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Festival des films du monde
Opium, le journal d’une folle

27 août 2007

par Lucie Poirier

Le potentiel des femmes a amené des hommes à les réprimer ou à les exploiter. Le Dr Jozsef Brenner (1887-1919), morphinomane, écrivain empruntant le pseudonyme Géza Csath, a connu Gizella Klein, née le 31 janvier 1895, alors qu’elle était internée dans l’hôpital du Dr Winter et l’a exploitée et réprimée. Cette rencontre est relatée dans le film Opium, le journal d’une folle.

Gizella écrit et dessine sans cesse dans des cahiers alors que le célèbre docteur et auteur a une panne d’inspiration - « If only I was able to write like this » - envie-t-il, en s’emparant des albums volumineux.

Les médecins considèrent que les désirs (d’affirmation, d’écriture, de sexualité) des femmes doivent être annihilés. Winter prétend que l’écriture rend Gizella hystérique alors que ses crises augmentent lorsqu’elle est privée d’écrire. Ainsi, quand elle veut une plume, il la condamne à deux semaines de détention.

Brenner et Winter sont préoccupés par la virginité de Gizella. Pour Brenner, qui calcule et répertorie méthodiquement ses coïts, s’emparer de la virginité de Gizella correspond à la vaincre, la posséder, l’anéantir.

Après lui avoir volé ses textes et se les être attribués, il la punit en la soumettant à des douches glacées et en la suspendant, enchaînée aux pieds et aux mains.

Pourquoi a-t-il ce plaisir de lui faire mal après avoir couché avec elle, après l’avoir entendue lui exprimer son amour de femme qui s’offre à nouveau ?

Elle le supplie « Remove my brain I know you love me ». Il répond : « We are husband and wife » et lui inflige une lobotomie avant que soient brûlées l’amoncellement de tous ses albums.

Janos Szaz, scénariste et réalisateur, a mis en évidence la subjectivité de la perception et le danger de l’interprétation dans une alternance de gros plans de Gizella qui dit ce qu’elle écrit, de travellings qui montrent les mauvais traitements subis par les femmes, de scènes qui étalent les fantasmes du médecin. Il nous amène dans un univers sordide consacré à la destruction des femmes.

La relation trouble entre la/le malade et le docteur, traversée par l’hypergrafica, a été explorée précédemment dans Le cri de la soie avec la regrettée Marie Trintignant et dans Quills, deux films basés sur des faits réels.

Mais Opium aboutit à l’autodestruction, à une Gizella, accablée, qui réclame la fin de ses souffrances ; elle a été subjuguée et trompée par Brenner, elle ne veut plus avoir conscience des humiliations et des frustrations que sa créativité et son talent lui valent.

Gizella est magnifiquement interprétée par la courageuse Kirsti Stubo qui en 2001 a reçu un prix pour son interprétation dans Årets kvinnelige skuespiller .

Gizella symbolise la femme dont le pouvoir de création (qu’elle soit œuvre littéraire ou vie humaine) terrorise l’homme qui n’a de cesse de la contrôler et même de la détruire. Malgré toute sa puissance Gizella était vulnérable ; au 21e siècle, quand on examine la condition des femmes à travers le monde, on doit admettre que Opium montre des aspects d’une réalité toujours actuelle.

Opium, le journal d’une folle, Hongrie-Allemagne / 2006 / 35 mm / Couleur /108 min./ réal. Et scén. Janos Szasz, Int. Kirsti Stubo, Ulrich Thomsen. Présenté au Festival des films du monde, à Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 août 2007

Lucie Poirier


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