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L’éducation des filles en Afrique

26 janvier 2007

par Yolande Dupuis, artiste en arts visuels

L’auteure est membre du comité fondateur de la fondation "60 millions de filles" dont il est question dans cet article.



    Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. C’est même la seule chose qui se soit jamais produite. (Margaret Mead)

Un groupe de femmes de Montréal

Un groupe de femmes déterminées de Montréal s’est intéressé au sort des filles africaines qui n’ont pas accès à l’école et a mis sur pied la fondation « 60 millions de filles » (1) pour appuyer l’éducation de ces filles, en concordance avec l’objectif du millénaire des Nations Unies pour le développement.

Quoi, direz-vous, encore une autre fondation ? Eh oui ! Car, malgré des progrès constants et encourageants, il y a encore 110 millions d’enfants qui attendent un coup de pouce pour accéder à l’éducation et 60 millions de ces enfants sont des filles. C’est à elles particulièrement que la fondation s’intéresse pour le moment, jusqu’à ce qu’elles soient à parité avec les garçons.

Une autre fondation, oui, parce que s’impliquer dans une cause humanitaire à laquelle nous croyons reste souvent notre seul moyen de ne pas accepter l’inacceptable.

Une femme d’action : Wanda Bedard

Le moteur de cette nouvelle fondation est Wanda Bedard, une femme d’affaire prospère de Montréal, cheffe d’une importante entreprise de fabrication métallique. Bouleversée par le triste sort fait aux femmes afghanes, elle ne cessait d’en parler quand ses filles, un jour, lui ont demandé ce qu’elle pouvait faire à part d’en discuter. C’est cette question qui la fait passer à l’action. « Je sens que je n’ai pas le droit de laisser faire, car je suis privilégiée simplement parce que je suis née ici et dans une bonne famille, sans l’avoir mérité, et ces filles laissées pour compte, ça aurait pu être moi... »

Wanda Bedard avec des filles au Mozambique (photo de W. Bedard).

Elle s’implique donc comme bénévole à l’Unicef, à Montréal, où elle organise des levées de fonds et agit comme oratrice dans les écoles. En 2005, on lui demande d’organiser une campagne de financement pour bâtir une école au Burkina Faso. Elle réunit une équipe performante et ensemble, elles réussissent, en quelques mois, à ramasser les 100,000$ nécessaires à ce projet : la construction d’une école qui doit accueillir au moins 50% de filles, la construction, aussi, de latrines séparées pour garçons et filles, le creusage d’un puits et la préparation d’un potager communautaire. Mission accomplie !

L’année suivante, Wanda se rend compte que, pour réaliser un autre projet, elle ne peut plus compter sur l’Unicef, l’organisme ayant changé sa structure et sa philosophie. Baisser les bras ? Il n’en est pas question ! Wanda, en cheffe d’entreprise qu’elle est, décide alors de mettre sur pied sa propre fondation. Elle refait une nouvelle équipe avec ses anciennes complices du projet du Burkina Faso, en ajoutant d’autres personnes intéressées, venant de différents horizons, et c’est reparti !

C’est alors la longue traversée frustrante de la phase « tracasseries et paperasseries » administratives pour obtenir l’incorporation et rencontrer les normes gouvernementales. Arrive enfin le point central : quel projet appuyer ? Car « 60 millions de filles » existe pour subventionner des projets existants, acceptés par les communautés locales. Il faut donc trouver un projet qui marche et qui appuie l’éducation en mettant l’accent sur la présence des filles à l’école. Ce sera le projet du « Centre d’apprentissage Umoyo » en Zambie, soutenu par la fondation Stephen Lewis. L’objectif : ramasser 100 000$ pour soutenir plus de cent filles pendant un an.

Le projet Umoyo

Quel est donc ce projet ? Le « Centre d’aprentissage Umoyo » situé à Lusaka, capitale de la Zambie, accueille, chaque année, des groupes de 60 à 80 filles qui lui sont reférées par la communauté, surtout des filles « orphelines du sida ». Dans son livre Contre la montre, Stephen Lewis nous décrit le cheminement de ces filles qui arrivent à ce pensionnat, démunies, le cœur en écharpe, et qui reçoivent, tout d’abord, du soutien moral et de l’encadrement psychologique, durant les premières semaines, puis abordent ensuite un programme scolaire académique ainsi qu’un apprentissage dans différents métiers, comme l’artisanat, la coiffure, la couture ou le commerce. On réussit ainsi à créer un climat d’entraide et d’espoir et on arrive à rendre les filles autonomes, prêtes à retourner dans leur communauté gagner leur vie, soutenir leur famille ou poursuivre leurs études.

