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Au Festival des films du monde
Les épouses de l’armée

22 août 2007

par Lucie Poirier

Avec une patience inaltérable et une compréhension profonde, Daniel Léger et Claire Corriveau ont filmé des portraits de femmes d’où transparaissent un courage constant et une force indéfectible. Ces cinéastes participent ainsi à la reconnaissance de ces vies souvent inconnues bien qu’elles constituent la base sur laquelle s’appuient la structure familiale, l’organisation sociale et même l’institution militaire.

Invisibles et silencieuses

« Aller au-delà de ces craintes-là. Je me suis dit que l’existence d’épouse de militaire était tellement difficile, ça finirait par sortir ». Elles se sont avérées nombreuses, les peurs et les entraves que Claire Corriveau a filmées dans Les épouses de l’armée.

Sacrifice et vulnérabilité caractérisent la vie de ces femmes qui renoncent à la stabilité et à l’ambition. Pas de contact avec leurs parents, pas de mari à la maison, pas d’amies, pas de carrière ; elles sont déplacées sans cesse pour satisfaire les exigences de l’armée.

« J’ai tout laissé, fallait que j’aime », déclare en ouverture l’une de ces solitaires en donnant le ton au documentaire consacré à ces femmes qui acceptent les conditions de l’armée sans être elles-mêmes des militaires.

Invisibles et silencieuses, essentielles et déniées, indispensables et méprisées, elles persistent à donner la vie pendant que les époux s’entraînent à donner la mort.

Trouver une nouvelle école, une nouvelle maison, un nouveau médecin, une nouvelle gardienne, tout est toujours à recommencer. Elles assument tout, toutes seules. À la différence des femmes chefs de famille monoparentale, elles attendent après quelqu’un, leur mari, elles dépendent des décisions d’une institution, l’armée. L’une d’elles devait vendre la maison familiale avec l’accord de son mari au téléphone à l’autre bout de monde. La mobilité opérationnelle de l’armée est impérative et incontestable.

Pendant que les hommes se déploient dans la camaraderie et la discipline, le femmes se démènent dans la solitude et l’instabilité. Lucie Laliberté a tenté de faire reconnaître des droits pour ces femmes dont les besoins représentent une menace pour l’armée. C’est en risquant d’être arrêtée qu’elle a distribué des cartes pour un plan dentaire et revendiqué un régime de pensions et des garderies.

Le résultat déçoit : des centres communautaires où les femmes doivent fournir gratuitement les services dont elles ont besoin, donner du temps et constater que cette structure cache une façon pour l’armée de contrôler les épouses ; elles font du bricolage avec leurs enfants et savent que si elles s’expriment il n’y a pas de confidentialité.

Un intervenant (militaire) du centre communautaire expliquait que, si une femme a besoin d’une gardienne d’urgence, elle doit justifier sa demande avec un avis écrit par un professionnel. Il déclare que ces situations surviennent parce que la femme ne s’est pas bien préparée, elle est négative, elle ne s’est pas ajustée.

Toujours blâmées, les femmes vivent dans l’abnégation en plus d’endurer l’inquiétude causée par la possibilité de la mort de leur conjoint.

L’armée réactualise un système coercitif, une accentuation des stéréotypes, le clivage femme/homme, la différence vie/mort. Pour contredire l’image du tueur associé au soldat, l’armée filme un militaire qui donne des pommes à un enfant ; il parade ailleurs pendant que ses enfants grandissent sans père. « En 24 ans, il a été absent 8 ans », constate l’une des mères.

Les autres victimes de cette existence de nomades, sans stabilité, à la merci des ordres militaires, sont les enfants auxquels Claire Corriveau consacrera son prochain documentaire : « L’égalité n’est pas encore atteinte pour les femmes. Et je veux montrer la réalité de ces enfants qui n’ont clairement pas choisi ce mode de vie-là. La violence familiale, qui est présente dans les communautés militaires, mais souvent cachée ». La réalisatrice résume ses intentions : « Raconter nos vies pour devenir visibles ».

Les épouses de l’armée a été produit par Claudette Jaiko qui promeut les intérêts du cinéma et de la télévision de langue française hors Québec. Produit aussi par l’Office national du film du Canada avec la collaboration de Radio-Canada Télévision et RDI, ce film fera partie des Documentaires du monde lors de Festival des Films du Monde à Montréal.

Les épouses de l’armée, Recherche, scénarisation, narration et réalisation de Claire Corriveau, 52 min.

Tendresse

« J’vas me mettre belle », dit-elle en se maquillant. Car elle est encore coquette. Et active, car elle fait du vélo stationnaire. Et croyante, car elle porte son macaron du Pape. Et aimée, car Aldéa Pellerin-Cormier a été filmée par son arrière-petit-fils, Daniel Léger.

Un dimanche à 105 ans nous offre les belles déclarations de cette Acadienne qui incarne un hymne à l’amour de la vie. Aldéa est allée à l’école deux jours « mais la maîtresse était pas là ».

Elle a vu tout le 20e siècle et conclut : « L’enfer c’est toi qui le fais ». Elle est à la tête de cinq générations et résume sa vie en confiant : « Quand j’étais jeune, j’aurais voulu être un homme, un homme ça travaillait pas dur. C’est ça qui a été mon plus fort, travailler ».

Léger a su s’attarder sans longueurs, se concentrer avec des détails dans cet accompagnement à la fois patient et dynamique, révélateur et respectueux. Un témoignage d’amour.

Produit par l’Office national du film du Canada, ce court métrage, présenté dans le cadre des Documentaires du monde, sera projeté lors du Festival des Films du Monde à Montréal.

Un dimanche à 105 ans, Recherche, scénarisation et réalisation de Daniel Léger, 13 min. 20 sec.

 Le Festival des films du monde 2007 a lieu à Montréal du 23 août au 3 septembre. Pour information sur les horaires et les salles : ffm-montreal.org.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 août 2007

Lucie Poirier


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