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Méchant ressac ou KIA raison ?

29 janvier 2007

par Michèle Bourgon

Il y a quelques années, j’avais assisté à une conférence féministe à l’Institut Goethe. Ce qui m’avait attirée alors, c’était plus la conférencière, qui me fascinait, que le sujet. Lise Payette avait parlé du backlash. J’appellerai cela ressac : retour violent des vagues sur elles-mêmes lorsqu’elles se brisent sur un obstacle. C’était en 1993...il y a 14 ans.

L’inspiration, madame Payette la tenait d’un livre de Susan Faludi intitulé Backlash, the undeclared war against american women (1). En substance, le livre prévenait contre le fait que les jeunes femmes croyaient que le féminisme était révolu, fini ; que les femmes n’avaient plus besoin du mouvement pour évoluer ; que l’égalité des sexes était acquise. Mesdames Faludi et Payette étaient loin d’en être convaincues. Et elles avaient raison.

La tendance à croire que le besoin d’une action concertée des femmes pour affirmer leur identité, pour demander le respect de leurs droits et l’affirmation de leur égalité à l’homme est périmé, s’accentue. Il est maintenant mal vu de s’affirmer féministe (homme comme femme). Les femmes ayant acquis le droit de revendiquer leur place sur le marché du travail, les autres revendications ne semblent plus nécessaires à plusieurs d’entre elles. Elles ont la chance de faire leurs preuves et elles vont ainsi avoir leur place. Donc, aux galères, les féministes ! Le phénomène était déjà en mouvement aux Etats-Unis.

Les femmes sont devenues des superwomen malgré elles. Elles se sont trouvées confrontées aux exigences du marché du travail, à la compétition et à la performance, au désir d’avoir des enfants, ensuite à l’éducation des enfants, à la responsabilité d’entretenir la sensualité du couple, à l’entretien ménager, et j’en passe et j’en passe. Des gains par rapport à une trentaine d’années ? Très certainement, mais le prix à payer fut fort. Le décrochage scolaire, le mal-être des hommes, leur suicide : tout cela leur est mis sur leur dos. Les femmes ont les épaules larges.

Les jeunes femmes vivent plus librement. Il est vrai. Mais qu’a fait la société de cette liberté ? Comment ces jeunes femmes ont-elles intégré cette liberté ? L’hypersexualisation, entre autres, est apparue. On a voulu imposer des modèles, des modes de vie aux femmes surtout par le biais de magazines féminins, des idoles comme Madonna (n’est pas Madonna qui veut) et les plus vulnérables d’entre nous demeurent encore les adolescentes qui, on le sait, sont de grandes consommatrices de ce type de lectures. Le pire, c’est que nombre de femmes adultes endossent, appuient peut-être inconsciemment, diffusent l’image stéréotypée du mannequin sous-alimentée, presque nue sous couvert de « modernité et de liberté ». Mais est-ce bien là que se situent la modernité et la liberté des femmes ? Les jeunes filles acceptent maintenant d’être désirées pour leur corps uniquement. On les y incite fortement, d’ailleurs. Certaines féministes considèrent que c’est bien : les femmes ont maintenant la même liberté que les hommes. Évidemment, nous sommes au XXlième siècle, me direz-vous. Ouais... mais, je me questionne.

L’identification des jeunes filles aux mannequins est de plus en plus forte. Certaines en meurent. L’anorexie est une maladie qui fait peur. Doit-on faire porter le blâme aux magazines de mode ? Oui, l’anorexie a toujours existé. Ouais mais, je me questionne.

Je lisais dans Le Devoir de samedi (le 27 janvier 2007) que les Québécoises étaient les femmes qui avaient le moins d’enfants. Un démographe, M. Le Bras, émettait l’hypothèse que c’était parce que les féministes d’ici avaient été très violentes, il y a une vingtaine d’années... « Mais si j’avais une piste à explorer, dit-il, pour expliquer notre taux de natalité très bas, j’irais voir du côté de la révolte des femmes. Je ne connais pas beaucoup de pays où le féminisme a été aussi violent et où la revanche des femmes a été aussi forte contre l’oppression qu’aurait subie leur mère ». Ainsi, on ne ferait plus d’enfant pour se venger.

