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Réponse à Irène Demczuk - "Une mise au point"
Prostitution : Justifier l’injustifiable ?

27 novembre 2006

par Élaine Audet

Ma réponse est intercallée dans le message envoyé par Irène Demczuk, qu’on peut lire sur NetFemmes, à l’occasion d’un débat sur la prostitution suscité par un texte d’Ana Popovic, du Centre des femmes de Laval : « L’UQÀM est-elle complice de l’industrie du sexe ? »



I. Demczuk : Ana Popovic s’inquiète que la formation organisée conjointement par l’organisme Stella, Maria Nengeh Mensah, professeure à l’École de travail social de l’UQAM et le Service aux collectivités « risque d’amener les intervenantEs du système de santé et de services sociaux à inciter les femmes à rester dans la prostitution, voire à inciter les femmes à se prostituer pour pallier à la pauvreté ». Devant une affirmation aussi grossière et sans fondement,

 Je n’y ai vu, contrairement à vous, que respect, compassion et solidarité avec celles qui sont piégées dans ce milieu.

I. Demczuk : Le Service aux collectivités de l’UQAM a comme mission de favoriser la démocratisation du savoir en rendant accessible des connaissances aux moyens d’activités de formation, de recherche ou de diffusion aux groupes sociaux qui n’y ont traditionnellement pas accès.

 Pour les éduquer à l’acceptation de l’esclavage sexuel et de la marchandisation du corps des femmes et des enfants dans un contexte de logique économique dominante ?

I. Demczuk : Parce que les travailleuses du sexe sont des femmes particulièrement stigmatisées, la formation vise les objectifs suivants [...]

 Où est-il écrit que cette formation a pour but d’aider les femmes prostituées à se sortir de cet esclavage ? Où y dénonce-t-on les proxénètes, les gangs de rue, les trafiquants, les revendeurs de drogue, les propriétaires de bars, les pachas du crime organisé qui ruinent tant de vies de femmes et de jeunes ?

I. Demczuk : La formation est offerte en co-teaching par Maria Nengeh Mensah et une employée de Stella, Cynthia Lee. Elle s’adresse à un public diversifié en provenance des milieux communautaires, des groupes de femmes, du réseau des services sociaux et de santé et des services policiers.

 Pourquoi ? Pour que ces groupes tolèrent la prostitution en laissant la parole et la prétendue connaissance exclusive des femmes prostituées à un groupe minoritaire tel que Stella, pendant que la majorité des personnes concernées se taisent par peur des représailles et de la mort et que les personnes et les groupes qui tentent de les aider à s’en sortir sont accusées de les stigmatiser ?

I. Demczuk : Je suis encore une de celles, comme la majorité d’entre vous, qui croit important que des femmes marginalisées prennent la parole sur leurs conditions de vie et de travail et soient entendues dans leurs analyses de leurs situations et dans leurs pistes de solution.

 Quelles pistes de solution ? Légitimer les proxénètes et les clients prostitueurs afin de perpétuer l’esclavage de la prostitution ? Justifier l’injustifiable ? Accepter l’inacceptable ?

I. Demczuk : C’est une formation sur les conditions de vie et de travail des femmes qui oeuvrent dans l’industrie du sexe au Québec offerte dans une perspective de droits humains.

 Comment la promotion et la banalisation de la prostitution peut-elle être considérée dans une perspective de droits humains ? Ce que vous prônez renforce les rapports sexuels de domination inhérents au patriarcat, que reste-t-il de féministe dans cette défense du statu quo profitant depuis toujours à la suprématie masculine et à la subordination des femmes ?

I. Demczuk : Il s’agissait un forum international réunissant 250 travailleuses du sexe et organismes qui leur viennent en soutien de cinq continents. Contrairement à Mme Popovic, j’ai eu la chance de participer à ce Forum [...]

 Parce que vous étiez prête à promouvoir l’industrie du sexe au détriment de toutes celles qui y perdent leur vie, contrairement au Centre des femmes de Laval qui n’était pas bienvenu dans une telle célébration de l’oppression.

I. Demczuk : Je veux rappeler, contrairement à ce qui en fut dit sur Netfemmes en 2005 et depuis, que ce forum visait le renforcement des capacités des travailleuses du sexe et le partage d’expertises.

