir, dans ce qui est pire que le déni de la souffrance, sa recherche, parce que la souffrance signifie non seulement le pouvoir, le contrôle, mais aussi, surtout, le plaisir_sadique_ de celui qui l’inflige.

Cette souffrance est cautionnée, justifiée, absoute par les arguments les plus improbables et les moins vérifiables : le prêtre, après les faits, considère que le viol de Maya est béni et le serviteur Ganesh déclare à Sanjay qui tente de sauver sa cousine : « Quand Dieu bénit les filles pour la première fois, elles crient toutes mais après tout va bien. Dieu a béni ta mère quand elle était jeune, elle a crié aussi et regarde comme elle est belle à présent ».

Une seule brèche éclaire cet ahurissant amalgame de convictions néfastes, une seule nuance, un seul espoir, Sanjay et Raju, deux garçons avaient encouragé Maya à jouer en lui offrant le modèle de Poolan Devi surnommée la Reine des bandits et qui, désapprouvant les mauvais traitements qu’elle a subis, tentent de la venger.

Il n’est pas étonnant que Sanjay ne pense qu’à s’enfuir avec Maya mais Ganesh intervient, toute tentative est punie et repunie.

Maya a compris l’inutilité de ses protestations, elle a assimilé son rôle, son destin, sa docilité ; mais, la colère qu’elle fait taire en elle, qu’en adviendra-t-il ?

Lucie Poirier

Mis à jour, le 1er novembre 2006

Lucie Poirier


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