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Voyage au bout du sexe
Trafics et tourismes sexuels en Asie et ailleurs

18 avril 2007

par Franck Michel, anthropologue

En forte augmentation, le trafic sexuel à l’échelle de la mondialisation se caractérise aujourd’hui par une forte féminisation des migrations. Avec l’ouverture économique des marchés internationaux de la prostitution, les flux de femmes et d’enfants livrés à la traite et les dérives de la prostitution s’amplifient en toute impunité, étant donné que plus on réglemente la prostitution, plus on encourage l’exploitation sexuelle. Entre autres, l’expansion mondiale du tourisme sexuel renvoie à deux processus qui caractérisent nos sociétés actuelles : premièrement, la démocratisation des flux migratoires et voyageurs (touristes et personnes prostituées circulent désormais dans tous les sens) ; deuxièmement, l’hypersexualité des jeunes entretenue par des médias obsédés par la violence sexuelle, mais également par les nouvelles réglementations des industries du sexe qui banalisent l’exploitation des femmes et des enfants.

La prostitution dite « libre » relève du libéralisme et non de la liberté. Une fois que cette idée aura fait son chemin, il sera peut-être envisageable de changer les mentalités qui emprisonnent nos contemporains dans une société de consommation privée d’humanité.

Le tourisme sexuel se nourrit de la rencontre entre la misère et la beauté du monde. Deux misères et deux beautés qui démontrent la coupure économique qui régit l’ordre inégal de la planète. Misère affective au Nord, misère économique au Sud et à l’Est ; beauté de la consommation et des biens matériels au Nord, beauté des personnes, mais aussi de la spiritualité, du mode de vie et des « traditions » au Sud et à l’Est. Partout, pourtant, le plaisir de l’ailleurs ne vaut que par le respect porté à l’autre ; le métissage du monde constitue l’un des rares espoirs de voir, à long terme, surgir sinon fleurir une autre mondialisation. Il n’y a pas de mal à se faire du bien...sauf si ce bien fait du mal aux autres.

Le tourisme sexuel naît aussi de la rencontre de deux chocs, l’un économique et l’autre culturel, le premier s’avérant au final plus redoutable que le second. Dix causes principales sont actuellement à l’origine, selon nous, de l’essor sans précédent de la prostitution à des fins touristiques dans le monde :

 La pauvreté endémique, encore aggravée par une paupérisation croissante ;
 La mondialisation économique et libérale, favorisant la libéralisation des marchés sexuels et encourageant plus ou moins directement la traite aux fins de prostitution ;
 La persistance et parfois la résurgence des sociétés patriarcales et sexistes, sans nier la résurgence des traditions sur fond de nationalisme ou de communautarisme ;
 La dégradation de l’image de la femme, par les hommes mais aussi par les femmes elles-mêmes, sur fond de violence sexuelle à la fois généralisée et banalisée ;
 L’explosion du tourisme international, mais aussi des flux de migrants en tout genre ;
 La féminisation des migrations et l’augmentation de l’immigration clandestine ;
 L’hypersexualité des jeunes et des populations du Nord en général ;
 L’engouement sans limites pour les paillettes d’une société de consommation impérialiste fondée sur le culte de l’argent ;
 Le clivage Nord-Sud qui, s’il devient complexe et divers, ne cesse pas moins de se creuser et donc de précariser davantage les populations déjà démunies ;
 L’essor du secteur des industries du sexe, qui connaît une importante hausse et diversification et qui tend à fortement se banaliser dans toutes les couches sociales.

(Extrait de la conclusion)

Paru aux Presses de l’Université Laval.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 avril 2007.

Franck Michel, anthropologue


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