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En toute impunité
Fémicide au Congo

21 novembre 2008

par Élaine Audet

De retour d’un séjour d’un mois en République démocratique du Congo (RDC) où elle a assisté aux courageux témoignages publics de femmes violées, la dramaturge féministe Eve Ensler se demande ce qui empêche le monde d’intervenir en RDC. Est-ce que seules les ressources énormes du Congo - coltan pour nos téléphones portables, par exemple – sont dignes d’attention pour l’Occident ? Ou est-ce simplement une question de racisme et, qu’à moins que des Blancs ne soient impliqués dans un conflit, le monde n’intervient pas ? Ou est-ce parce que la plus grande partie de cette guerre est menée sur les corps, les organes génitaux et les organes reproducteurs des femmes et que le monde s’en fiche quand il s’agit du sort des femmes ? L’article que nous publiions, il y a un an, est malheureusement toujours d’actualité. Vous y trouverez des liens pour faire pression auprès du gouvernement.



"Un véritable fémicide a lieu en ce moment dans la République démocratique du Congo", a déclaré Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada à l’ONU et envoyé spécial de l’ONU pour le VIH/SIDA en Afrique, lors d’une conférence à l’Université de Montréal, le 9 octobre 2007. On assiste à une barbarie indicible sous l’œil du monde sans que personne n’intervienne. La violence est si extrême qu’il est impossible de la décrire à la radio, ajoute Aline Gobeil de Radio-Canada. Il n’y a aucun équivalent sur terre, selon Stephen Lewis. Ce qui se passe dans l’est du Congo est la continuation du génocide au Rwanda. Des miliciens hutus ont trouvé refuge au Congo, depuis 1994, attirés par ses richesses, et y perpètrent en toute impunité, à la face de l’opinion mondiale, viols, mutilations, cannibalisme.

En 2005, Sisyphe avait publié un article de Rory Carroll affirmant qu’en huit ans, des dizaines de milliers de Congolaises ont été violées et torturées par des militaires et des proches. Le 7 octobre 2007, le New York Times publiait un article parlant d’"épidémie de viols au Congo" ! Un médecin travaillant dans l’épicentre de cette "épidémie" déclare qu’on ne sait pas pourquoi ces viols ont lieu, mais qu’une chose est claire : "Ils ont pour but de détruire les femmes."

Du film The Greatest Silence : Rape in the Congo


Selon les Nations Unies, 27 000 agressions sexuelles ont été rapportées en 2006 dans la province du Sud Kivu seulement, et cela n’est qu’une fraction de l’ensemble de ces crimes dans tout le pays. Malteser International, un organisme européen de lutte contre le sida qui opère des cliniques médicales dans l’est du Congo, estime qu’il y a un risque de 8 000 cas de viol cette année, comparé à 6 338, l’année dernière. L’organisme déclare que "dans la seule ville de Shabunda, 70% des femmes ont subi des brutalités sexuelles."

Causes inconnues ?

Les médecins, le personnel de lutte contre le sida, les chercheuses et chercheurs tant congolais qu’étrangers ne peuvent expliquer un tel déchaînement de violence. Plusieurs Congolais nient que le problème soit culturel et insistent pour dire que ces viols en série n’ont pas pour cause la façon dont les hommes traitent les femmes dans la société congolaise. Si tel était le cas, on s’en serait rendu compte depuis longtemps, déclarent-ils. L’épidémie de viols s’est déclarée au milieu des années 90, au moment de l’arrivée massive des réfugiés hutus, après l’extermination de 800 000 Tutsis et Hutus modérés au Rwanda. Un consultant canadien travaillant dans le domaine de la prévention du sida qualifie le phénomène des viols massifs de "valeurs inversées", de tels comportements pouvant se développer, selon lui, dans des régions traumatisées par des conflits interminables comme dans l’est de la République démocratique du Congo.

Dans un article paru dans Libération le 8 mars 2007 et intitulé "Congo, le viol comme arme de guerre", Juliana Gristelli raconte que, dans l’hôpital situé à l’extrême est du Congo, "La plus jeune des patientes a 5 ans. Les viols rituels sur des enfants ou des femmes âgées ont toujours existé dans la région. Mais la plupart des femmes opérées à Panzi ont été victimes de campagnes massives où le viol a été utilisé comme une arme de guerre, visant à détruire le tissu familial et social par la transmission du VIH et la mutilation."

