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L’intégration des jeunes en difficulté d’apprentissage

9 novembre 2006

par Michèle Bourgon

Vous êtes maman ou papa, et on diagnostique chez votre enfant des difficultés d’apprentissage. Première réaction : un peu d’angoisse, peut-être même de la panique. Que faire ? Comment réussira-t-il à s’intégrer ? Cela est-il possible ? Comment l’aider ? Puis ensuite, vous faites TOUT pour que votre enfant soit intégré dans un groupe régulier parce qu’après avoir lu sur le sujet, vous êtes convaincu-e que c’est la meilleure des solutions pour maximiser son potentiel.

L’apprentissage pédagogique constitue déjà un long parcours semé d’embûches pour les étudiant-es qui ne sont pas affligé-es de difficultés particulières. Pour les parents aussi. On l’a vu récemment, plus de cinquante pourcent des parents québécois semblent éprouver des difficultés à aider leurs enfants à faire leurs devoirs. Si, en plus, votre petit-e souffre de paralysie cérébrale, de handicap physique le confinant au fauteuil roulant, de surdité partielle ou totale, de problèmes de vision, de dyslexie, de dysorthographie, de dyscalculie, de déficit de l’attention ou encore d’autisme, vous vous engagez souvent dans un sentier chaotique.

Qu’en est-il de l’intégration, en 2006, dans les écoles publiques du Québec ? Essayons de comprendre la problématique.

Réforme et difficultés d’apprentissage

Au primaire et au secondaire, la nouvelle réforme a favorisé, voire imposé l’intégration d’élèves présentant des difficultés plus importantes. Pour les étudiant-es malentendant-es, on a fourni des interprètes ou encore des micros que les professeur-es doivent porter. Pour les étudiant-es malvoyant-es ou non voyant-es, les professeur-es doivent agrandir les copies ou encore faire affaire avec l’institut Braille ou la magnétothèque. Pour les dyslexiques, dysorthographiques, ceux qui ont des problèmes avec les chiffres, on fournit le support d’orthopédagogues ou de technicien-nes en éducation spécialisée. Pour les autistes, on propose de l’accompagnement selon de la gravité du cas. Les technicien-nes en éducation spécialisée sont sollicité-es et les orthopédagogues nécessaires. Les enfants autistes Asperger font preuve d’une intelligence souvent au-dessus de la moyenne. Ils sont capables d’apprendre aussi bien, parfois mieux que les autres si on leur fournit de l’aide. Certain-es ont parfois des marottes dont ils ont peine à décrocher, ils se passionnent exagérément pour une chose spécifique.

Le ou la professeur-e doit gérer ce maeström de problèmes différents dans sa classe de 25 à 30 élèves. J’omets volontairement de mentionner les cas de discipline, les cas de problèmes psychologiques légers, ceux qui sont hyperactifs, les allophones qui, sans être handicapés ont besoin de plus de temps.

La situation de l’intégration de ces étudiant-es éprouvant des difficultés particulières se transpose maintenant au niveau collégial. Il y a à peine quelques années, ces étudiant-es n’effectuaient pas le parcours des études supérieures. Il y a donc des progrès dans ce merveilleux monde de l’éducation. Vrai et c’est tant mieux ! Mais...

L’intégration dans les collèges se fait difficilement parfois et souvent sans préparation. Pourquoi ? La clientèle des étudiants en difficulté spéciale d’apprentissage représente un faible pourcentage de la masse étudiante. Au maximum 5%. Il y a quelque temps, le MELS a sabré dans les budgets des collèges. Les administrations doivent faire des acrobaties comptables pour arriver à couvrir toutes les priorités. Tout le monde fait son possible. Plusieurs efforts sont consentis, mais est-ce suffisant ?

