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Pas à vendre

15 décembre 2006

par Josée Boileau, rédactrice en chef et éditorialiste, Le Devoir


Qu’est-ce que la prostitution ? Le droit des hommes à acheter le corps de jeunes femmes (plus rarement de jeunes hommes) qui ne les désirent pas. Cette définition, lumineuse, de la féministe française Florence Montreynaud, fait clairement voir que la prostitution est basée sur un rapport fondamental d’inégalité patriarcale. Voilà ce que n’ont pas compris des députés du Parti libéral, du NPD et du Bloc québécois.

On ne le dit pas assez mais le droit au désir et au plaisir des femmes dans la sexualité est une des grandes avancées du féminisme, qui tranche à la fois avec la morale puritaine et avec le rôle, toujours si présent, d’objet sexuel assujetti aux demandes des hommes - dépersonnalisation qu’accentue l’échange d’argent.

Cette base d’analyse, indispensable pour poser un regard juste sur la prostitution, a pourtant été écartée du curieux rapport que vient de déposer aux Communes le sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, émanant du Comité parlementaire de la justice et des droits de la personne.

Ou plutôt, on la retrouve sous une signature inattendue : la dissidence du Parti conservateur, qu’il vaut la peine de citer. « Tout effort de l’État pour décriminaliser [la prostitution] appauvrira les Canadiens et les Canadiennes - les Canadiennes en particulier - en donnant aux hommes l’impression qu’il est acceptable de considérer le corps de la femme comme une marchandise et d’en faire une exploitation intrusive. »

C’est l’évidence même, sauf pour les représentants du Parti libéral, du NPD et du Bloc québécois au sein du comité qui ont préféré sombrer dans un travers fréquent dans les milieux dits libéraux (surtout quand il s’agit des droits des femmes) : se réfugier dans le pragmatisme (c’est ainsi que ces trois partis présentent leur portion du rapport) plutôt que de voir le système à l’oeuvre. À cette aune, la polygamie devient acceptable, les tribunaux islamiques envisageables, et la prostitution « est avant tout un problème de santé publique », comme on le lit dans le rapport ! Après tout, ne concerne-t-elle pas deux adultes consentants ?

Que le consentement d’une des deux parties soit dû à la misère - financière, affective (toutes ces filles qui, via la prostitution, ne cherchent que l’amour de leur proxénète), physique (la toxicomanie, qui sévit dans le milieu de la prostitution, crée de terribles exigences pour le corps) - est secondaire pour nos valeureux députés. On prête plutôt aux prostituées un volontarisme qui alimente certes bien des fantasmes de cinéastes et les romans d’écrivaines à la mode, mais qui ne concerne qu’une infinitésimale minorité.

La prostitution n’est ni un travail, ni une aspiration. Pas une fillette, pas une adolescente ne rêve de devenir prostituée. C’est une exploitation que l’on peut supporter mais que l’on tente surtout d’oublier en empochant l’argent versé. Les prostituées ont besoin de respect en tant que personnes (ce qui interpelle le milieu policier, de la santé, etc.), pas de la reconnaissance d’un statut professionnel.

Nous publions en page Idées des textes qui soulignent les ravages que pourrait causer l’approche majoritaire du sous-comité, mais soulignons en particulier celui de la députée bloquiste Maria Mourani, qui signe sans engager son parti, alors que celui-ci devrait s’arrimer fermement à quelqu’un qui a à la fois le regard de l’analyste et l’expérience, en tant qu’auteure d’un récent ouvrage sur les gangs de rue, d’une femme de terrain.

Car en dépit de ce que croient nos députés du courant « majoritaire », des adultes consentants se désirent, ils ne s’achètent pas.

On l’admet pour les adolescents, mais pas pour quiconque atteint ses 18 ans.

Publié sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteure et dans Le Devoir le 15 décembre 2006.

Josée Boileau, rédactrice en chef et éditorialiste, Le Devoir



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