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Hillary Clinton, le sexisme et les femmes

11 février 2008

par Élaine Audet

"Les droits des femmes sont des droits humains", affirmait Hillary Rodham Clinton lors de son célèbre discours à la Conférence des Nations Unies sur les femmes à Pékin en 1995. Il y a consensus sur sa volonté d’améliorer l’existence des femmes et des enfants, de lutter contre les diverses formes d’inégalité et de violence qu’elles subissent dont la pauvreté endémique, de créer un système de santé universel, son action constante auprès des enfants défavorisés et sa lutte déterminée pour l’octroi de subventions substantielles pour l’éducation universitaire des filles. On louange son intelligence, sa force, son endurance, son expérience et sa capacité d’exercer le pouvoir, mais on hésite pourtant à voter pour elle parce que, à l’instar de tous les candidats, sauf Obama, elle a voté pour l’invasion de l’Irak, a appuyé la politique d’Israël sur la Palestine, la guerre au Liban et, récemment, le durcissement des mesures contre l’Iran.

On aurait aimé, comme femme et progressiste, qu’elle ait le courage de se tenir debout face au complexe militaro-industriel et à la peur entretenue par l’administration Bush et à sa définition démagogique du patriotisme et des intérêts du peuple américain. Les critiques les plus dures viennent surtout des misogynes et des femmes. C’est sans doute à sa capacité de rallier les femmes et de neutraliser les attaques misogynes qu’elle devra sa victoire ou sa défaite, en tenant compte que son programme diffère peu de celui d’Obama, que ce soit sur la défense de l’économie de marché et de l’entreprise, le libre-échange, la santé, l’aide sociale, la politique étrangère, l’immigration, l’écologie, le mariage gay (contre le mariage et pour l’union civile) ou sur le consentement unanime de tous les candidats au maintien de la peine de mort. Tous les deux veulent réparer le gâchis causé par l’administration Bush, mieux répartir les revenus et lutter pour diminuer l’effet de serre, promouvoir un développement durable et des emplois "verts". C’est sur sa connaissance exceptionnelle des affaires de l’État, son sens de la politique et son engagement envers les femmes que Hillary Clinton se démarque le plus des autres candidats.

La discrimination sexuelle

Depuis trente-cinq ans, l’actuelle sénatrice de New York lutte pour les droits des femmes. Dans son discours à la conférence de Pékin, elle affirmait :

    "Quand des nouveaux-nés se voient refuser la nourriture, sont noyés ou étouffés, quand on leur brise les reins parce qu’ils sont nés filles, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand les femmes et les filles sont contraintes à l’esclavage ou à la prostitution, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand les femmes sont aspergées d’essence et brûlées vives parce qu’on juge leur dot insuffisante, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand des femmes sont violées dans leur communauté, quand des milliers d’entre elles le sont par volonté politique ou comme butin de guerre, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand, dans le monde entier, la principale cause de décès chez les femmes de quatorze à quarante-quatre ans est la violence à laquelle elles sont soumises dans leur propre foyer, de la part des membres de leur propre famille, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand des jeunes filles subissent des mutilations génitales, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Quand des femmes n’ont pas le droit de déterminer quelle sera l’étendue de leur propre famille et se voient imposer un avortement ou une stérilisation forcée, on a affaire à une violation des droits de l’homme. Si l’on doit retenir un message de cette conférence, c’est que les droits de l’homme sont aussi ceux des femmes... et que les droits des femmes sont, une bonne fois pour toutes, des droits de l’homme" (1).

Sur la question de l’avortement, elle a toujours été pro-choix et favorable à ce que l’assurance-maladie couvre la contraception, que l’éducation sexuelle soit bien financée et donnée par des professionnel-les de la santé, que la pilule du lendemain soit disponible sans ordonnance dans les pharmacies. Durant son séjour à la Maison Blanche, elle a contribué à l’adoption du Family and Medical Leave Act.