Conditions d’intégration difficiles

Les professeur-es sont, la plupart du temps, averti-es de la problématique de ces cas « spéciaux » la journée même de la rentrée. On leur donne à lire un petit dépliant qui explique ce qu’est l’autisme, ce qu’est la dyslexie, la dysphasie, la paralysie cérébrale légère, etc. On leur demande, tout comme à leurs collègues du secondaire et du primaire, de s’adapter à une situation nouvelle, une problématique pour laquelle ils/elles ne possèdent pas de connaissances fondamentales et ne sont pas formé-es. La plupart du temps, l’intégration de l’étudiant-e se fait sans accompagnement ; elle/il se retrouve soudainement dans un environnement potentiellement anxiogène et se sent déstabilisé-e. Il n’y a pas que lui/elle. Ses collègues aussi s’interrogent sur certains de ses comportements marginaux. Les professeur-es doivent apprendre à composer avec une nouvelle dynamique de groupe. Même si les réactions de l’étudiant-e semblent très étranges au reste de la classe, les professeur-es n’ont pas le droit d’expliquer la pathologie de l’étudiant si celui-ci refuse. Certain-es étudiant-es peuvent alors crier pendant une explication, retarder la classe pour prendre leurs notes de cours à leur rythme, offrir des informations non sollicitées, être violents, agressifs, s’auto-mutiler si elles/ils sentent que les autres rient de lui. On peut comprendre leur détresse, bien sûr, mais on doit comprendre les autres étudiant-es aussi.

Dans plusieurs cours, il n’est pas si rare d’avoir des classes d’une quarantaine d’étudiant-es. Si une personne autiste est intégrée à ce groupe, le/la professeur-e est alors confronté-e au cas d’éthique suivant : Je fais tout pour intégrer mon étudiant-e ou je fais tout pour ne pas retarder le reste de la classe. L’idéal étant évidemment de faire les deux. Mais est-ce toujours possible sans encadrement spécifique ?

Bien que certains cas ne présentent aucune difficulté d’intégration, d’autres cas sont vraiment plus lourds. Parfois, on offre aux professeur-es des sessions d’explication de la problématique, des « trucs » pour maîtriser, contrôler les réactions intempestives de ces étudiants « spéciaux ». C’est un début, mais cela ne me convainc pas que ce soit LA solution. Ces sessions d’information sont parfois traitées ensuite comme des sessions de formation...

Certain-es étudiant-es qui souffrent de problèmes envahissants de l’apprentissage se sentent rejeté-es d’un groupe où ils/elles auraient été d’emblée accepté-es si on avait su ou pu présenter la problématique. Nous avons affaire à une classe de niveau collégial, à de jeunes adultes intelligents, qui sont parfaitement capables d’empathie, d’aide et de compassion. Rien de pire que l’étrange non expliqué pour faire peur, pour créer le rejet. Que peut-il arriver alors dans l’esprit des jeunes qui souffrent déjà de leur différence ? Certain-es iront peut-être même jusqu’au suicide. Geste que l’on aurait peut-être pu éviter si on avait pu expliquer clairement les cas, si on avait aidé l’étudiant-e à s’intégrer et le reste de la classe à comprendre. Ces étudiant-es ne veulent pas être marginalisé-es, mais ils le sont bien malgré eux. Quand on ne peut expliquer un comportement spécial, on crée de l’insécurité chez tout le monde.

Quelques pistes de solution

Que l’on explique d’abord clairement aux professeur-es les cas qu’ils/elles auront dans leur classe, qu’on leur demande s’ils/elles sont prêts à accepter d’être un peu dérangé-es dans leur routine de travail ; qu’ensuite, on puisse expliquer la problématique aux autres étudiant-es du groupe, qu’on demande un accompagnement ou encore qu’un-e élève de techniques d’enseignement spécialisé soit chargé-e d’aider et de contrôler les réactions inopinées de l’étudiant-e en difficulté, que des rencontres entre l’élève et le responsable de l’intégration soient régulièrement prévues et que l’on arrête de croire que les professeur-es possèdent toutes les compétences.

L’intégration semble une bonne chose ; certes, la société s’en trouvera grandie. Mais à tout prix et n’importe comment, non. Cela s’appellerait alors désintégration. Intégrer un-e élève, puis désintégrer un groupe, non. Personne n’y gagne.

Les jeunes sont l’avenir du monde, un peu grâce à leurs parents, mais aussi grâce à leurs enseignant-es.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 novembre 2006

Michèle Bourgon


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