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Requête en Cour supérieure de l’Ontario pour une déréglementation libérale de la prostitution

3 avril 2007

par Richard Poulin, sociologue

Dans une conférence de presse, trois femmes faisant la promotion du « travail du sexe », Terri Jean Bedford, décrite comme ancienne « Bondage Bungalow Dominatrix », Valerie Scott, ancienne prostituée et directrice de l’organisation Sex Professionals of Canada, et Amy Lebovitch, prostituée active, ont annoncé, le 21 mars, le dépôt d’une requête en Cour supérieure de l’Ontario pour faire invalider des articles du Code criminel concernant la prostitution. Les articles visés sont notamment l’article 210 qui interdit la tenue d’une maison de débauche, l’article 212(1)(j) qui interdit de vivre des fruits de la prostitution (proxénétisme) et l’article 213(1)(c) qui criminalise la communication sur la voie publique (le racolage).

La prostitution adulte n’est ni légale ni illégale au Canada, mais certaines des activités qui l’entourent sont criminelles. Toutefois, la répression s’exerce essentiellement à l’encontre des personnes prostituées de rue. Presque toutes les affaires de prostitution déclarées par les forces policières comportent une infraction relative à la communication (92%). Dans les autres affaires, il s’agit d’infractions relatives au proxénétisme (5%) ou aux maisons de débauche (3%).

En fait, en dehors de la prostitution de rue, qui concerne peut-être 20% de l’activité, la prostitution est une activité largement considérée comme légitime, sinon légale et réglementée : les agences d’escortes, les salons de massage « érotique », etc., doivent s’enregistrer et obtenir un permis pour pouvoir opérer et faire leur publicité (offre de « services » et recrutement) dans les médias. La police y opérera une descente s’il y a enregistrement d’une plainte de la part d’un prostitueur ou d’une personne prostituée selon laquelle il y aurait une mineure exploitée par l’agence, le salon de massage, etc., ou plus récemment une victime de la traite internationale. Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que les proxénètes qui exploitent la prostitution des jeunes femmes soient dans une situation de quasi-impunité et prospèrent.

Les requérantes arguent que ces trois articles du Code criminel violent la Charte canadienne des droits et liberté, notamment son article 7 qui concerne la liberté de circuler et la sécurité des personnes. Car, selon elles, l’illégalité de certains aspects de la prostitution, proxénétisme y compris, est la cause des disparitions, des meurtres et, plus généralement, de la violence subie par les personnes prostituées. L’affaire Robert Pickton, où le présumé tueur en série est accusé du meurtre de 26 femmes prostituées, en serait une preuve.

Or, cette requête va évidemment à l’encontre d’un autre article de la Charte canadienne des droits et liberté, soit celui qui prône l’égalité entre les sexes. Car la prostitution se déploie essentiellement en faveur d’une clientèle masculine. Son fondement réside précisément dans l’oppression des femmes et l’exploitation de leur sexe au profit des prostitueurs. La légaliser signifie légitimer l’inégalité entre les femmes et les hommes.

Ce n’est pas la sécurité des personnes prostituées qui est ici l’enjeu véritable, car comment concevoir qu’elles puissent être davantage en sécurité en légalisant le proxénétisme et en offrant aux prostitueurs l’impunité totale, eux qui ne peuvent être poursuivis qu’en vertu de l’article 213, bien que ce dernier soit pour l’essentiel utilisé contre les personnes prostituées de rue. C’est la déréglementation libérale de la prostitution qui est visée sous le couvert de la sécurité des personnes prostituées.

La violence dans la prostitution est le fait des prostitueurs et des proxénètes. Loin de mettre fin à la violence, leur donner une impunité totale et renforcer leur pouvoir ne risquent que d’accroître la violence. La violence subie par les personnes prostituées est très importante tant au Canada que dans les pays qui ont légalisé ou prohibé la prostitution. Elle est intrinsèque à l’activité et aux relations de pouvoir que confère l’acte d’acheter l’accès aux corps et aux sexes et le droit de les utiliser comme moyen et objet de plaisir.

Jack L’Éventreur tuait des personnes prostituées dans une Angleterre où la prostitution était légale et réglementée. C’est prendre des vessies pour des lanternes que de croire que les personnes prostituées seront en sécurité une fois la déréglementation libérale en vigueur. C’est plutôt l’inverse qui risque de se produire.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 mars 2007

Richard Poulin, sociologue


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