Son engagement dans la lutte contre la violence sexuelle ne s’est jamais démenti et n’a fait que se radicaliser au fil des années. Avec la procureure générale Janet Reno, elle a participé en 1995 à la création du Bureau sur la violence envers les femmes au sein du Département de la Justice. Aux États-Unis, on considère qu’une fille sur trois sera victime de violence physique de la part de son conjoint au cours de sa vie. Hillary Clinton a appuyé la législation visant à renouveler la loi contre la violence envers les femmes (Violence Against Women Act) afin de rendre plus sévères les peines d’emprisonnement pour les batteurs de femmes récidivistes, de mettre sur pied des stratégies de prévention, de renforcer les centres d’aide aux victimes de viol et d’améliorer la collaboration entre tous les services engagés dans la lutte contre la violence conjugale.

Hillary Clinton s’oppose sans équivoque à la légalisation de la prostitution : "Je crois personnellement que c’est avilissant pour les femmes. J’ai travaillé pour l’abolition de la prostitution et j’ai certainement pris une position très ferme contre le fait que, dans de nombreux pays, des fillettes et des femmes sont forcées d’être prostituées. [...] Quand je serai présidente, je me prononcerai évidemment contre la prostitution et essaierai de persuader les femmes que - même dans un système réglementé - ce n’est pas une bonne façon d’essayer de gagner sa vie. Il faut créer d’autres emplois pour les femmes qui cherchent une façon satisfaisante de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles" (2).

Comme avocate, sénatrice, et lors de son séjour à la Maison Blanche, Hillary Clinton a aussi dénoncé l’écart salarial de 23 cents par dollar entre les hommes et les femmes, et davantage pour les Afro-américaines. Son projet de Paycheck Fairness Act vise à renforcer les pénalités associées à la discrimination salariale, assurer que le gouvernement fédéral relève ses normes et augmente la surveillance des employeurs. Elle a aussi travaillé pour accroître l’accès des femmes au crédit et à l’entrepreneurship.

Le sexisme

Cette excellente feuille de route, qui prouve que la sénatrice Clinton est fort capable d’assumer les plus hautes tâches, semble avoir exacerbé le dépit des misogynes de toutes allégeances et des deux sexes. Au lieu de critiquer ses réalisations, on s’attaque à sa personnalité, à son apparence, et à ses liens personnels de la façon la plus mesquine possible. On critique sa coiffure, son allure masculine ou trop féminine, les tailleurs-pantalons qu’elle porte durant la campagne, ses cuisses, ses rides, son agressivité.

On publie une mauvaise photo de Clinton en demandant qui a envie de voir la progression des rides sur le visage de la future présidente ? D’autres décident de publier d’elle des images pornos, on invente même un casse-noisettes avec le visage et le corps d’Hillary dont les cuisses servent à broyer les noix, un jeu vidéo qui met en scène des prostituées avec son visage. Bernard Henri-Lévy imagine Hillary "dans le bureau oral". Le sexisme n’a pas de frontière, comme on le voit. On ravive l’image du vagin denté. "Repasse ma chemise", peut-on lire sur les pancartes brandies par des hommes lors d’une assemblée de H. Clinton. Quelle aurait été la réaction médiatique si on avait affiché devant Obama : "Cire mes chaussures" ?

Quand Hillary Clinton affirme que la politique présidentielle est un "club réservé aux hommes", un professeur d’université réagit aussitôt en affirmant qu’elle venait de démontrer sa "sottise". Devant le front uni des candidats démocrates masculins et leurs attaques virulentes contre Clinton, une de ses partisanes, Geraldine A. Ferraro, candidate à la vice-présidence en 1984, constate que "c’est bien vu dans ce pays d’être sexiste". Cependant, le résultat n’a pas été l’effrondrement d’Hillary, mais la démonstration, une fois de plus, de sa force face aux critiques et à l’intimidation.

On lui reproche de jouer la carte du genre, de mettre de l’avant le fait que ce serait extraordinaire qu’une première femme soit élue à la présidence du pays. Mais personne ne blâme Obama et ses partisan-es de miser sur l’avancée incroyable que constituerait l’élection d’un Noir à la présidence. La barre est toujours plus haute quand il s’agit d’une femme et tous les coups sont permis pour défendre la suprématie masculine. Pauline Marois au Québec et Ségolène Royal en France ont aussi fait l’expérience du old boys’ club et de l’hymne à la jeunesse et au changement !

