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Gazette des femmes - Réflexions autour d’un ramdam

19 août 2007

par Élaine Hémond, consultante et formatrice

Comme il n’y a jamais de fumée sans feu, il n’y a pas non plus de ramdam dans un orchestre sans interprétations différentes d’une partition. C’est avec la double lunette d’une féministe active et d’une ex-journaliste indépendante que je me permets d’apporter mon interprétation de ce ramdam à la Gazette des femmes, dénoncé par la journaliste du Devoir, Isabelle Porter.

Plusieurs facettes de la question méritent d’être regardées au-delà de la tentation de céder à la facile diabolisation d’un féminisme vu comme trop radical. Cette tendance, d’ailleurs fort bien exploitée par les masculinistes et par les milieux ou individus qui ont encore beaucoup à perdre de l’égalité tous azimuts des femmes, est, j’en conviens, attirante et même très glamour actuellement.

Il est pourtant dangereux, avec ce dossier, de donner prise à l’idée que non seulement l’égalité des femmes et des hommes est désormais consommée au Québec, mais que les femmes bénéficient d’avantages indus en 2007.

La mission du Conseil de statut de la femme

D’abord, parlons de la mission du Conseil du statut de la femme, dont relève la Gazette des femmes. Les propos d’Isabelle Porter et ceux de la plupart des commentateurs de cet article dénotent une méconnaissance du rôle et de la nature du Conseil.

    Le Conseil du statut de la femme est un organisme gouvernemental de consultation et d’étude qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Il conseille le gouvernement du Québec sur tout sujet qui concerne la condition féminine et fournit de l’information pertinente aux femmes et au public.

Il semble aussi y avoir confusion entre le journalisme exercé dans un média grand public (dont le but est le tirage et la rentabilité) et un journalisme institutionnel (dont le but est la promotion d’une vision ou d’une mission).

Enfin, ce débat évacue la concertation qui s’est faite en 2004 et 2005 autour, justement, de la mission du Conseil du statut de la femme. Après la publication de l’Avis du Conseil, intitulé Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes, une vaste consultation publique a été tenue et a débouché sur une commission parlementaire. Souvenons-nous que cet Avis proposait une ouverture à une approche mixte de la mission visant à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. L’Avis suggérait même le remplacement du Conseil du statut de la femme par un Conseil de l’égalité. Oui, convenons-en, ce projet offrait une vision plus smooth de l’égalité.

Une approche miroir prématurée

Certaines personnes, dont je suis, percevaient dans cette école de pensée la priorisation d’une ’approche miroir’ des problématiques qui risquait d’oblitérer les écarts entravant encore, sous plusieurs volets, l’égalité des chances des femmes. Dans le milieu féministe, on craignait notamment la mise en oeuvre de solutions symétriques faisant fi des réalités encore fort différentes des femmes et des hommes (pauvreté, violence, participation politique et décisonnelle...).

Le rapport rédigé et adopté à l’unanimité par les membres de la commission parlementaire a d’ailleurs retenu la vision portée et défendue par les citoyennes et citoyens. Ce rapport a convenu qu’avant de s’autoriser, comme société, à regarder l’égalité à travers une lunette symétrique, il était nécessaire de poursuivre les efforts pour réduire les inégalités dont souffrent encore les femmes. Le maintien de la mission et de la nature féministes du Conseil a donc été réaffirmé par le gouvernement du Québec suivant la volonté démocratiquement exprimée.

Ambiguïté d’un message

Revenons maintenant à la Gazette des femmes, publication officielle du Conseil du statut de la femme. Quoique très professionnels et extrêmement bien faits, les derniers numéros de la Gazette suscitent en effet certains questionnements quant au respect des conclusions du rapport de la commission parlementaire et de la mission du Conseil. Quelques exemples. Bien sûr, la violence féminine existe. Les femmes ne sont pas des anges. Bien sûr, de nombreux jeunes papas assument leurs responsabilités et c’est tant mieux. Bien sûr, et heureusement, la libido et l’érotisme féminins sont normaux et ont droit de cité.

