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La Loi 57 : la hargne de l’État contre les pauvres

8 janvier 2007

par Lucie Poirier

En vigueur depuis le 1er janvier 2007, la loi 57, Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, dont l’application complète s’étalera au cours de l’année, inflige déjà ses ravages.

En effet, au Canada, pays séparé en provinces aux relations plus tumultueuses qu’harmonieuses, le gouvernement de chaque province confie à un ministère, avec des programmes, la gestion des problèmes d’indigence et d’assistance publique. Au Québec, ce ministère s’appelle Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et sa titulaire se nomme Michelle Courchesne.

L’aide sociale a été obtenue grâce à de longues et harassantes luttes et elle correspondait à un droit. Dans un monde égalitaire, nous n’en aurions pas besoin. La planète fournit suffisamment de ressources pour nourrir tout le monde mais, puisque nous échouons à les répartir également - en fait nous n’avons pas du tout la volonté d’une telle répartition - il y a des pauvres et des riches. Alors qu’on supposerait les pauvres rongéEs non seulement par la faim, mais aussi par une animosité envieuse à l’égard des riches, ceux-ci expriment davantage un fielleux mépris et une insistance véhémente à priver de plus en plus les démuniEs et à les accabler de mesures toujours plus répressives.

Ainsi, avec la loi 57, les normes d’application des Programmes spécifiques de l’Aide sociale ne sont pas publiées. Les recours (demande de révision et droit d’appel sur les décisions rendues) deviennent impossibles. Tout en contrevenant à la loi d’accès à l’information, le gouvernement fournit ainsi à ses agentEs la possibilité d’abuser de leur pouvoir décisionnel et l’occasion d’humilier, insécuriser, menacer les pauvres assistéEs qui ne savent pas à quoi s’attendre et sont d’avance condamnéEs à l’impuissance. L’aide est conditionnelle et selon le mérite.

Les personnes assistées sociales sont désormais soumises au bon vouloir, à l’arbitraire, à l’humeur, à la condescendance, aux reflux gastriques, aux démangeaisons gênantes et autres virements de girouettes des agentEs ainsi que de la ministre qui peut, selon son irritation du moment, ses caprices du jour ou l’air du temps ajouter des conditions particulières autres que celles prévues au règlement.

Dans le cadre de la LOI 57, L’APPLICATION EST DISCRÉTIONNAIRE.

Cela ressemble au Far West et à la manie de tirer sur tout ce qui bouge pour se désennuyer. En général, les riches aiment bien humilier les pauvres ; ça les occupe, ça maintient une habitude de tous temps et ça leur confère une impression de supériorité.

La loi 57 est pire qu’un retour à la charité. Autrefois, les institutions religieuses pouvaient prétendre faire le bien, maintenant, les agents gouvernementaux peuvent se vanter de contrôler le mal.

Car les personnes assistées sociales, les pauvres, les employéEs à revenus faibles ou modestes, les sur-scolariséEs sous-employéEs, les chercheurEs d’emplois, les travailleurEs autonomes, les étudiantEs endettéEs, les victimes de la DPJ, les psychiatriséEs désinstitutionaliséEs, les incestuéEs, les non-syndiquéEs, les aînéEs, les faibles, les fragiliséEs, les personnes naïves, les êtres désillusionnéEs, les gens qui n’ont pas réalisé leurs rêves sont considéréEs comme la lie d’une société, celles et ceux sur qui les multinationales, les gouvernements, le patronat, les propriétaires, les banques, les représentantEs du capitalisme et du néolibéralisme s’appuient dans leur exploitation abusive pour augmenter leurs profits. Ils ne se contentent pas de rentabilité, ils ont l’obsession d’excès, de surplus, de disproportions toujours plus énormes, même infinies. La valeur financière croît toujours au détriment de la valeur humaine.

En 1963, le juge Émile J. Boucher, dans son rapport sur l’assistance publique (page 118) recommandait des principes de « justice sociale. L’État n’a pas à se préoccuper d’être charitable ; il a cependant le devoir d’être juste. C’est pourquoi il importe qu’il reconnaisse clairement le droit du citoyen à l’assistance. »

En 1969, le bill 26, la première loi de l’aide sociale, établissait que l’aide était attribuée en fonction d’un droit, peu importait la cause et la durée du besoin, il s’agissait d’UN RÉGIME BASÉ SUR LE DROIT. Les bénéficiaires n’étaient pas obligéEs de participer à des projets pilotes, ni de travailler, ni de justifier leur pauvreté ou leur emploi du temps.

Hélas, la loi 37 en 1988, la loi 186 en 1998 et la loi 57 adoptée en 2005 et en vigueur en 2007 ont grugé de plus en plus les doits des personnes assistées sociales.

