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L’affaire Truchelut - "Tu n’es pas maître dans ta maison quand nous y sommes."

6 novembre 2007

par Micheline Carrier et Élaine Audet

    Je veux simplement rappeler que la peur de stigmatiser le christianisme n’a pas arrêté la lutte des féministes pour la conquête essentielle du droit à l’avortement et de la liberté de disposer de son corps. On touchait là à un dogme beaucoup plus sérieux et avéré que le voile dans l’islam. Alors, ce qui est bon pour une religion ne l’est pas pour l’autre ? (« Féministes, je vous écris d’Alger », Wassila Tamzali)

Le titre de cet article vient d’un vieux refrain folklorique canadien-français auquel fait penser l’histoire de Fanny Truchelut, condamnée pour discrimination à 4 mois de prison avec sursis et à 8 500 euros (amende, dommages et intérêts) parce qu’elle a voulu préserver la neutralité des espaces communs de son gîte. Le joug du relativisme religieux et culturel s’étend, semble-t-il, jusqu’à la propriété et aux convictions personnelles. "Tu n’es pas maître dans ta maison quand nous y sommes..."

Fanny Truchelut et son mari possédaient un gîte de vacances dans les Vosges. En août 2006, le couple reçoit un appel d’une femme qui demande à louer des chambres. Dans une lettre intitulée « Chronique d’une provocation », Fanny Truchelut raconte que le couple ne souhaitait pas louer cet été-là parce qu’il voulait effectuer des travaux d’isolation dans le gîte. Il cède finalement devant l’insistance de l’interlocutrice qui réserve et paie l’hébergement pour quatre jours.

À son arrivée, Fanny Truchelut fait entrer la famille et constate que deux femmes portent le voile et des djellabas. Elle exprime son étonnement - les informations données sur le gîte auraient dû, selon elle, faire hésiter des musulmanes pratiquantes à louer des chambres à cet endroit - et elle demande aux femmes de retirer leurs voiles dans toutes les parties communes de la maison pour respecter le caractère laïque des lieux et par égard pour les autres locataires et les enfants du couple.

« Elles ont toutes les deux refusé catégoriquement. Horia Demiati me traitant d’intolérante, me disant que je devrais apprendre ce que sont les femmes voilées. Elle a poursuivi en me disant que dans ces conditions, la famille ne pouvait pas rester, elle m’a demandé de rendre les arrhes. » Ce que fait Fanny Truchelut pendant que son mari se voit menacé de poursuite par un homme accompagnant les deux femmes.

Le tout a duré moins de 5 minutes. Pour ces quelques minutes d’affirmation de soi chez soi, Fanny Truchelut a écopé de 4 mois de prison avec sursis et 8 500 euros d’amende. Ce qui fait dire au magazine Marianne qu’« On peut critiquer le voile en Afghanistan, mais pas en France ». Et à Alain Callès, ancien président du Mrap : « La loi contre le racisme ne peut pas être dévoyée de sa fonction et de son esprit par un tour de passe-passe sémantique qui aboutirait à cette situation paradoxale : condamner les adultes qui combattent le sexisme et l’obscurantisme qui le sous-tendent ! »

Au nom du droit des femmes

Anne Zelensky, Annie Sugier, Pascal Hilout et Pierre Cassen ont assisté au procès de Fanny Truchelut. Annie Sugier, présidente de la Ligue internationale du Droit des femmes, y a témoigné et déclaré : « Je tiens d’abord à affirmer que je ne serais pas ici auprès de Fanny Truchelut, devant ce tribunal, si je n’étais pas convaincue que Fanny est tout le contraire de quelqu’un de raciste. (...) Je n’ai aucun doute sur le fait que c’est au nom du droit des femmes et de ce que représente le voile qu’elle a pris cette position que j’approuve. »

Et Anne Zelensky, présidente de la Ligue du Droit des femmes témoigne : « Je soutiens Fanny parce qu’elle n’a pas commis le délit dont on l’accuse. Au contraire, elle a refusé ce signe d’apartheid qui nous renvoie toutes à un passé douloureux d’oppression. Je dis à quel point je ressens comme une insulte à ma dignité de femme libre la vue de ces tenues. Et je termine en posant la question de fond : qui agresse qui ? »

