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L’UQÀM est-elle complice de l’industrie du sexe ?

19 novembre 2006

par Ana Popovic, animatrice communautaire au Centre des femmes de Laval

En partenariat avec Maria Nengeh Mensah, professeure à l’École de travail social de l’UQÀM (Université du Québec à Montréal) et le Service aux collectivités de l’UQÀM, Stella, un groupe de Montréal qui travaille auprès des personnes prostituées et qui fait la promotion de la prostitution en tant que travail, organise une formation, le 17 novembre 2006. Celle-ci s’intitule « Travail du sexe : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir et n’avez jamais osé demander ». Elle est adressée prioritairement aux groupes de femmes, puis aux personnes des milieux communautaires, du réseau des services sociaux et de santé, aux services de police.

Les liens entre l’École de travail social de l’UQÀM et le groupe Stella ne sont pas nouveaux puisqu’en 2006 Stella a bénéficié du support logistique de l’UQÀM pour l’organisation du Forum XXX, un événement de 4 jours, pour laquelle il s’est vu attribuer une somme de 270 000$ par l’Agence de santé publique du Canada. Les militantes et les travailleuses du Centre des femmes de Laval n’ont pas pu assister à ce Forum, puisqu’il y avait des exigences pour y participer, tel que concevoir la prostitution comme un travail et soutenir la décriminalisation totale de la prostitution (donc y compris celle des prostitueurs et des proxénètes).

Le discours visant à accoler une vision légitime à l’exploitation sexuelle des femmes profite allégrement à l’industrie du sexe. Il est questionnant de constater qu’un institut universitaire appuie la diffusion de ce discours, alors qu’il baigne physiquement dans le secteur géographique dominé par l’industrie du sexe.

Le Centre des femmes de Laval a participé l’année dernière à une formation organisée par un comité intersectoriel sur les problématiques liées au « travail de sexe » pour divers intervenantEs du réseau communautaire et institutionnel, dans laquelle le groupe Stella, et des chercheurEs ou professionnelLEs, qui occultent les rapports de domination des femmes par les hommes dans leur discours sur la prostitution, ont occupé l’ensemble de l’espace. Ce discours avait pour effet de banaliser la prostitution. Nous fumes sidérées de constater que certainEs intervenantEs avaient retenu de la formation que l’intervention adéquate auprès d’une femme prostituée consistait à lui faire comprendre que la prostitution est un métier comme un autre, mais qu’elle n’a pas de bonnes conditions de travail. Nous pensons qu’il est très dangereux de former les intervenantEs ainsi. Les femmes sont déjà suffisamment contraintes à la prostitution, d’une part par le phénomène de l’hypersexualisation qui vise à nous faire croire que le pouvoir s’acquiert dans l’acte même de subordination sexuelle aux exigences mâles, et d’autre part par la misère économique des femmes due aux politiques néolibérales.

Au Centre des femmes de Laval, nous sommes solidaires des femmes prostituées. Nous considérons que nous sommes dignes de vivre dans un monde exempt de violence faite aux femmes et nous croyons avoir un potentiel d’action pour en arriver là. Selon nous, la prostitution est en soi une violence faite aux femmes puisqu’elle marchande l’intimité des femmes. L’acte de payer la négation du désir des femmes n’est qu’un piège visant à donner l’impression d’un consentement. Les rapports sexuels non accompagnés de désir ont des impacts négatifs sur la santé mentale des femmes. Surtout quand ils sont répétés.