Mais c’est surtout, après sa défaite en Ohio, à la suite de son moment d’émotion, qu’on a entendu les commentaires les plus sexistes. Le candidat John Edwards s’est même demandé si l’émotivité de Clinton lui permettrait d’exercer les fonctions de commandeur en chef. S’est-on jamais interrogé sur les capacités d’un simple acteur de second ordre comme Ronald Reagan d’exercer ce rôle, alors que la force de caractère et l’expérience politique de la sénatrice Clinton auraient dû la mettre à l’abri de telles remarques.

Certains verront dans la manifestation de ses sentiments une simple ruse de sa part pour attendrir l’électorat féminin et diront que sa victoire au New Hampshire, grâce au vote des femmes, leur donne raison. D’autres répètent qu’elle n’est qu’une femme comme les autres accrochée aux basques de son mari qu’elle n’a pas eu le courage de quitter après l’affaire Lewinski. Camille Paglia, qui ne manque jamais une occasion d’exprimer son anti-féminisme, traitera Clinton de féminazie (comme les masculinistes traitent les féministes). Rien de moins ! Comme quoi certaines femmes savent s’illustrer même dans la misogynie.

D’un même souffle, on lui reproche d’être froide, antipathique et carriériste. Trop émotive ou pas assez. Rien de ce qu’elle fait ne peut les satisfaire, même si elle a gagné haut la main deux élections au sénat dans l’État de New York, même si les analystes lui reconnaissent une intelligence et une détermination hors de l’ordinaire. On a même créé un site spécialement pour l’attaquer, intitulé Citizen United Not Timid ou C.U.N.T. (CON). Réduire une femme à son sexe ou à son corps n’est pas nouveau, un des grands hebdomadaires français a mis en page couverture, pour le centenaire de Simone de Beauvoir, une photo de la philosophe nue. Ces insultes misogynes contre la candidate démocrate sont en réalité des attaques contre toutes les femmes et ont pour but, comme la violence sexuelle, de les remettre à leur place.

En bout de ligne, on reproche à Hillary Clinton de ne pas ressembler à l’image stéréotypée de LA femme. Elle est indépendante, active, ambitieuse et, comme son héroïne Eleonor Roosevelt, elle n’a jamais été le simple valoir de son mari président. Ses adversaires ne comprennent pas qu’elle accepte l’aide de ce dernier dans sa campagne, alors qu’il ne fait que lui rendre ce qu’elle a fait pour lui lors de ses propres campagnes et durant ses deux mandats à la présidence. Quelles que soient les failles de ce couple, il semble exister entre Hillary et Bill Clinton une égalité qu’on retrouve rarement dans le milieu politique et l’ensemble de la société. N’est-ce pas la peur que les femmes acquièrent de plus en plus l’autonomie et la confiance en soi d’Hillary - qualifiée d’arrogance par certains - qui provoque ce dépit hargneux ?

Les femmes

Dans cette campagne, on peut constater à quel point certaines femmes sont intransigeantes et impitoyables envers Hillary Clinton. C’est la perfection ou la poubelle. Plusieurs femmes la jugent à l’aune de leurs propres engagements, réussites, échecs, désirs, blessures. Beaucoup refusent d’admettre l’importance que l’élection d’une femme comme elle à la présidence aurait pour toutes les femmes.

Pourquoi les femmes ne l’évaluent-elles pas sur l’ensemble de ses réalisations et de son programme actuel au lieu de la réduire à son seul vote pour l’invasion en Irak, il y a six ans, et à ses liens avec son mari ? N’y a-t-il pas une sorte d’irrationalité et de sexisme bien intégré à rejeter une personne aussi qualifiée que H. Rodham Clinton pour son apparence, parce qu’on ne la trouve pas sympathique (likable) ou qu’elle manquerait de charisme ?

