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Conjoints agresseurs et victimisation- témoignages
Et bibliographie

décembre 2002

par Martin Dufresne

Les témoignages d’intervenantes, qui accompagnent l’entrevue « Face aux conjoints agresseurs... La danse de l’ours », illustrent les propos du psychologue Rudolf Rausch dans l’entrevue qu’on peut lire ici. Ces témoignages sont suivis d’une bibliographie complète.



La norme implicite

En matière de violence conjugale, la norme implicite atténue la violence exercée par un homme sur une femme et sert à contourner la norme officielle ainsi que la sanction qui s’y rattache. Elle fait aussi en sorte que l’homme ne perde pas tous ses pouvoirs et puisse même retirer les bénéfices prévus. Comment peut-on arriver à une telle aberration ? Par le droit à la justification. (...) La justification aide à contourner la sanction. Puisque la faute est hors de sa maîtrise, due à une situation ou à une perte de contrôle, l’homme n’a pas à répondre de ses actes. Il ne peut rien changer (...). Les courants qui, en psychologie populaire et en criminologie, prônent la réhabilitation ont influencé le discours des hommes agresseurs en insistant sur l’être humain qui est derrière le geste de violence. Une telle analyse risque, à notre avis, d’amenuiser la responsabilité des agresseurs face à leurs gestes et intentions. (...)

Façons d’entretenir la norme implicite : garder le silence face à un rapport de force d’un homme sur une femme, accepter les justifications de l’homme et le blâme de la victime, proposer, au nom d’une institution, d’un gouvernement ou d’un organisme, des solutions à partir de la norme implicite (p. ex., en personnalisant les cas, en voulant " soigner " l’homme agresseur ou en voulant rétablir à tout prix la communication dans le couple, en isolant les hommes agresseurs des autres hommes pour ne traiter que ceux qui dérangent et donner à la violence conjugale une connotation de maladie ou de handicap social, etc.).

(Diane Prud’homme, 1994 : 32, 64)

" Eux, ils s’en sortent toujours "

" Je trouve qu’il n’y a pas assez d’exemples pour les hommes. Ils n’ont pas peur. Ce n’est pas un souci. La femme, c’est quoi ? C’est pas grand-chose, c’est une chose. On lui tape dessus, qu’est-ce qu’on risque ? Si la justice ne nous donne pas d’exemples qu’on attrape ces types et qu’on les mette en prison, ça continuera. "

(Témoignage tiré de Cathy Souffron (1999). Les violences conjugales. Toulouse : Les essentiels Milan, p. 55)

Gondolf et White (2000) définissent les programmes pour conjoints agresseurs comme des " groupes de counseling et d’éducation à caractère hebdomadaire, destinés à des hommes ayant agressé physiquement leur conjointe. Une vaste majorité de ces hommes y sont envoyés par des tribunaux pour des périodes de 3 mois à un an, après avoir été arrêtés et accusés de violence conjugale. "

Beaucoup de partenaires d’agresseurs se disent sous-informées quant à la participation de leur conjoint aux programmes. En général, les conjointes demandent plus d’information sur le programme, des programmes plus longs, une meilleure surveillance de leur conjoint par les animateurs du programme, de contacts avec le conseiller de leur conjoint, et des services d’appui distincts, axés sur leur sécurité. Les femmes qui réclament le plus de changements ajoutent souvent que les programmes " ne fonctionnent pas ", ce qui suggère que leur conjoint continue à les agresser.

(Gondolf et White, 2000)

Les programmes pour conjoints agresseurs comme instruments d’oppression

On nous amène à croire en la nécessité de " traiter " les conjoints agresseurs. Pourtant, on ne juge pas comme acceptable le recours au " traitement " pour les auteurs d’agressions racistes ou hétérosexistes comme on le fait dans le cas des violences infligées aux femmes. Le ridicule et l’inefficacité de telles démarches seraient chose évidente ; on comprendrait qu’elles occultent le vrai problème. (...)

Les hommes qui agressent les femmes ne souffrent pas plus de maladie mentale que la plupart des personnes racistes et ils n’ont pas besoin de " traitement " pour savoir comment cesser d’agresser les femmes. Le problème n’est pas qu’ils " perdent le contrôle " ; ils font preuve, au contraire, d’un contrôle très poussé dans leurs choix de comportements pour conserver le pouvoir. Ils n’ont pas besoin d’" apprendre à gérer leur colère " ; ils y arrivent même mieux que la plupart d’entre nous. Lorsqu’un agent de police se présente, les agresseurs deviennent instantanément la personne la plus effacée, charmante et raisonnable du quartier. Ils attirent le policier sur le terrain de la solidarité masculine tandis que la femme violentée tremble, sanglote et se terre dans un coin, allant parfois jusqu’à hurler son besoin d’aide. Non, les agresseurs n’ont pas besoin d’être " outillés " pour se comporter de façons non-violentes ; ils y arrivent déjà très bien avec des gens comme leurs patrons, l’agent qui verbalise leur excès de vitesse ou leur curé, entre autres. (...)

Les hommes qui agressent les femmes sont comme les autres hommes. Ils ne sont en général ni meilleurs, ni pires. Les hommes qu’on retrouve dans les groupes pour conjoints agresseurs sont simplement ceux qui d’une façon ou d’une autre, ont été pris, habituellement ceux que la culture dominante tient en faible estime. Il s’agit souvent d’hommes pauvres et/ou de couleur ; ils constituent moins de un pour cent de l’ensemble des hommes qui agressent des femmes. (...)

Les programmes de traitement pour hommes violents, ou l’intervention auprès des conjoints agresseurs, qu’on les appelle comme on voudra, constituent de parfaits exemples des outils du maître qui, comme l’a écrit Audre Lourde, ne démantèleront jamais la maison du maître. Ils permettent aux gens de croire que les conjointes des participants sont à l’abri de la violence parce que ceux-ci sont inscrits à un programme, en train d’être " guéris ". Alors que plusieurs années d’expérience (et un grand nombre d’études) nous ont appris que peu ou pas d’hommes changent du fait de ces programmes. (...)

La réalité, c’est qu’une proportion énorme des femmes vit dans une terreur permanente face aux actes et aux menaces de leurs conjoints et face à un système qui les garde sous contrôle et qui les agresse encore davantage. La seule façon dont nous arriverons un jour au moindre changement appréciable ou quantifiable de la violence des hommes à l’égard des femmes et enfants est un travail d’organisation en vue d’un changement de société.

(Rose Garrity, 2002 - R. Garrity est directrice de la maison d’hébergement A New Hope Center et présidente de la New York State Coalition of Domestic Violence Shelters)


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 Publié d’abord dans Nouvelles questions féministes, édition de décembre 2002

 Mis en ligne sur Sisyphe en janvier 2003

Martin Dufresne

P.S.

DOSSIER COMPLET


 Conjoints agresseurs et stratégie masculiniste de la victimisation


 Face aux conjoints agresseurs... La danse de l’ours
Entrevenue avec le psychologue québécois Rudolf Rausch.

 Conjoints agresseurs et victimisation- témoignages et bibliographie.

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