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Quand le porno impose sa vision de la sexualité
Interview de Michela Marzano, philosophe et chercheuse au CNRS

20 décembre 2006

La majorité des jeunes ont aujourd’hui accès à des images classées X. Comment les appréhendent-ils ? Leur sexualité en est-elle affectée ? Coauteur du livre "Alice au pays du porno", Michela Marzano, philosophe et chercheuse au CNRS, nous en dit plus sur les conséquences de cette banalisation de la pornographie.



Doctissimo : Les ados seraient de plus en plus exposés aux images pornographiques. A-t-on une idée de l’ampleur de ce phénomène ?

Michela Marzano : Plusieurs études1 témoignent de cette tendance. Dans le cadre de notre enquête, nous avions avant tout un objectif qualitatif plus que quantitatif, cependant 90 % des adolescents que nous avons interrogés avaient déjà non seulement vu au moins une fois un film X, mais étaient en fait des "consommateurs assez réguliers". Sans pour autant cautionner certains raccourcis médiatiques qui relient les pires faits-divers à la pornographie, on ne peut nier l’influence de ces images sur la construction de l’imaginaire sexuel de ces ados.

Doctissimo : Comment réagissent-ils à ces images ?

Michela Marzano : On distingue deux attitudes minoritaires avec d’une part, une attitude de dégoût qui estime que le porno ne reflète en rien la réalité (une attitude plus souvent féminine) et d’autre part, son opposé, ceux qui considèrent les films X comme des documentaires, des modes d’emploi sur les gestes à effectuer, un véritable manuel sur ce qu’il faut faire pour être un homme (ou une femme).

Mais dans la majorité des cas, les adolescents portent un regard très ambivalent sur ces représentations pornographiques. Une ambiguïté déjà propre à ces films X qui mélangent fiction (il y a des acteurs, un réalisateur, une "histoire"...) et réalité (l’acte sexuel et la jouissance sont bien réels).

Doctissimo : Comment se traduit cette ambiguïté chez la majorité des ados ?

Michela Marzano : Les garçons et les filles n’arrivent ainsi pas à prendre position et se retrouvent dans une certaine impasse.

Reconnaissants être attirés par ces images, la majorité des garçons avouent cependant que la plupart des gestes et attitudes qu’elles contiennent ne sont pas respectueux vis-à-vis des femmes. Mais ils reconnaissent aussi que ces actes peuvent être accomplis avec des "filles faciles", qui les provoquent et n’attendent que d’être traitées de la sorte. Il y a donc dans leur esprit un réel clivage entre le sexuel et l’affectif avec d’un côté, des filles faciles avec qui on peut tout faire et de l’autre, des filles idéales ou idéalisées que l’on respecte au point de ne plus avoir de relations sexuelles avec elle.

Chez les filles, cette ambiguïté se traduit différemment. Elles reconnaissent avec dégoût que les actrices sont souvent dominées et considérées comme de simples objets sexuels à la disposition de l’homme. Mais elles sont également convaincues que la pornographie idéalise la sexualité par la mise en scène d’actes sexuels toujours beaux et satisfaisants. Elles n’arrivent ainsi pas à se positionner entre domination et épanouissement sexuel.

Doctissimo : Face à une telle confusion, quelle importance accorder à la parole de l’adulte ?

Michela Marzano : Les adolescents qui parviennent à mettre une réelle distance entre porno et réalité sont souvent les plus entourés (par leurs parents mais également par des copains plus âgés, etc.). A ce titre, la parole des adultes est très importante pour remettre en perspective la vision pornographique très réductrice et très codifiée de la sexualité. La parole adulte permet d’affirmer que la sexualité n’est pas un ensemble de gestes et de performances à accomplir mais est faite de sentiments, de rapports, de rencontre et de jeux avec l’autre, d’infinies variations comme autant d’individus.

 Lire la suite de cette entrevue sur le site Doctissimo. Propos recueillis par David Bême, le 11 mai 2005.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 décembre 2006.




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