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Conditions de vie des aîné-es : un monde sans compassion

14 janvier 2008

par Stéphanie LeBlanc

La Consultation publique sur les conditions de vie des aîné-es qui a eu lieu il y a peu de temps au Québec* est passé presque inaperçue dans les médias, éclipsée par celle, plus "glamour" sans doute, portant sur les accommodements religieux. Les personnes âgées sont fréquemment oubliées dans les discours politiques. Il s’agit d’une frange vulnérable de la population, dont une importante proportion de femmes, surtout passé 75 ans (les femmes vivent généralement plus longtemps que les hommes). Des personnes qui souffrent en silence de de solitude et d’indifférence.

Ce qui me sidère dans la façon dont notre société perçoit les personnes âgées, c’est qu’on semble croire qu’à partir d’un certain âge, il n’est plus nécessaire d’avoir un but dans la vie, d’avoir des rêves, d’être heureux-se ! Alors que les loisirs et l’épanouissement personnel sont valorisés chez les autres tranches d’âge, les personnes âgées, elles, sont traité-es comme si tout cela étaient moins important pour elles. Comme si elles étaient arrivé-es à un stade de la vie où il ne leur reste plus qu’à attendre la mort ! À quel âge le bonheur devient-il un luxe ?

Regardez nos réactions devant des personnes handicapées, selon qu’il s’agit d’une personne jeune ou d’une personne âgée. Lorsque nous voyons une jeune personne en fauteuil roulant, nous ressentons de l’empathie. Nous nous disons que c’est triste qu’une personne si jeune soit affligée d’un si terrible handicap. Par contre, lorsque c’est une personne âgée, nous ne ressentons souvent que de l’indifférence. On encourage les jeunes personnes handicapées à ne pas se laisser limiter par leur handicap, à exploiter leurs autres ressources physiques et à profiter quand même de la vie, mais nous ne faisons rien de cela pour une personne âgée.

Dans plusieurs résidences pour personnes âgées en perte d’autonomie, on aggrave, à force de négligence, des problèmes physiques déjà existants ou l’on en crée de toute pièce. Ainsi des aîné-es perdent leur tonus musculaire à force d’immobilité, des personnes atteintes d’Alzheimer voient leur état empirer par manque de stimulation et de contact humain. Des personnes âgées non incontinentes en fauteuil roulant se font mettre aux couches à cause d’un manque de personnel, ce qui les mène vers l’incontinence. Ailleurs, on leur donne des somnifères, même si elles n’en n’ont pas besoin, pour éviter qu’elles se réveillent la nuit et demandent des soins, ce qui les mène vers la dépendance à cette « médication ».

Nous n’accepterions jamais pour nous-mêmes les conditions de vie des aîné-es en résidence. Nous n’accepterions pas que d’autres décident pour nous du moment où nous nous levons, mangeons, nous lavons et des loisirs auxquels nous avons accès. Nous accepterions encore moins d’être infantilisé-es, négligé-es, drogué-es et rudoyé-es.

Au fond, nous sommes persuadé-es que cela ne peut nous arriver à NOUS, que NOUS allons prendre les moyens pour que cela ne nous arrive pas ! L’industrie de la beauté et les gourous de la santé ont réussi à nous convaincre que la jeunesse et la santé éternelles ne sont qu’une question de discipline. Il est vrai que l’on se prépare une meilleure vieillesse en adoptant des habitudes de vie saines mais le danger, avec cette mode du "tout prévoir et tout prévenir", c’est qu’elle culpabilise davantage qu’elle ne responsabilise ceux et celles qui ne sont pas en bonne condition physique. La personne qui se "prend en main" est valorisée alors que celle qui n’est pas en bonne condition physique est pointée du doigt. Dans une telle société, il n’y a plus de place pour la compassion.

Les enfants, conditionné-es dès leur plus jeune âge à performer dans tous les domaines mais aussi influencé-es par le culte de la beauté, semblent persuadé-es que leur estime de soi, voire même l’affection qu’on leur porte, est conditionnelle à leur performance et à leur apparence. Comment apprendrons-t-ils-elles qu’une vie humaine est précieuse, même lorsqu’il s’agit de celle d’un être âgé, qui n’est plus aussi performant qu’avant et dont le corps a été altéré par l’âge ? Les médias n’aident en rien et continuent de dépeindre les personnes âgées comme des imbéciles !

La formation de préposé-e aux bénéficiaires doit être améliorée pour tenir compte des besoins affectifs des personnes âgées. Il faut sévir contre les résidences qui ne correspondent pas aux normes et contre les actes de négligence et des mauvais traitements. Il faut cesser de traiter les peurs, les chagrins et les colères des aîné-es comme des troubles de comportements nécessitant des contentions, physiques ou chimiques, en particulier lorsque ces "comportements" découlent directement de conditions de vie sinistres !

Plusieurs changements peu coûteux peuvent être faits dans les résidences pour personnes en perte d’autonomie. Les contentions chimiques et physiques, par exemple, peuvent être remplacées par des détecteurs placés sur les lits ou les fauteuils roulants pour avertir le personnel que telle personne s’est levée, afin d’assurer une surveillance discrète sur les personnes confuses. Les bénéficiaires capables de marcher doivent être encouragé-es à le faire afin d’augmenter leur masse musculaire, ce qui retardera, peut-être indéfiniment, la nécessité du fauteuil roulant. Pour limiter les risques de chutes, des chaussures de sports antidérapantes. Pour ralentir les effets de l’Alzheimer, stimuler les personnes qui en sont atteintes par de la musique, des chansons, des paroles, des contacts physiques. De telles mesures augmenteraient l’autonomie des bénéficiaires, ce qui soulagerait d’autant le personnel.

Les personnes âgées n’ont pas fini de vivre. Ce sont des êtres humains ayant les mêmes droits que les autres. Nous serons aussi âgé-es un jour et nous seront soigné-es par ces jeunes à qui nous apprenons le matérialisme mais pas la compassion. J’en ai la chair de poule...

* Site de cette consultation publique.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 janvier 2008

Stéphanie LeBlanc


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