Dans son autobiographie, "Mon histoire", Hillary Clinton raconte que la politique élimine petit à petit toute spontanéité parce qu’il faut toujours penser comment chaque geste ou chaque déclaration sera perçue et quelles en seront les conséquences. Il ne s’agit plus d’émettre une opinion ni d’être simplement naturelle, mais d’être à la hauteur des engagements qu’on a pris.

Pour la féministe Gloria Steinem, "le genre est probablement l’élément le plus restrictif de la vie américaine, qu’il s’agisse de déterminer qui doit être dans la cuisine et qui peut être à la Maison Blanche. Ce pays est en bas de liste des pays qui élisent des femmes et, selon une étude, il polarise les rôles sexuels plus que la moyenne des démocraties." Elle explique que si on ne prend pas la barrière du genre au sérieux, c’est "parce que tout ce qui concerne les hommes semble plus sérieux que quoi que ce soit en rapport "seulement" avec la moitié féminine de l’humanité, parce que les enfants continuent à être élevés principalement par des femmes (c’est le moins que l’on puisse dire), alors les hommes ont l’impression de retourner en enfance quand ils ont affaire à une femme forte (3)."

Steinem votera pour la sénatrice de New York "parce qu’elle a de l’expérience dans l’organisation communautaire, parce qu’elle a aussi plus d’années de pratique au sénat, un entraînement sans précédent de huit ans à la Maison Blanche, aucune virilité à prouver, la possibilité de faire jaillir par son exemple un immense réservoir de talents dans ce pays, et parce qu’elle a eu le courage de briser le tabou sur l’émotion en politique".

Il y en a qui invoquent l’exemple de Margaret Thatcher pour rejeter la candidature d’Hillary Clinton à la présidence et justifier leur préférence pour Barrack Obama. Est-ce à dire qu’on ne devrait plus voter pour un homme parce qu’il y a eu George W. Bush ? La sénatrice de New York a montré l’intérêt prioritaire qu’elle accorde à la lutte contre les inégalités sociales et la discrimination sexuelle. Elle a toujours su s’entourer de femmes de valeur et promouvoir l’accès au pouvoir de ses semblables. Comme elle l’a dit devant un auditoire de 1000 jeunes femmes enthousiastes à son Alma Mater de Wellesley : "Il y a toujours de la peur en nous, mais nous n’avons pas le temps de nous en occuper, pas maintenant. Alors, relevons nos manches et mettons-nous au travail ensemble. Nous sommes prêtes à faire éclater le plus haut plafond de verre (4)."

Beaucoup de femmes ont répondu à cet appel d’Hillary Clinton. Elle peut compter sur l’appui de la plus grande organisation de femmes aux États-Unis, NOW, et de féministes de différents courants de pensée comme Robin Morgan, Gloria Steinem, Susan Faludi, Erica Jong, et d’autres moins connues. Dans un article passionné, Robin Morgan, auteure de Sisterhood is Powerful et de The Anatomy of Freedom, écrit :"Les femmes âgées sont le groupe qui ne devient pas plus conservateur avec l’âge - et nous sommes la génération des radicales qui ont dit : ’Les femmes bien élevées font rarement l’histoire’. Adieu, nous ne partirons pas gentiment après un beau bonsoir et quel que soit l’homme qui nous le souhaite. Nous sommes les femmes qui ont changé la réalité des États-Unis. Et même si nous ne sommes jamais parties, tenez-vous bien, nous sommes de retour (5)."

Notes

1. Hillary Clinton, Mon histoire, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2003.
2. Anjeanette Damon, "Clinton : On prostitution, sports betting and the politics of a rock star", RGJ.com, 29 avril 2007.
3. Gloria Steinem, "Sexism, Racism : Which Is More Taboo ?", New York Times, 14 janvier 2008.
4. Susan Faludi, "Hillary Auditions to Be a Feminist John Wayne", Alternet, 15 novembre 2007.
5. Robin Morgan," Goodbye To All That (#2)", Women Media Center, 2 février 2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 février 2008.

Élaine Audet

P.S.

 Débat crucial pour Hillary Clinton, par Élaine Audet, le 21 février 2008.
 Site de Robin Morgan.




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