Les annonces télévisées deviennent de plus en plus sexistes. Ouvrez les yeux, les oreilles. Sous couvert de l’humour (d’ailleurs, si vous ne riez pas à ces représentations, c’est que vous êtes une pète-sec), on montre des femmes dans des situations affligeantes. Les pubs de certaines marques de bière suscitent peu de controverses, alors qu’il y a seulement dix ans, le mouvement féministe aurait réagi bruyamment, refusé, protesté, boycotté. Maintenant, on se contente de maugréer. Les compagnies de bière nous dictent notre mode de vie. Vous devez penser comme cela et...nous pensons comme cela.

L’influence de la publicité sexiste

L’annonce de KIA où l’on présente une policière en service en train de s’envoyer en l’air dans la petite voiture en est un bon exemple. Plusieurs personnes ne voient pas, ne réalisent pas que cette annonce véhicule un stéréotype dangereux que l’on croyait éradiqué : celui de la belle idiote, irresponsable. Plusieurs hommes sont contents de voir cette annonce. Elle correspond à leurs fantasmes, ai-je lu. Les policiers ne sont pas très appréciés de façon générale. Les femmes policières, encore moins. Elles doivent souvent imposer leur autorité à des hommes et à des femmes qui en ont justement contre la justice, contre toute forme d’autorité. Le mépris pour les policiers, et encore plus pour les policières, que cette annonce peut insinuer dans l’esprit des gens est en lui-même vicieux. La majorité des gens ne voient pas, ne prennent pas conscience, disent : « Voir si on devient sexiste parce qu’on voit une annonce, voyons donc ! » Ah non ?

La phrase-choc de cette annonce : « On te cherche depuis une demi-heure... » C’est qu’elle est en service ! Je ne souhaite à aucune policière en service de se présenter en retard au travail... On ne comprend pas que cette forme d’humour ouvre des portes au sexisme au travail, rouvre des portes au sexisme dans la société.

La même réaction était venue jadis quand on avait interdit aux fabricants de cigarettes de commanditer la course de Formule Un. Même raisonnement : « Voir si je vais commencer à fumer parce que je vois une annonce de cigarettes ! » Les gens sont persuadés qu’ils sont plus intelligents que ça. Si cela était, à quoi servirait la pub ? Les cigarettiers auraient dépensé des milliards pour rien ? Pour nous offrir l’occasion de voir de rutilants bolides ? Eille, vous rêvez ? Ce raisonnement-là, les publicistes le connaissent.

Récemment, j’ai écrit par courriel aux Normes canadiennes de la publicité pour dénoncer une annonce que je jugeais carrément sexiste. On m’a répondu par courrier postal qu’on avait bien reçu la plainte ; ensuite, on m’a écrit à nouveau pour m’envoyer les explications de l’annonceur : jamais, il n’a voulu insulter une partie de la population. Les NCP me demandent si je suis satisfaite ; me disent que si je ne le suis pas, j’ai une semaine pour confirmer ma plainte, mais que je serai sûrement satisfaite de savoir que l’annonce s’arrête le 7 janvier...

J’ai écrit à nouveau par courriel pour demander que ma plainte, nonobstant les explications de l’annonceur, soit retenue. On m’a encore répondu par courrier postal que, comme je défendais une cause (le féminisme - forcément, j’écris chez Sisyphe ) et que j’allais possiblement publier la réponse, ma plainte devenait caduque. Ils n’en tiendraient plus compte (2). Filière 13.

Efficaces, les NPC... Je suis impressionnée.

Il est question ici de défendre nos droits pour que la société soit plus juste et équitable. Pour éviter le ressac.

Notes

1. Susan Faludi, Backlash, The undeclared war against American women, Crown Publishers, N-Y, 1992, 522 p. Susan Faludi a remporté le prix Pulitzer avec ce livre.
2. La réponse des Normes canadiennes de la publicité est étiquetée "Confidentielle". On se demande d’ailleurs pourquoi.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 janvier 2007

Michèle Bourgon


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2582 -