 Est-ce le rôle d’une université de donner asile à la diffusion de telles "expertises" sur un système qui porte si évidemment atteinte à la dignité et à l’intégrité des femmes ?

I. Demczuk:Quant à la subvention de 270 000 $ accordée à ce projet par Santé publique Canada, elle fut obtenue, dans les règles de l’art [...]

 Elle fut plutôt une grande manne attribuée à quiconque favorise la marchandisation très lucrative de l’humain.

I. Demczuk : Pour un projet d’une durée de près de deux ans et non pas de quatre jours comme le laisse entendre le texte d’Anna Popovic.

 Il s’agissait des quatre jours du Forum, c’est une durée que peu de colloques peuvent se payer !

I. Demczuk : Personnellement, je n’ai jamais compris pourquoi on a fait si grand cas dans le mouvement féministe des critères de participation à ce forum qui visait le partage du vécu de stigmatisation dans des contextes sociaux et législatifs différents, de même que des conditions de travail, de vie et de santé dans une perspective d’empowerment.

 Qu’y a-t-il de si "empowering" à se soumettre aux jeux de pouvoir du premier venu, à faire des fellations toute la journée pour gagner quelques lignes de coke et à recommencer le lendemain en donnant la plus grande partie de l’argent reçu à un pimp ou à un revendeur de drogue ?

I. Demczuk : S’objecterait-t-on de la même façon si des femmes lesbiennes, assistées sociales ou toute autre catégorie de femmes marginalisées décidaient d’organiser un événement leur permettant de se regrouper entre elles, de prendre la parole, de développer une analyse de leur situation et des pistes d’actions pour l’avenir ?

 Ne voyez-vous donc aucune différence entre oppression et libération ?

I. Demczuk : C’est une leçon de courage qu’on n’oublie jamais. J’ai assisté aussi au pire : en étant confrontée à des pressions visant à faire annuler l’événement à l’UQAM et en palliant, comme responsable de la logistique, au vandalisme d’affiches et de matériel perpétré lors du Forum par une poignée de personnes se désignant comme féministes.

 Le pire, pour moi, c’est la réalité vécue par les personnes prostituées et tout ce qui contribue à perpétuer la domination masculine sur la vie et la sexualité des femmes.

I. Demczuk : Dans ce contexte, je pense à l’équipe de Stella qui affronte ce genre de tempête tous les jours. Je tiens à les féliciter pour leur travail assidu en matière d’éducation et de défense des droits humains qui leur a valu récemment un prix décerné par Human Rights Watch et le Réseau juridique canadien VIH/sida.

 Rien d’étonnant à ce prix, les objectifs du Réseau juridique canadien vih/sida sont les mêmes que ceux de Stella et de l’industrie du sexe, soit la décriminalisation, non seulement des personnes prostituées mais des proxénètes et des prosti-tueurs. Voir ci-dessous l’analyse que Micheline Carrier et moi avons fait du document que ce groupe a publié en 2005, "Sexe, travail, droits/changer les lois pénales du Canada pour protéger la santé et les droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe" :

Le Réseau juridique canadien VIH/sida, un organisme communautaire, formule dix recommandations en faveur de la décriminalisation totale de la prostitution. La recherche s’étalant sur deux ans a pu être réalisée grâce au financement obtenu de l’Agence de santé publique du Canada. Le Réseau dit avoir tiré ses données des témoignages de « travailleuses et travailleurs du sexe » ainsi que de « recherches fiables ». En réalité, il n’a consulté que les données fournies par les seuls organismes et chercheur-es universitaires qui légitiment le « travail du sexe » et proposent de le réglementer. Il ne pouvait donc parvenir qu’aux mêmes conclusions que ses « sources ».

[...] La « recherche » ne s’intéresse pas aux besoins de la grande majorité des femmes prostituées. Elle ne fait pas davantage mention des positions exprimées publiquement par les quelques organismes qui aident des femmes et des adolescent-es à quitter "l’industrie du sexe", tels le Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ), l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, dont les CALACS du Québec, le CASAC de Colombie-Britannique et du Yukon, ou encore, les groupes d’aide aux femmes prostituées à Toronto et dans d’autres grandes villes canadiennes.

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Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 novembre 2006.

Élaine Audet


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