source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2457 -



Pour que la porno recule

13 novembre 2006

par Guy Roy

À mon travail sur un brise-glace de la Garde Côtière canadienne, j’ai fait une expérience qui m’a convaincu de n’être pas inutile devant la cause des femmes. Ils en sont allés de toutes les taquineries inquiètes ou les manifestations offusquées qui se répandent parmi les travailleur-euse-s quand ils-elles sentent leur univers ébranlé, que cela vienne du patron ou du délégué syndical.

La porno sévissait sur les modernes écrans d’ordinateur tout aussi dernier cri. À chaque changement de quart, de nouvelles photos toutes plus explicites les unes que les autres apparaissaient comme par magie. Les talents de programmeurs des mécaniciens s’exerçaient avec le plus grand raffinement.

En homme rose, conscient et valeureux, cherchant la pureté des intentions et des gestes chez une classe ouvrière encore idéalisée, abhorrant le sexisme, entre autre avec le racisme, je me suis évertué à tenter de démontrer à mes confrères quel monde peu rassurant impliquait la propagation de la porno, fut-elle aussi léchée et raffinée que possible. Était-ce la manière dont nous voulions entretenir des relations avec les femmes ? Pourquoi faire de leur corps des marchandises à s’échanger comme de jeunes adolescents n’ayant encore aucune expérience sexuelle ? J’interpellais les pères préoccupés de l’avenir de leurs jeunes adolescentes. Est-ce que ce genre de « travail » leur serait permis ? J’offrais une projection collective de « C’est surtout de l’amour. » Rien ne convainquait personne et mes emportements provoquaient des taquineries encore plus grossières.

Vint ensuite le discours justificateur, indiquant qu’on réfléchissait à plusieurs à partir d’un certain point où des interrogations se posent, même les plus naïves et désarmantes. « Elles gagnent plus cher que nous ! » « Elles le font volontairement pour payer leurs études », « Ça a toujours existé », « C’est un travail comme un autre. » J’essayais en vain de faire jouer toutes les contradictions de ce discours. Et il fallait vraiment me creuser la tête pour continuer de m’objecter, signe qu’il restait dans mes arguments une bonne part de complicité avec ces durs mâles, loin de ce monde non sexiste et un peu paternaliste que je tentais de défendre.

Finalement, ce sont les timides objections de ma contremaître elle-même, une femme mécanicienne, qui ont eu raison des diaporamas pornographiques. Sa demande bien posée : « Pourquoi avoir besoin de femmes toutes nues pour faire notre travail ? Je n’ai aucun besoin d’homme en tenue d’Adam pour faire ce travail », indiquait assez clairement que la porno n’avait pas sa place dans la salle de contrôle où les mécanicien-nes passent leur quart de travail. Le chef a finalement compris et ordonné la disparition de la porno sur les écrans. J’aurais tellement voulu convaincre ces ouvriers et ouvrières que j’admire tant pour leurs capacités à résoudre des tas de problèmes, mais qui manifestent trop évidemment leur chauvinisme envers les femmes, les immigrant-es ou les Noir-es.

J’en suis, bien sûr, revenu et je continue mes interpellations avec un peu plus d’humour et moins de mépris qui choquait. Je me console en me disant que j’y ai acquis une vision plus matérialiste de ce que sont les ouvriers et ouvrières et d’où il faut partir pour en faire ces "hommes nouveaux" que Marx appelle.

Je n’ai pas de pouvoir dans les chambres, sur les calendriers. Il reste donc de l’éducation à faire, mais notre salle de contrôle collective est maintenant une « Zone libre de porno » dont je suis fier puisqu’une lutte commune avec une femme dans un métier non traditionnel, et son subordonné et délégué syndical, a porté fruit dans la recherche de rapports plus égalitaires au travail.

Je passe depuis pour plus féministe que les femmes, pour le curé de la place ou pour ce père fouettard qui ne se solidarise plus avec des hommes au mépris facile de la condition des femmes. Ce n’est pas un bien gros exploit, mais cela correspond plus à des valeurs auxquelles les ouvriers et ouvrières adhéreront bien un jour quand ils-elles en auront compris la portée pour leur propre émancipation et celles de tous et toutes les autres membres d’une humanité asservie. Pour paraphraser Marx, « un sexe qui en opprime un autre ne saurait être libre. »

Toute cette aventure n’empêche pas les confidences entre nous, parfois un peu crues, sur les meilleures manières d’arriver à des relations sexuelles plus tendres, sensuelles et satisfaisantes. Mais ça, c’est un autre problème ! Cela alimenterait tout un débat sur cette « Origine du monde », tableau érotique provoquant peint durant la Commune montrant un pubis qui a échoué, on ne sait comment, dans la collection de Lacan.

Guy Roy,
Délégué syndical FTQ, dans l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC)

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 novembre 2006

Guy Roy


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2457 -