L’intégrité des femmes ne se marchande pas. Loin d’être un travail, la prostitution est un viol commercialisé. Loin d’être une libération sexuelle des femmes, la prostitution dépossède les femmes de leurs désirs. « Moi, ça fait 19 ans que je fais ce métier, et je dis que si les hommes vont voir les prostitué-es, c’est pour avoir un sentiment de puissance. Ils allongent l’argent, alors c’est eux qui commandent. Tu es à lui pendant une demi-heure ou vingt minutes ou une heure. Ils t’achètent tout simplement, ils n’ont aucune obligation, tu n’es pas une personne, tu es juste une chose qu’on utilise ». (1)

Les femmes devraient surtout avoir le droit de ne pas se prostituer. Pour cela, nous devrions avoir des mesures législatives qui le permettraient. Par exemple, en Suède, où la prostitution est considérée comme une forme grave de violence des hommes envers les femmes et les enfants, les femmes prostituées sont décriminalisées, mais les prostitueurs et les proxénètes ne le sont pas. Ces mesures doivent être accompagnées d’un plan de lutte à la pauvreté des femmes et d’un plan global contre la violence faite aux femmes. Nous devons mettre en place des structures permettant aux femmes qui quittent la prostitution d’assurer leur sécurité et d’intégrer le marché du travail. Justement, en Suède, à Stockholm, le nombre de femmes prostituées a diminué de deux tiers et le nombre de prostitueurs de 80%.

Les études s’accordent généralement pour montrer que plus de 90 % des femmes choisiraient de sortir de la prostitution si elles en avaient l’opportunité. À qui profite la visibilité du discours qui banalise la prostitution si ce n’est qu’aux prostitueurs, aux proxénètes et possiblement au gouvernement qui pourrait espérer bourrer la caisse d’État en libéralisant la marchandisation du sexe sur le dos des femmes ?

Au Centre des femmes de Laval, nous sommes quotidiennement témoins de l’accroissement du nombre de femmes contraintes à se prostituer. La majorité de ces femmes expriment qu’elles ne veulent pas et qu’elles n’aiment pas se prostituer. Au contraire, les femmes prostituées, tout comme les femmes victimes de violence conjugale, ont besoin d’un espace pour exprimer la colère vis-à-vis de la violence qu’elles subissent, elles ont besoin d’être comprises et validées dans le sentiment qu’elles ne méritent pas cette violence, puis soutenues dans le choix de s’extirper de celle-ci. Tout comme la violence conjugale, ou le viol, la prostitution est une des formes extrêmes de la violence faite aux femmes. Lorsque nous sommes petites filles, nous n’aspirons pas ni a être battues, ni à être violées, ni marchandées à des fins d’exploitation sexuelle. Selon le Conseil du statut de la Femme, les femmes prostituées « proviennent de milieux modestes où existaient des tensions ou des problèmes d’alcool ou de drogue. » et les femmes autochtones seraient sur-représentées. (2)

L’année dernière, lors de la formation à Laval, une intervenante du groupe Stella affirmait que la prostitution était bénéfique pour l’estime de soi, parce que les prostituées se faisaient dire qu’elles sont belles par les « clients ». Au Centre des femmes de Laval, nous sommes inquiètes des conséquences qui peuvent découler du fait d’accoler une image positive à ce que la plupart des femmes vivent comme un calvaire.

La formation, telle qu’offerte par le groupe Stella, risque d’amener les intervenantEs du système de santé et de services sociaux à inciter les femmes à rester dans la prostitution, voire à inciter les femmes à se prostituer pour pallier à la pauvreté. De plus, la banalisation de la prostitution a un impact sur l’ensemble des femmes. « L’assimilation d’une femme à un objet sexuel concerne toutes les femmes, parce qu’elle porte atteinte à la dignité humaine. Dans cette situation, n’importe quelle femme peut être convertie en marchandise. » (3)

Notes

1. Canada, Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution, La pornographie et la prostitution au Canada, 1985.
2. Conseil du statut de la femme, La prostitution : profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre, juin 2002.
3. Tammy Quintanilla Zapata, "Le risque global d’être convertie en marchandise", in Prostitution, mondialisation incarnée, Alternatives Sud (vol XII, n° 3, 2005)

Pour joindre l’auteure :
 Site du Centre des femmes de Laval
 Courriel du Centre des femmes de Laval
 Téléphone : 450-629-1991

Mis en ligne, le 13 novembre 2006

Ana Popovic, animatrice communautaire au Centre des femmes de Laval


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