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Prostituées par choix ?

25 février 2007

par Lucie Poirier

L’être humainE maintient une situation tant qu’elle/il y trouve un avantage.

Les « pro-prostitution, les prostituphiles, celles et ceux qui légitiment, justifient, encouragent la prostitution, veulent la continuation d’un rapport inégalitaire entre la femme et l’homme. Malgré les demandes féministes et les tentatives des femmes pour établir leur influence dans toutes les sphères de la société, persistent des situations où la femme perd toute possibilité de s’exprimer en accord avec ce qu’elle ressent et souhaiterait. La prostitution est une des formes de soumission de la femme, une banalisation de son infériorisation, un déni de son intelligence et de sa sensibilité, une stratégie politique et sociale pour saper sa crédibilité.

Même si tous les hommes ne passent pas à l’acte (entre 15 à 20% des hommes paieraient pour un acte sexuel), ils approuvent que persiste la violence faite aux femmes par l’intermédiaire de la prostitution. Pour certainEs, il importe de maintenir une mentalité qui favorise l’homme au détriment de la femme diminuée.

Pour se replier à l’écart des demandes et des affirmations de la femme, l’homme se rabat vers une structure sans surprise, rétablissant les prérogatives que la révolution sexuelle et les revendications féministes avaient ébranlées. Confronté à son implication dans un acte sexuel relationnel où le plaisir de la femme se développe, l’homme retourne aux concepts archaïques où la femme sert à sa satisfaction - à lui et à lui exclusivement. Il est admis que la prostituée simule le désir et l’orgasme. L’homme veut être persuadé qu’il est phalliquement indispensable à la femme, la prostituée le conforte dans cette croyance. Coincée dans une dichotomie simulation/dissimulation, alors qu’elle ne veut plus rien ressentir, elle feint le plaisir. Jusqu’à s’abuser elle-même parfois.

L’acte prostitutionnel est un contexte prédéterminé, circonscrit, clos (d’ailleurs on dit maison close) qui assure la persistance du déséquilibre, de plus en plus contesté, des rapports entre les sexes, entre les classes, entre les races. Les stéréotypes, les mythes, les préjugés, les fantasmes sont réactivés dans la prostitution.

L’homme paie pour l’effort de la femme à le satisfaire, pour sa reddition à s’affirmer, pour son renoncement à sa dignité. L’homme achète la volonté de la femme ; celle-ci s’abstrait, se dématérialise, se dépersonnalise. L’homme prostitueur s’approprie l’être avec son unicité, son identité, sa sensibilité, il n’y a plus de refus, de négociation, d’apprivoisement. Avec une prostituée, l’homme ne négocie pas, il ordonne.

La femme inaccessible, incontrôlable, féministe est dressée, domptée, brisée, elle va même revenir pour recevoir des coups, il règne, elle obéit. Son renoncement à elle-même la rend endurante, simulatrice, jusqu’à l’effort. Elle a l’air d’aimer ça et d’en vouloir plus.

Dans le rapport prostitutionnel, l’homme exige cette simulation, cet effort, cette rupture de la femme avec elle-même ; à ses yeux, elle consent, elle veut, elle accepte. C’est l’enjeu principal du rapport entre la femme et l’homme : elle cesse de résister, elle admet le contrôle de l’homme et y participe. Elle lui fournit l’illusion de sa supériorité. L’argent autorise l’homme prostitueur à recevoir cette déchéance de la femme aliénée jusqu’à croire parfois qu’elle est en situation de pouvoir.

Être l’objet d’une obsession diffère d’être le sujet de sa volonté.

L’entente tacite dans la prostitution suppose que la femme agit en « faisant semblant ». La femme se résigne à plaire à l’homme dans l’abandon total de son individualité. Il n’y a plus échange, de réciprocité, d’altérité.

La femme se conforme à l’attente de l’homme. Elle se transforme dans son corps et dans son esprit pour correspondre à l’exigence de l’homme qui nie, renie, toute velléité de réalité de la part de la femme. L’acte sexuel dans la prostitution doit être réaliste, pas réel.