Toutefois, on peut se demander s’il est dans la mission du Conseil de médiatiser la vision d’une égalité atteinte, ou en voie de l’être, qui a été rejetée en bloc en commission parlementaire. On peut aussi se demander s’il est dans la mission du Conseil d’atténuer la perception des ravages de la violence conjugale qui tue encore des centaines de Québécoises chaque année. On peut se demander si les quelques heures de plus consacrées par les papas chaque semaine aux tâches domestiques sont suffisantes pour soutenir la fiction d’un désormais partage équitable des responsabilités familiales. On peut également se demander si la promotion d’exercices érotiques (inventés pour le commerce du sexe destiné aux hommes) concourt vraiment à l’épanouissement personnel des femmes. Ne s’agirait-il pas plutôt d’un détournement de la liberté (chèrement acquise) des femmes au bénéfice de ceux qui ont beaucoup à perdre par l’affirmation d’une sexualité féminine exempte du mythe de la soumission ?

Ceci dit, ayant été longtemps journaliste moi-même, je comprends le désir de l’équipe de rédaction du magazine (permanentes et pigistes) d’élargir son lectorat avec la vision "égalitariste" qui rassure. Je comprends aussi la stratégie pédagogique qui consiste à donner des renforcements à des actions ou à des attitudes propres à soutenir les changements de mentalité. Je comprends de plus la difficulté d’admettre que la liberté journalistique est toujours balisée par les orientations de l’employeur et que, plus est, un-e journaliste à l’emploi d’une institution n’est pas considéré-e comme un-e journaliste à part entière. Ce n’est pas un hasard si l’exercice de la profession de journaliste dans ce cadre ne donne pas droit à la carte de presse délivrée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je comprends tout cela, l’ayant vécu, et j’en apprécie d’autant plus le professionnalisme des journalistes de la Gazette dont plusieurs sont mes amies.

Cependant, ayant assisté à la lecture de l’article sur les pitounes par des clientes d’un salon de coiffure, j’ai pu constater que ce texte était davantage perçu comme faisant la promotion des cours de fellation et de danse autour du poteau que comme texte de réflexion.

Réflexions - solutions

Dans ce débat, il est important que les membres du Conseil (issus de différents horizons) procèdent à une réflexion sur leur magazine et sur ce qu’ils veulent en faire.

Au-delà du choix des journalistes, hommes ou femmes peu importe, et des sujets des articles commandés, il sera pertinent d’établir, du moins de façon générale, la vision que l’on veut promouvoir de l’égalité et des défis que notre société a encore à relever.

Cette orientation rédactionnelle, semblable à celle que se donne tout média, qu’il soit privé ou institutionnel, ne doit pas être assimilée à de la censure.

Ayant exercé le métier de journaliste pigiste pendant près de vingt ans, j’ai quelques fois subi la censure de mes textes, mais surtout de ceux destinés à des médias appartenant à des groupes de presse prestigieux, soi-disant indépendants. Les propos susceptibles de chatouiller certains clients publicitaires étaient systématiquement coupés. Il convient donc que les journalistes, quel que soit leur port d’attache, évitent de jouer les vierges offensées.

Ceci dit, le Conseil pourrait choisir de privilégier l’approche grand public qui confirme les avancées bien réelles chez nous et conforte l’avant-gardisme égalitaire du Québec. Pourquoi pas ? On pourrait y voir une stratégie d’influence et de contagion des bonnes pratiques. Les questions abordées dans ce texte, comme celles soulevées par l’article d’Isabelle Porter, méritent la réflexion à laquelle le Conseil procède actuellement. À suivre.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 août 2007

Élaine Hémond, consultante et formatrice

P.S.

Lire aussi

 Micheline Carrier, « Si la Gazette des femmes revenait à une démarche résolument féministe », Sisyphe, 30 juillet 2007.
 « Étude de l’Institut de la statistique du Québec sur la violence conjugale : le directeur répond aux critiques » et M. Carrier répond au directeur de l’ISP.
 Isabelle Porter, « Ramdam à la Gazette des femmes », Le Devoir, 19 juillet 2007.




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