En 2005, 3 600 femmes ont été opérées à Panzi, 3 550 en 2006. Et on va d’histoire d’horreur en histoire d’horreur : "Tes jambes ne te servent à rien, je vais te les brûler". C’est ce que le mari de Mélanie lui a dit lorsqu’elle est rentrée chez elle, en lui racontant qu’elle avait été violée dans les champs où elle travaillait. Furieux, au lieu de la consoler, le mari l’a accusée de ne pas avoir couru. Il l’a aspergée de combustible et a craqué une allumette. Marie a été violée avec sa fille de 8 ans. Euralie, elle, a été violée devant ses propres enfants par huit soldats, qui venaient de tuer son mari.

Agir

En lisant ces articles et témoignages, on se demande ce qu’il faudrait faire pour venir en aide à nos sœurs congolaises pourchassées par des assassins qui, en toute impunité, cherchent à les effacer de la surface de la terre. On ne saurait s’en étonner quand on voit la montée de la violence sexiste aux quatre coins de la planète. Qu’il s’agisse de femmes manquantes, comme en Inde ou en Chine où l’on avorte systématiquement des fœtus féminins, de "l’épidémie" de violence maritale dans les pays occidentaux alors que le viol tarifé dans la prostitution y est de plus en plus banalisé et légalisé. La vie d’une femme ne vaut décidément pas cher en ce début du 21e siècle qui devait être marqué par le triomphe de la démocratie et la répartition équitable de la richesse mondiale. Alors que le système capitaliste néolibéral fait l’objet de critiques virulentes, il y a une énorme tolérance face au système patriarcal, responsable de tant d’injustices et de violences au nom de la suprématie masculine, de la tradition et de la religion.

Pas moins de 13 compagnies minières canadiennes ont des actifs de 1,5 milliard de dollars en République démocratique du Congo, nous apprend l’émission Maisonneuve en direct, du 12 octobre 2007. L’animateur a réussi le tour de force d’examiner d’un œil critique le comportement des compagnies canadiennes dans ce pays "si instable" sans souffler mot du sort réservé aux Congolaises. C’est au Congo que les investissements miniers canadiens sont les plus considérables. Un puissant moyen d’action serait d’exiger du gouvernement canadien qu’il force les compagnies minières à se retirer de ce pays tant qu’il n’aura pas mis fin à la violence envers les femmes et les fillettes et au massacre comme moyen de résoudre les conflits.

La cinéaste Lisa F. Jackson a tenté pour sa part d’alerter l’opinion mondiale sur ce fémicide dans un film intitulé The Greatest Silence : Rape in the Congo. Dans ce film bouleversant, des femmes courageuses brisent le silence sur ce qu’elles ont vécu.

On peut également appuyer les organisations de femmes congolaises qui luttent sur le terrain comme le fait Christine Schuler Deschryver ou l’Unicef qui a lancé une campagne : "Arrêtez de violer notre plus grande ressource : pouvoir aux femmes et aux filles de la République démocratique du Congo." Ou téléphoner au Premier Ministre Harper : (613) 992-4211, ou lui envoyer un courriel, ainsi qu’à notre député-e en exigeant que le gouvernement fasse pression au plan international pour mettre fin au fémicide dans la République démocratique du Congo.

Si vous avez d’autres suggestions, veuillez les ajouter en cliquant sur l’onglet "Commenter l’article" ci-dessous. Notre solidarité à chacune peut faire toute la différence !


Lettre type pour écrire au Premier ministre du Canada, à d’autres chefs d’État (en adaptant la lettre, aux partis d’opposition et aux député-es).

Nous ne pouvons rester passives devant la situation des femmes du Congo. Voici une lettre type, qu’on peut modifier, pour demander l’intervention du gouvernement du Canada. Nous y avons ajouté les adresses courrielles des chefs des oppositions au Parlement du Canada pour celles et ceux qui souhaitent leur transmettre copie de cette lettre.

Montréal (ou autre ville), le 31 octobre 2007

M. Stephen Harper
Premier ministre du Canada
Chambre des Communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Courriel.