Pierre Cassen, directeur de Riposte laïque, raconte : « ’Vous êtes la honte du pays !’ J’étais assis à côté d’Anne Zelensky et d’Annie Sugier, quand l’avocat de la LDH, Michel Tubiana, leur lança cette phrase, qui se voulait assassine, après leur avoir dit qu’elles masquaient derrière leur engagement féministe leur haine de l’islam et des Musulmans. » La vieille tactique pour imposer le silence ! Ce serait de la haine de l’islam et des musulman-es (ou des juifs ou des chrétiens) que de ne pas partager leurs croyances et de vouloir exclure de l’espace public ou de son espace personnel l’affichage ostentatoire de croyances religieuses. L’« instrumentalisation » de la religion se déguise-t-elle en lutte contre le racisme ?

Accusation classique d’intolérance et de racisme

Au sujet des accusations de « racisme » qui fusent d’autant plus aisément qu’on n’a pas à les démontrer, (Mohamed) Pascal Hilout (initiateur du Nouvel islam) écrit :

« Nous, féministes et progressistes qui soutenons Fanny, avons de bonnes raisons de penser que les musulmanes sont aussi des citoyennes capables de soutenir un regard critique sur leur soumission à des prescriptions religieuses d’un autre espace-temps. User de cette critique citoyenne n’a plus rien à voir avec la xénophobie avec laquelle des bienveillants incapables d’affronter les réalités nous ont bassinés des décennies durant.

« Entre la liberté religieuse béatement sanctifiée et une critique responsable, vigoureuse et sans concession, nous préférons affronter franchement les vélléités des religions qui submergent tout naturellement des pans entiers du champ socio-politique en faisant porter le chapeau aux femmes. » (« Les lois officielles et les lois du ciel », 5 novembre 2007)

Des moyens d’action

Le fait que des gens de droite ou de l’extrême-droite chrétienne récupèrent à leurs propres fins l’affaire du gîte des Vosges et le soutien des féministes, ainsi que le ton et le style discutables de certaines interventions, ne sont pas des motifs valables de fermer les yeux sur l’injustice. Cela ne change rien à la question de fond que soulève la situation imposée à Fanny Truchelut, à savoir le droit de s’opposer à ce que l’on considère l’oppression des femmes, et à ses symboles en tous lieux - a fortiori et en l’occurrence chez soi - sans être condamnée comme une criminelle.

Michèle Vianès, présidente de Regards de Femmes, Anne Zelensky, présidente de la Ligue du Droit des Femmes, Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des Femmes, et Pierre Cassen, animateur de Riposte laïque interpellent le président de la République et les parlementaires dans une pétition qu’on retrouve en ligne. Cette pétition a été signée notamment par trois anciennes ministres, « de sensibilité différente », Yvette Roudy, Corinne Lepage et Françoise Hostalier. Outre cette pétition, on trouve au lien www.halteauvoile.fr
les coordonnées nécessaires pour soutenir financièrement l’appel de Fanny Truchelut.

Références

 « Procès Fanny : elle n’est pas contre les musulmans, elle est contre le voile », par Pascal Hilout
 « Qui agresse qui ? », par Anne Zelensky et Annie Sugier
 « L’affaire du gîte des Vosgues, révélatrice des enjeux cruciaux de la laïcité », par Ghislain Chevrier
 « Laïcité : la clarification est un combat » (à propos de l’affaire d’Epinal), par Caroline Fourest
 « Halte aux enfermements sexistes des femmes en France ! »par Michèle Dayras, présidente de SOS-SEXISME
 « Tolérer l’intolérable au nom de la diversité culturelle est une forme de colonialisme ». Compte rendu par Claude Ber d’une table ronde avec Wassyla Tamzali, le 21 octobre 2007.
 « Féministes, je vous écris d’Alger », par Wassila Tamzali

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 novembre 2007

Micheline Carrier et Élaine Audet


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2781 -