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Un rapport favorable aux proxénètes et aux prostitueurs
16 décembre 2006
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Le sous-comité fédéral de l’examen des lois sur le racolage a déposé, le 13 décembre dernier à la Chambre des Communes, son rapport* qui banalise l’exploitation sexuelle des femmes. Selon ce rapport « Les membres du Parti libéral, du Nouveau Parti démocratique et du Bloc Québécois sont d’avis que les activités sexuelles entre adultes consentants qui ne nuisent pas à autrui, qu’il y ait échange d’argent ou non, ne devraient pas être interdites par l’État. »
Le lien entre la notion de consentement et de la prostitution (puisqu’il est question d’échange d’argent pour une « activité » sexuelle) occulte les rapports de domination des hommes sur les femmes. Devons-nous rappeler que la majorité des personnes prostituées sont des femmes et des fillettes, alors que la quasi-totalité des « clients » prostitueurs sont des hommes ! Sur 109 pages, deux pages et demie sont consacrées aux effets sur les femmes et les collectivités en général. Devons-nous rappeler que les femmes constituent la moitié de l’humanité !
Selon le rapport, certaines femmes prostituées rencontrées « lors d’audiences privées possédaient des diplômes universitaires ou encore plusieurs années d’expérience professionnelle dans différents secteurs légaux de l’économie, notamment l’administration, le droit et le travail social. Ces femmes avaient choisi de se livrer à la prostitution de plein gré en évaluant les avantages et les désavantages qu’elles y voyaient. » Les militantes du Centre des femmes de Laval ne connaissaient même pas l’existence de ces audiences. De plus, il aurait été difficile pour une participante de notre Centre qui n’a pas terminé le secondaire II, ou qui est sur une descente de freebase parce qu’elle essaye d’oublier qu’elle a dû se prostituer, de venir dire aux audiences : « Madame, Monsieur les députés, je vous le dis que c’est dégueulasse d’avaler le sperme d’un homme qui allonge l’argent comme il allonge sa domination sur moi et toutes les femmes en me disant que je suce bien parce que je suis une vraie salope ».
Il serait intéressant de savoir de quel milieu social proviennent les femmes prostituées qui considèrent la prostitution comme un choix, et de s’intéresser à la question de l’égalité salariale, puisque des femmes affirment avoir de meilleurs conditions économiques en se prostituant. Il serait tout aussi intéressant de connaître le nombre de femmes prostituées désireuses de quitter la prostitution que le sous-comité a rencontrées. Les membres du sous-comité sympathisent avec la théorie d’une diversité des expériences dans les pratiques prostitutionnelles, allant de l’esclavage sexuel des femmes à la prostitution de « survie » pour échapper à la précarité économique, jusqu’à une prostitution qui serait « bourgeoise » et « consentie ». Cette conception de la prostitution ne rend pas compte du lien entre la prostitution et l’expérience collective des femmes face à l’oppression sexuelle qu’elles subissent. Si des témoignages abonnent dans le sens qui rend compte des liens entre prostitution, inceste, pauvreté, toxicomanie et crime organisé, les représentantes ou participantes de groupes qui militent pour faire reconnaître la prostitution comme travail bénéficient souvent du dernier mot.
« La prostitution : un choix, un travail. Voici des seringues propres. C’est un discours de bullshit qui nous maintient la-dedans, dans la prostitution-drogue-prostitution. Nous avons besoin de dignité... de dignité, d’être considérées comme des femmes, affirme une de nos participantes. Nous devons aider les femmes à sortir de la prostitution ». Si les membres du sous-comité s’accordent toutefois à dire que celles qui veulent s’en sortir devraient avoir ce choix, comment allons-nous le leur permettre si, par nos lois et parmi les projets de prévention, nous renforçons l’idée que certaines femmes consentent à servir de marchandise sexuelle aux hommes et que la question d’exploitation sexuelle relève de choix individuels ? Un bon nombre des femmes rencontrées au Centre des femmes de Laval affirment avoir déjà voulu se faire croire qu’elles se prostituaient par choix pour survivre à la déshumanisation qu’implique la marchandisation de leur propre intimité. Une illusion. Une conséquence de la prostitution, qui sert bien les hommes dont la responsabilité dans le maintien de l’industrie prostitutionnelle n’a pas du tout été soulevé dans le rapport du sous-comité. En effet, les prostitueurs ne sont guère mis en cause dans ce rapport qui ne leur consacre que quelques paragraphes pour dire qu’il n’y a pas beaucoup de données sur eux, mais se garde bien de recommander des recherches qui nous en fourniraient davantage.
Selon le rapport majoritaire, la prostitution, alors placée sur le même pied que des actes sexuels consensuels et égalitaires, ne devrait pas nuire à autrui... À autrui sinon aux femmes dont le corps morcelé en vagin, anus, bouche, seins et dont la dignité sont commercialisés au service des hommes ? Soutenir que la prostitution puisse être une forme de sexualité consentante qui ne devrait pas nuire au voisinage, ouvre une porte vers la création de bordels légaux. De quoi intéresser les hommes d’Amérique, riches et blancs, qui pourront en toute impunité rentrer dans une pièce, violer une femme contre de l’argent, sans craindre les plaintes des voisins.
La prostitution et son institutionnalisation maintiennent le statut de subordination des femmes face aux hommes. Rien ne peut justifier la marchandisation du corps des femmes. La prostitution est une violence faite à toutes les femmes puisqu’elle convertit chacune d’elles en objet évaluable par son physique, achetable, consommable et jetable. Le Centre des femmes de Laval est un organisme laïque, réunissant des femmes croyantes et des femmes non croyantes, de toutes origines et de tout âge. Notre intervention n’est pas un discours moralisateur judéo-chrétien, mais un appel humain. Nous voulons être considérées en tant qu’êtres humains ayant le droit fondamental de ne pas être vendues. Ce n’est pas une liberté sexuelle que de mettre son corps à disposition sexuelle d’un homme qui a de l’argent. La plupart des femmes sont contraintes à le faire pour une multitude de motifs. La santé mentale, psychique, physique, sociale, économique, intellectuelle et politique est aussi une question de santé publique. Or, la prostitution, en soi, ravage la santé des femmes. Le rapport majoritaire du sous-comité consacre une courte section à la santé des personnes prostituées, en énumérant les méfaits qu’elles subissent, mais il n’en tire pas de conclusions cohérentes lorsqu’il préconise une forme de décriminalisation sans la nommer clairement.
La prostitution est une forme grave de violence faite aux femmes, et le seul parti à l’avoir nommé est le Parti conservateur. Mais il fait preuve aussi d’incohérence : il considère avec raison que les personnes prostituées sont des victimes, mais au lieu de recommander la décriminalisation complète pour toutes, il recommande de continuer de criminaliser celles qui voudraient rester dans la prostitution. C’est ignorer qu’il est beaucoup plus facile d’entrer dans la prostitution que d’en sortir. Le rapport majoritaire du sous-comité est un cadeau fait aux proxénètes et aux prostitueurs parce qu’il propose d’abolir les lois ou les articles du Code criminel qui visent les proxénètes, donc les exploiteurs.
Les femmes prostituées, elles, continueront d’être harcelées et victimes.
* Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur le racolage, Le défi du changement : étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada, ministère de la Justice, Gouvernement du Canada.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 décembre 2006