Monsieur le Premier ministre,

Nous nous inquiétons vivement du sort des femmes congolaises violées et assassinées par dizaines de milliers depuis plusieurs années sans que n’interviennent les autorités internationales pour mettre fin à ce fémicide. Ces crimes ont augmenté au cours des derniers mois. "Un véritable fémicide a lieu en ce moment dans la République démocratique du Congo", a déclaré Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada à l’ONU et envoyé spécial de l’ONU pour le VIH/SIDA en Afrique, lors d’une conférence à l’Université de Montréal, le 9 octobre 2007. Un médecin travaillant dans l’épicentre de ce drame humanitaire à déclaré qu’on ne savait pas pourquoi ces viols en série avaient lieu, mais qu’"ils ont pour but de détruire les femmes." Selon un article du quotidien Libération à un hôpital situé dans l’extrême est du Congo, « La plus jeune des patientes a 5 ans. Les viols rituels sur des enfants ou des femmes âgées ont toujours existé dans la région. Mais la plupart des femmes opérées à cet hôpital ont été victimes de campagnes massives où le viol a été utilisé comme arme de guerre, visant à détruire le tissu familial et social par la transmission du VIH et la mutilation."

À titre de citoyenne et de citoyen canadiens, nous vous demandons, M. le Premier ministre, d’intervenir pour mettre fin à ce crime contre l’humanité. Nous vous suggérons trois modes d’intervention, mais nous pensons que vous en avez d’autres à votre disposition à titre de chef d’État : premièrement, exiger de l’ONU qu’elle propose une mesure disciplinaire contre la République démocratique du Congo qui se livre à de tels massacres ; deuxièmement, exercer vous-même des pressions, à titre de chef d’un État qui défend les droits humanitaires, sur le président de la République démocratique du Congo pour qu’il agisse vigoureusement contre ce fémicide ; et troisièmement, demander aux compagnies minières canadiennes qui ont des actifs totalisant plus de 1,5 $ milliard au Congo de cesser leurs opérations dans ce pays tant et aussi longtemps que ces crimes seront perpétrés de façon systématique contre les femmes congolaises. Le Canada a des devoirs humanitaires et nous croyons, M. le Premier ministre, qu’il doit intervenir là où il peut exercer son influence pour sauver des êtres humains de la barbarie.

Veuillez accepter, M. le Premier ministre, nos sincères remerciements pour les démarches que vous pourrez faire en faveur de ces femmes et de ces enfants.

Nom :

Adresse postale :

Adresse courriel :

cc. M. Stéphane Dion, chef du Parti libéral du Canada : Courriel
M. Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois : Courriel
M. M. Jack Layton, chef du Nouveau parti démocratique du Canada : Courriel
Roméo Dallaire : Courriel.
Pour trouver l’adresse de votre député-e.

 Pour réclamer à notre gouvernement canadien d’exiger des entreprises minières canadiennes à l’étranger qu’elles respectent les droits de leurs travailleurs et leur assurent des conditions de travail décentes, on peut aussi signer la pétition d’Amnistie.

Article mis en ligne sur Sisyphe, le 13 octobre 2007
Lettre type mise en ligne le 30 octobre 2007

Élaine Audet

P.S.

*"L’ONU prête à s’opposer à l’entrée des rebelles dans Goma", Le Monde, 3 octobre 2008.
* Pour plus d’informations, consulter la Coalition pour les femmes en situation de conflit.
* Voir le film de Raymonde Provencher, Le déshonneur des casques bleus.
* Un film d’Arte dénonce le viol devenu arme de guerre au Congo, Le Monde, 15 novembre, 2007.
* Maryam Elahi, "La violence au Congo est au-delà des mots", Libre Belgique, 22 décembre 2007.
* Guy Taillefer, "Le Canada tourne-t-il le dos au Congo ?", Le Devoir, 13 novembre 2008.
* Mélanie Coutu et Sandrine Le Courtois, "L’impasse congolaise - Ignorer les violences contre les femmes condamne la paix en RDC", Le Devoir, 17 décembre 2008.
* AFP, "1100 viols par jour en RDC", Le Devoir, 12 mai 2011.




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