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La prostitution, une arme politique

29 novembre 2006

par Lucie Poirier

La femme, majoritairement absente des sphères décisionnelles, se retrouve au plus bas des hiérarchies. Elle travaille surtout dans des emplois de secrétaire, serveuse, manufacturière, domestique, prostituée. La femme est l’être le plus contraint de la planète. La résistance à sa venue dans le milieu des affaires, le domaine de la santé, le monde scientifique et l’univers politique ne s’estompe pas. Entre la banalisation de la prostitution et la présence des femmes en politique, une corrélation s’accentue.

Dans le lexique vindicatif et infériorisant dont les femmes sont accablées, le mot chienne semble bénéficier d’une prédilection. Ce mot est utilisé d’après les connotations qui lui ont été associées, il est devenu une insulte pour exprimer une aire synonymique relative à la sexualité « chienne en chaleur », à la mesquinerie, à l’abjection, un raccourci pour rabaisser la femme en déniant son humanité.

La femme à laquelle on attribue cette injure représente ce qu’il y a de pire parmi son espèce, sous-entendant qu’elle incarne ce qu’il y a de plus féminin chez la femme ; avec ce mot, un homme reproche à une femme d’être une femme.

Au Québec, le Premier ministre, Jean Charest, « en chambre » a traité de « chienne » une jeune politicienne, malhabile certes, qui parlait du bénévolat de Michou, son épouse. La réplique dépassait l’attaque.

Au Canada, le politicien Peter MacKay aurait suggéré (il a toujours refusé d’admettre son intention et de présenter des excuses) que son ancienne compagne, Belinda Stronach, elle aussi en politique, était une chienne.

Cette femme, riche, à l’instar de nombreux hommes riches, entretient des ambitions politiques. La santé, l’instruction, la justice, la politique appartiennent exclusivement aux riches. Mais, alors que les nantis y évoluent avec aisance, Stronach, elle, est représentée comme une prostituée.

Au Québec, un journaliste, jeune et misogyne (cette deuxième caractéristique explique sans doute sa fulgurante progression dans les médias), Patrick Lagacé, a associé dans un jeu questionnaire Belinda Stronach aux prostituées roumaines dont le Canada avait favorisé la venue au pays. L’arrivisme politique d’une femme est confondu avec une activité liée au sexe, jamais une telle ambition chez un homme n’a été ainsi évoquée.

Stronach s’est prononcée pour le mariage gai et le droit à l’avortement. Députée du Parti conservateur, elle a changé d’allégeance et est passée au Parti libéral. Alors, un caricaturiste de la ville de Québec l’a dessinée en prostituée de rue que le chef du parti, Paul Martin, « ramassait » en auto. Sa carrière politique n’est pas tributaire de l’appât du gain, elle est riche, pourtant elle est associée à un échange marchand basé sur la cession de son corps dans un rapport d’endurance.

Lucien Bouchard, un autre politicien, avait changé d’allégeance et de parti, il s’était joint au Bloc québécois. Jamais il n’a été représenté comme un gigolo.

Cette humiliation est réservée aux femmes.

Une autre politicienne, Sheila Copps, a été rabaissée par un directeur de revue pornographique. Il avait publié des gros plans de vulves en prétendant qu’ils représentaient l’anatomie de la politicienne. Jamais là encore l’équivalent n’a été infligé à des politiciens. Ils sont ridiculisés dans leurs actions, dans leurs déclarations, pas dans leur intimité génitale, pas dans leur être sexuel.

De telles dégradations, de telles offenses, ne s’adressent qu’aux femmes.

Le gouvernement favorise la prostitution (entre autres, par l’octroi de généreuses subventions aux projets de légalisation alors que ses investissements sont moindres pour des projets favorables à l’abolition) afin de discréditer les femmes, de saper leur image, de contrer leur influence, d’annihiler leur progression.

La dichotomie politicienne/prostituée intervient pour occulter la place de la femme en politique, pour la ravaler dans une servitude sexuelle. Lorsque des femmes s’affirment, le rôle sexuel, dans lequel on les veut confiner, prostrer, figer, leur est rappelé.

Réduire la femme à un cul, la comparer à une chienne en chaleur, l’assimiler à un sexe disponible selon le prix, c’est fragmenter son être, c’est attaquer son potentiel, c’est détruire son pouvoir, c’est limiter son existence. C’est prétendre que sa finalité consiste à satisfaire sexuellement l’homme, à privilégier le plaisir masculin.

Le gouvernement distribue avec largesse des subventions aux prostituées volontaires, l’Université leur accorde avec condescendance son cautionnement institutionnel et académique, les médias leur fournissent avec profit leur reconnaissance, parce qu’ainsi ils insistent sur leur mépris envers toutes les femmes, ils grugent et ruinent leur lente et difficile progression dans l’humanité ; ils interdisent aux femmes de participer aux décisions qui les concernent et qui se refléteront sur les enfants qu’elles mettent aux mondes.

En accord avec une conception misogyne et une visée patriarcale, les femmes sont évincées d’une contribution au sort d’une humanité que, pourtant, elles engendrent, mais qui n’est reconnue que dans la lignée et le nom de l’homme. Les femmes qui essaient de s’immiscer dans les processus sélectifs, dans les aires déterminantes, qui veulent initier, proposer, ne constatent pas uniquement le refus de leurs idées, de leurs expériences, de leurs connaissances, elles subissent avant tout le refus d’elles-mêmes.

Les femmes cheminent contre une adversité sans cesse renouvelée et efficace pour empêcher l’établissement et la reconnaissance de leurs droits, de ceux de leurs enfants, de ceux de la vie humaine et environnementale. Elles luttent contre la suprématie financière, contre la surpuissance machiste. Pour affecter l’autonomie de la femme, l’homme a compris qu’il peut influer sur la mentalité, convaincre, et l’homme et la femme, que lorsque cette dernière déroge de son asservissement, elle mérite l’insulte et la risée, l’agression et le viol, le coup de poing et le coup de couteau ; elle n’avait qu’à rester à sa place, une place d’avilie, de fautive et d’impuissante.

Que ce soit avec un mot, un pénis, un semi-automatique, l’homme sait toujours s’armer contre la femme.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 novembre 2006

Lucie Poirier


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