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Avortement - Un sujet tabou
Et la réplique de Nathalie Collard : "4 mois, 3 semaines et 2 jours"

24 janvier 2008

par Margaret Somerville

Parce que des arguments de la sorte sont souvent évoqués par les opposants au droit à l’avortement sans qu’ils se donnent la peine de les démontrer, nous publions ce texte, et à la suite, la critique qu’en fait la journaliste Nathalie Collard. La fragilité du droit à l’avortement ne tient pas seulement, on le verra, à l’action de pro-vie, du haut-clergé et de certains députés conservateurs à Ottawa. Il vaut mieux savoir d’où souffle l’adversité. (Sisyphe)



Ces derniers mois, des confrontations ouvertement hostiles se sont produites entre associations étudiantes pro-choix et groupes d’étudiants pro-vie sur plusieurs campus canadiens. Parmi les arguments pour réduire au silence les partisans pro-vie, les tenants du libre choix identifient les groupes pro-vie à la religion.

Les étudiants pro-choix veulent limiter le droit d’expression des étudiants pro-vie, interdire l’affichage de documentation antiavortement et refuser tout financement aux clubs pro-vie. Selon Doug Diaczuk, un étudiant de l’Université Lakehead, ces mesures sont justifiées parce que « plusieurs étudiants sont bouleversés par la campagne d’affiches pro-vie ».

Mais que fait-on de la liberté d’expression sur la place publique, particulièrement en rapport aux lois et aux politiques publiques et, sans doute, à la liberté de religion et de conscience ?

Pour réduire au silence les groupes pro-vie, on les identifie comme étant religieux - un péché mortel dans le lexique pro-choix - et évangélisateurs. Il est regrettable que la question de l’avortement puisse être réduite au seul enjeu religieux, parce que cela nous empêche de définir et de comprendre la gamme complète de motifs qui font perdurer ce conflit majeur.

Voici quelques-unes de ces raisons.

L’intuition morale

Selon le psychologue Steven Pinker, de l’Université Harvard, les recherches récentes en neuropsychologie confirment l’existence d’un « instinct moral » naturel chez l’humain. En éthique, nous parlons d’un facteur « beurk » éthique. Quand nous considérons honnêtement la réalité de l’avortement, peu importe nos opinions, la plupart d’entre nous ont cette réaction. Notre intuition morale nous dit que l’avortement n’est jamais un incident anodin. Il y en a qui allègent leurs inquiétudes en neutralisant leur intuition morale, ce qu’il est bien plus difficile de faire quand on doit voir ou entendre les conséquences de l’avortement.

Notre choix de langage influence aussi nos intuitions morales et, par conséquent, nos vues sur l’avortement. Dans un article publié récemment par le Globe and Mail, la journaliste pro-choix Judith Timson a utilisé l’expression « avortement thérapeutique » pour expliquer que 58% des grossesses chez les adolescentes canadiennes se terminent par un avortement. Le mot thérapeutique marque l’avortement du sceau médical, ce qui rassure nos intuitions morales et permet de justifier un acte qui, autrement, nous rebuterait.

Normalisation

Le révérend Rowan Williams, archevêque de Canterbury, offre une importante intuition à cet égard : « Nous ne percevons plus que l’avortement implique un choix moral important, dit-il. L’avortement a été normalisé. Quelque chose a modifié nos suppositions concernant la vie d’un enfant à naître quand un tiers des grossesses en Europe finissent par un avortement. »

L’hypothèse de base qu’une grossesse aboutit à la naissance d’un bébé sauf, dans les rares cas où il existe une justification claire pour prévenir cette naissance, s’est transformée. On considère aujourd’hui qu’il existe un éventail d’options acceptables durant une grossesse, y compris l’avortement.

Les défenseurs de l’avortement s’opposent avec véhémence à toute reconnaissance juridique de l’existence même du foetus. En matière d’avortement, ils veulent le silence sur la place publique, le silence devant les tribunaux et le silence dans l’arène politique. Ils ont raison de croire que porter le débat sur le foetus, plutôt qu’uniquement sur les femmes enceintes qui demandent un avortement, ébranlerait bien des gens sur le plan moral (une autre intervention de nos intuitions morales). Dans le film Juno, une jeune partisane pro-vie crie à son amie étudiante : « Il a des ongles », quand cette dernière s’apprête à entrer dans une clinique d’avortement. Cette intervention personnifie le foetus - nous pouvons nous identifier à lui, il est comme nous. L’adolescente enceinte a changé d’idée et mené à terme sa grossesse.

Nous devrions sûrement - du moins sur le plan éthique - aborder la question en reconnaissant ce qu’implique l’avortement et en justifiant notre choix, peu importe lequel.