John Murphy, président du Conseil national du bien-être social, a déclaré le 24 août 2006 qu’en tenant compte de l’inflation, les prestations sont plus basses qu’en 1986 dans bien des cas. Donc, en vingt ans, la situation ne s’est pas améliorée, la misère des pauvres a empiré.

Maintenant, les bénéficiaires de l’aide sociale ne peuvent que rêver d’une faveur accordée en fonction du pouvoir discrétionnaire de la ministre et de ses agentEs.

En 1993, 1998 et 2006, l’ONU a blâmé le Québec et le Canada pour leurs négligences en matière de pauvreté, de logement, d’alimentation et d’itinérance. Malgré la possibilité, pour l’ONU, de recourir aux tribunaux, Steven Harper, Premier ministre du Canada, et Jean Charest, Premier ministre du Québec, ont refusé de répondre à l’ONU, de réagir aux blâmes et surtout de mettre en place des mesures pour atténuer les contradictoires conditions de vie d’une population confrontée à des conflits de plus en plus violents.

Les gouvernements ont intérêt à entretenir une haine à l’égard des pauvres ; d’abord pour justifier leurs décisions, leurs cessations de financement dans des programmes sociaux, mais aussi pour distraire le peuple afin qu’il n’y ait pas de mobilisation pour réclamer de meilleurs systèmes de santé, d’éducation, de justice et une transparence politique.

Au Québec, depuis des années, le gouvernement subventionne une télésérie humoristique dans laquelle on amplifie l’image déjà péjorative des assistéEs à travers l’histoire d’une famille d’assistés sociaux qui se révèlent être des voleurs, des fraudeurs, des paresseux et des malpropres. La série Les Bougons est bien sûr diffusée par le réseau de la télévision d’État, la Société Radio-Canada. Le gouvernement s’assure que, dans la population, règne une mentalité vindicative à l’égard des pauvres et plus particulièrement des personnes assistéEs sociales. Pendant qu’on les déteste, on ne réclame pas des améliorations à nos gouvernements. Ainsi, il n’est plus question de droit à des réponses aux besoins de base pour toutes et tous, mais d’encouragement à la paresse pour les crottéEs malhonnêtes.

Toujours au Québec, en vertu de la Charte des droits et libertés, des enfants fréquentent l’école en possession d’une arme blanche, un couteau symbole religieux appelé Kirpan. Dans cette même province, le 11 mai 2006, l’Organisation populaire des droits sociaux, l’OPDS, a surnommé la ministre Cruella Courchesne, exprimant ainsi sa désapprobation des réformes qu’elle vient d’imposer, et a organisé une manifestation devant la résidence privée de la ministre à Laval-sur-le Lac (un quartier résidentiel où ont été construits des châteaux). Une telle action est considérée comme un geste de désobéissance civile proche de l’illégalité. Donc, au Québec, des enfants qui s’expriment avec des couteaux frôlent moins l’illégalité que des adultes qui s’expriment avec des mots. Une arme offensive est plus acceptée qu’une déclaration défensive. On est conciliant pour des questions religieuses, mais intolérant pour des droits humains. Sans droit de plainte, de réaction, de contestation, il n’y a pas de liberté.

Le gouvernement ne pourrait guère nous persuader de son efficacité à mettre fin à la pauvreté quand on sait qu’une situation telle que la suivante est habituelle au Québec : des médecins spécialistes reçoivent au minimum 500$ de l’heure pour donner une conférence lors de laquelle ils font de la publicité pour une compagnie pharmaceutique. Personne ne s’inquiète de l’aspect éthique ni ne s’insurge que, pendant ce temps, la prestation de base pour unE adulte, à qui on condescend une aide sociale, est de 543$. Ce que l’un reçoit en une heure, l’autre l’obtient pour un mois.

Nous payons l’État pour qu’il abolisse la pauvreté et les problèmes sociaux alors qu’il s’attaque aux pauvres et aggrave les inégalités. La loi 57 est violente, répressive, discriminatoire, elle est le résultat de la mentalité hargneuse du gouvernement qui redistribue notre argent avec parcimonie, mépris et reproches.

En profitant à tout le monde, la richesse établirait l’égalité et l’équité au lieu d’entraîner des déséquilibres et des injustices. Avec une répartition égalitaire des ressources, toutes les personnes selon leurs capacités participeraient au fonctionnement de la société, toutes les personnes, actives ou non, se sentiraient incluses dans la société au lieu de souffrir de rejet et d’être à la merci de celles et de ceux qui ne veulent rien savoir ni rien admettre à propos de l’injustice et de la misère, à la merci d’agentEs fierEs de faire peur, à la merci d’une ministre satisfaite de priver davantage des êtres défavoriséEs.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 janvier 2007

Lucie Poirier


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