La distance de la femme avec elle-même est telle qu’elle change de nom, qu’elle utilise des trucs pour se concentrer sur autre chose que ce qu’elle fait, qu’elle prend des anesthésiants chimiques ou psychologiques.

Des femmes, sans alcool ni drogue, s’infligent la prostitution, au nom de quoi ? Quel avantage parvient à les dissocier d’elles-mêmes et à les rendre soumises et même participantes à leur abjection ? Comment expliquer ce consentement des prostituées qui s’identifient travailleuses de sexe et non esclaves sexuelles ?

J’ai rencontré Rose Dufour lors d’une après-midi de réflexion sur le thème « L’enfermement dans la prostitution » organisée par le CLES (Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle) le samedi 27 janvier 2007 à Montréal (Québec). Pour Madame Dufour, le manque d’estime d’elles-mêmes amène des femmes à être « valorisées par le discours des hommes. En étant escortes, elles deviennent radieuses, elles sont transformées par le regard des hommes ».

Ce même jour, je me suis entretenue avec Claudine Legardinier après sa description de l’expérience de la Suède où une loi globale « La paix des femmes », votée par un parlement de 47% de femmes, interdit l’achat de services sexuels ; la femme n’est plus criminalisée, le client est responsabilisé et à Stockholm la prostitution a diminué de 92%. Elle aussi a observé que l’entrée volontaire d’une femme dans la prostitution peut être en lien avec « une image exécrable d’elle-même ». Elle a constaté que des dettes, l’influence d’un compagnon, la croyance que ce n’est que provisoire, sont aussi des circonstances.

Madame Legardinier ajoute : « Il y a du déni, un mécanisme psychologique, on ne voit pas d’issue, donc on se dit qu’on l’a choisi. Pour garder la tête haute, quelle liberté reste sinon dire que je l’ai choisi ? »

En effet, admettre qu’on a fait son malheur, qu’on l’a cautionné, qu’on l’a réitéré, ne procure pas une grande fierté, mieux vaut, croient-elles, continuer à s’illusionner. Aussi, certains constats nécessitent une habileté langagière qui n’est pas immédiate ou facile. Se dire est exigeant. Au niveau du vocabulaire et de la conscience. S’expliquer, se comprendre et se pardonner sont encore plus difficiles.

Par la légalisation de la prostitution, une société réitère un système ancien, patriarcal, capitaliste, détériore la condition de la femme, augmente la criminalité, aggrave la situation des sans-papiers (immigrantes illégales), favorise la prostitution des mineurEs, amplifie le marché de la drogue et facilite le trafic des humainEs.

Le principal avantage de prostituphiles réside dans l’obstacle ainsi infligé à la progression des droits de la femme. La prostitution est une façon de refuser l’égalité entre la femme et l’homme.

Les lobbyistes de la prostitution bénéficient de beaucoup d’argent, de la complicité de politiciennes et politiciens, et du témoignage de femmes qui prétendent se prostituer par choix. Les médias, les gouvernements, les universités, donnent de l’importance aux prostituées volontaires car elles disent ce que les misogynes veulent entendre.

La place qui leur est accordée est disproportionnée, pourtant, par rapport au nombre de femmes qu’elles représentent : entre 90 et 98% des prostituées voudraient quitter la prostitution. En Allemagne, lors du 1er bilan de la légalisation de la prostitution, on a constaté que 99% des femmes prostituées ne veulent pas s’identifier comme tel. Ce n’est pas leur parole qui est diffusée, répandue, déterminante.

Les prostituées par choix sont récupérées pour opposer des femmes, pour revenir à des convictions passéistes relatives à leur docilité et à leur vocation servile, pour invalider le discours des abolitionnistes féministes et autres, pour empêcher les fillettes et les femmes d’entretenir de grands rêves d’accomplissement personnel.

Toujours lors de cette après-midi, la députée bloquiste Maria Mourani a elle aussi pris la parole et elle a conclu son allocution en disant : « Il est inacceptable qu’on encourage à la prostitution plutôt qu’à devenir Première Ministre ».

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 février 2007

Lucie Poirier


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