Toutes les options

Une authentique prise de position pro-choix exige de mettre sur la table toutes les options, pas seulement celles qui favorisent l’avortement, et qu’une femme puisse donner un consentement informé, quel que soit son choix. Selon la Cour suprême du Canada, un consentement informé sur le plan éthique et juridique signifie que la femme doit prendre sa décision en ayant toute l’information jugée importante par une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

Ces circonstances comprennent les faits concernant le foetus ainsi que les conséquences d’un avortement, y compris les torts et les risques. Ces aspects sont régulièrement dédramatisés, et les études les concernant tournées en ridicule par les éléments pro-choix.

Pour les défenseurs politiquement corrects de l’avortement, cette question constitue le test décisif du respect envers les femmes. Même s’interroger sur l’acceptabilité de l’avortement devient pour plusieurs une hérésie. Cette réaction évoque une religion totalitaire qui voit comme une hérésie la remise en question de l’existence de Dieu. Parfois l’expérience de subir un avortement (ou, comme jeune femme médecin, de pratiquer un avortement) semble un rituel requis et un rite d’initiation à la cause féministe.

Le droit de choisir l’avortement est souvent présenté comme un argument de dignité. Certains universitaires ont défini deux concepts de dignité : la dignité-liberté favorise l’autonomie et l’autodétermination des individus ; la dignité-contrainte protège la dignité humaine - en général. L’interdiction de l’avortement pour sélection du sexe de l’enfant constitue un bon exemple. Nous devons, au regard de l’avortement, trouver un juste équilibre entre ces deux types de dignité. Nous devons tout au moins nous en parler.

Source : Opinions, "La Presse", le 24 janvier 2008

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4 mois, 3 semaines et 2 jours
par Nathalie Collard, "La Presse"

Pour souligner les 20 ans de la décriminalisation de l’avortement au pays, l’éthicienne Margaret Somerville lance un pavé dans la mare. Dans un texte publié hier dans La Presse, elle déplore l’impossibilité de débattre de l’avortement sur la place publique. Selon elle, la faute incomberait aux tenants du libre choix qui réduisent au silence le mouvement anti-choix, brimant ainsi leur liberté d’expression. Mme Somerville cite en exemple une association étudiante qui refuse de financer un groupe pro-vie et qui lui interdit d’afficher de l’information dénonçant l’avortement.

La méfiance des tenants du libre-choix est pourtant compréhensible. Après tout, rares sont les groupes, individus ou partis politiques qui proposent de rouvrir le débat sur l’avortement dans le seul but de débattre d’une question philosophique. Il y a presque toujours un « agenda », caché ou pas, qui vise à le recriminaliser.

Les féministes et les pro-choix sont particulièrement chatouilleux lorsqu’on évoque le nombre élevé d’avortements au Québec, sujet tabou car il concerne un très grand nombre de femmes entre 20 et 30 ans, des femmes qu’on aurait cru mieux informées, plus vigilantes. Le problème c’est que lorsqu’on aborde cette question, on en parle en termes sensationnalistes, en omettant de discuter de l’accès à la contraception (qui devrait être gratuit pour les moins bien nanties) et de l’urgent besoin d’un cours d’éducation sexuelle digne de ce nom dans nos écoles secondaires. On parle encore moins souvent de l’efficacité imparfaite des contraceptifs, de la pénurie de gynécologues ou encore, du peu de temps que les médecins consacrent à leurs patientes... Or ce sont des aspects importants du problème.

Mme Somerville aborde aussi la question morale qui est, au fond, au coeur du sujet. Elle prétend que nos sociétés occidentales ont banalisé l’avortement. Que les pro-choix ne reconnaissent pas les véritables implications de l’avortement (comprendre : qu’en choisissant cette voie, les femmes décident de mettre fin à une vie humaine).

Sur quelle base peut-on avancer un tel argument ? Qui sait ce que chacune des femmes a vécu en se faisant avorter ? Qui peut prétendre que pour chacune d’entre elles, il s’agissait d’un acte banal ? Peut-on véritablement déduire que toutes les femmes qui ont subi un avortement considéraient leur geste comme moralement acceptable ? Que leur choix n’a pas été déchirant ?

Le problème, quand nous discutons d’avortement, c’est que nous commentons des statistiques. Parler de banalisation, c’est oublier que derrière chaque cas, il y a une réflexion, une souffrance et un deuil. Banal ? Ce serait étonnant.

Le problème avec les propos de Mme Somerville, c’est qu’ils dépeignent l’avortement comme une question abstraite, un joujou pour juristes et éthiciens à la recherche de sensations intellectuelles fortes. Or l’avortement est avant tout une décision éminemment personnelle, comme l’avait d’ailleurs compris avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité la juge Bertha Wilson, auteure du jugement de la Cour suprême en 1988. Et c’est pour cette raison, parce qu’il s’agit avant tout d’un choix individuel et douloureux, que le débat sur l’avortement demeurera toujours difficile. Ce qui ne signifie pas impossible.

Source : "La Presse", le 25 janvier 2008

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 janvier 2008

Margaret Somerville


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