Une jeune femme épanouie : Lucy

Lucy, graduée du Centre Umoyo.

Lucy, une graduée du Centre Umoyo, souriante et sûre d’elle, s’est confiée à Ky’okusinga, (3) en lui disant comment le Centre l’a bien préparée à reprendre sa vie en main. Orpheline, elle peut maintenant gagner sa vie et s’occuper de ses frères et sœurs. Elle anime actuellement des ateliers d’éducation populaire dans sa communauté de Chawana, afin d’expliquer aux gens comment éviter la propagation du virus du sida et contrer la violence familiale ; et elle continue d’étudier le soir pour devenir travailleuse sociale afin d’aider ses compatriotes et devenir un modèle pour les autres filles. « Je sais que j’y arriverai ! », affirme-t-elle, avec assurance. Justement, à Umoyo, on s’applique à rendre les filles confiantes et prêtes à l’action.

Le lancement de la fondation

La nouvelle fondation reçoit tout de suite deux appuis précieux : une marraine, Ariane Émond, journaliste, et le soutien de la sénatrice Céline Hervieux-Payette. Tout le monde se met au travail pour établir les bases de fonctionnement de la fondation, élaborer le plan pour la campagne de financement, créer des réseaux de personnes ou de groupes (des groupes de femmes, en particulier), prêts à l’appuyer financièrement ou moralement et enfin, se faire connaître en s’assurant d’une bonne visibilité. Les médias sollicités ont été au rendez-vous : journaux, télévision, radio et aussi le web.

Et enfin, le 27 novembre, a lieu le lancement officiel de la fondation « 60 millions de filles », avec vin d’honneur et conférence de Stephen Lewis, à l’École des Hautes Études Commerciales. Ce fut un succès, avec une couverture émouvante de Radio-Canada (2). Et la fondation a effectivement ramassé les 100 000$ projetés !

Les gens sollicités ont été touchés par notre approche : cibler un seul projet sérieux qui fonctionne bien et dans lequel les organisatrices croient fermement, avec la garantie que tout l’argent va au « Centre Umoyo », puisque toute l’équipe travaille bénévolement...Et les gens ont contribué, persuadés que leur don servira, réellement, à offrir une chance à ces filles qui, tout à coup, ne sont plus des visages anonymes pour eux.

Les filles à l’école : une cause

Pourquoi l’éducation ? Évidemment, les gens savent déjà, sans avoir fréquenté l’école, beaucoup de choses transmises par tradition orale dans la famille et la communauté. Mais l’école fait plus, elle rend capable de lire, de mieux communiquer, de faire des choix informés et surtout, ouvre la porte à l’élargissement des connaissances et au contact avec le reste du monde.

Et, malheureusement, les filles fréquentent peu l’école. Généralement elles sont responsables des tâches domestiques comme de s’occuper des enfants et d’aller chercher l’eau, ce qui est trop souvent une corvée qui prend plusieurs heures par jour. Et puis, elles vont se marier et quitter la famille, donc, quand les ressources sont limitées, on préfère investir dans l’éducation des garçons.

La fondation a choisi particulièrement l’éducation des filles car, dans les milieux oeuvrant à l’international, on observe une tendance à penser que c’est la pierre angulaire du développement durable et qu’il y a beaucoup à gagner pour tous par l’éducation des filles : de meilleurs salaires, une agriculture plus productive, des familles plus petites et plus saines, la réduction de la mortalité des bébés et des mères à l’accouchement, de la violence familiale et du danger de contracter le sida, en plus de créer un climat qui favorise la démocratisation dans la famille, la communauté et le pays.

En attendant...

La vraie solution aux problèmes de pauvreté est connue : le juste partage des richesses, pour que tous puissent vivre avec dignité sur cette planète. Mais, hélas, ce n’est pas encore prioritaire dans les ordres du jour des gouvernements.

En attendant, il faut vivre avec une réalité plus boiteuse, qui s’appelle l’aide humanitaire internationale, capable du meilleur et du pire. Soit le financement généreux de projets admirables ou encore, dans les pires cas, le financement magouilleux de projets inutiles ou mal ficelés.

Appuyer l’éducation de qualité, c’est avant tout offrir, aux gens, un outil, pour s’en sortir et devenir autonomes à long terme, et ceci me semble un projet qu’on peut absolument classer parmi les meilleurs.

Notes

1. Site.
2. Radio-Canada.
3. Avec l’aimable autorisation de Ky’okusinga Kirunga.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 janvier 2007.

Yolande Dupuis, artiste en arts visuels


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