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Projet de loi 63 - Un message clair pour l’égalité sans hiérarchisation des droits

17 février 2008

par Louise Langevin, titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes

Voici de larges extraits de la présentation de Louise Langevin à la Commission aprlementaire des Affaires sociales qui étudie le projet de loi 63, suivis de quelques échanges avec les parlementaires.



Le projet de loi n° 63 énonce dans la charte que le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes constituent une valeur fondamentale de la société québécoise. Les groupes de femmes du Québec ne peuvent qu’applaudir à cette bonification de la charte. Par cette modification, la charte continue à être un document unique au Canada et le gouvernement du Québec suit le courant déjà amorcé par d’autres documents internationaux.

Tout d’abord, je désire préciser le sens de la définition droit à l’égalité pour les femmes, ensuite je parlerai très rapidement des acquis des femmes qui sont récents mais fragiles et finalement j’expliquerai, dans le temps qu’il me restera, pourquoi les modifications du projet de loi n° 63 offrent un potentiel de changement pour les femmes.

Donc, d’abord, qu’est-ce qu’on entend quand on parle du droit des femmes à l’égalité ? Les tribunaux canadiens ont éprouvé et éprouvent encore certaines difficultés à définir le droit à l’égalité. L’égalité est un concept comparatif, une personne est égale ou inégale par rapport à une autre et selon certains critères. Le choix des critères et des groupes de comparaison est souvent déterminant et est une source de problèmes. Ainsi, les femmes noires doivent-elles se comparer au groupe femmes, au groupe Noirs ou au groupe femmes noires ? Dans une société patriarcale et capitaliste, l’égalité a été définie par les hommes et pour les hommes et ne tient pas compte des besoins des femmes. D’un point de vue féministe, l’égalité pour les femmes va au-delà de l’égalité formelle - quand on parle de l’égalité formelle, on parle de l’égalité de traitement - et exige une approche beaucoup plus large, c’est-à-dire l’égalité réelle ou égalité de substance. Certes, les femmes veulent jouir des mêmes droits que les hommes, la reconnaissance de leur personnalité juridique, le droit de vote, le droit à l’éducation, le droit d’accéder au marché du travail. Cependant, dès que les femmes sont différentes des hommes comme sur le plan biologique, le modèle du traitement unique s’avère incapable de répondre à leurs besoins.

Remettre en question les structures mêmes de la société

Donc, les femmes veulent davantage. Elles veulent remettre en question les structures mêmes de la société. Elles veulent aller au-delà du « être comme les hommes ». Elles exigent que l’on tienne compte des contextes historique, économique, politique et social et des rapports sociaux de sexes dans la définition et dans l’application du concept d’égalité pour les femmes. Dans certains cas, l’approche contextualisée de l’égalité doit prendre en compte les formes multiples de discrimination que vivent les femmes, et d’ailleurs le plus haut tribunal du Canada a adopté cette approche, cette approche de l’égalité de substance très tôt dans la mise en place des balises constitutionnelles en matière d’égalité. Et la CEDEF, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, reconnaît aussi ce concept d’égalité. Et donc, afin d’écarter tout doute, je parle ici du droit des femmes à l’égalité, et on comprendra que je parle de l’égalité de substance.

Donc, il y a violation du droit des femmes à l’égalité lorsqu’une femme est victime de discrimination et qu’en conséquence de cette violation son droit à la dignité humaine n’est pas respecté. Il y a discrimination lorsque cette femme est traitée différemment, désavantageusement, lorsqu’elle est exclue par une loi, une mesure par rapport à un groupe de comparaison en raison de son sexe et pour des motifs fondés sur des stéréotypes. Elle a alors droit à la cessation de la violation et à réparation.

La discrimination prend plusieurs visages. Elle peut être directe, indirecte ou systémique. Elle est directe lorsqu’à la face même d’une décision, d’une politique ou d’une mesure, tant dans la sphère privée que publique, l’intention de discriminer est évidente, lorsque les femmes sont clairement exclues. On pense ici aux postes, emplois et fonctions qui seraient réservés exclusivement à des hommes.

Mais la discrimination se manifeste habituellement de façon beaucoup plus subtile. Des décisions ou des normes neutres à première vue peuvent avoir des effets négatifs sur les femmes, et là il s’agit de discrimination indirecte qui se manifeste dans les effets des normes sur les femmes et qui n’exige pas la preuve de l’intention de discriminer. Ainsi, un employeur ne peut refuser d’inclure les congés de maternité dans son régime privé d’assurance maladie en faisant valoir que cette mesure s’applique tant aux femmes qu’aux hommes. Dans les faits, seules les femmes sont désavantagées. Elles supportent seules les coûts de la maternité qui est une responsabilité sociale.

De même, les tests d’embauche sont parfois source de discrimination envers les femmes et, malgré leur caractère neutre et scientifique, ils excluent parfois les femmes, qui ne les réussissent pas dans certains domaines d’emploi. Et donc l’approche de l’égalité réelle commande des tests d’embauche différents pour les femmes et les hommes, entre autres pour tenir compte des différences physiologiques.

La discrimination à l’égard des femmes se manifeste dans des programmes sociaux qui excluent les femmes, dans des lois qui ne permettent pas un accès aux services de santé et au marché du travail. La discrimination peut aussi se cacher dans les structures mêmes de la société, et là il s’agit de discrimination systémique. Elle est perçue comme naturelle, et c’est ce qui la rend très difficile à détecter et à corriger. Ainsi, des mesures particulières comme des programmes d’action positive sont nécessaires pour permettre à des femmes d’accéder à certains secteurs du marché du travail traditionnellement réservés aux hommes. Ces programmes d’action positive ne sont pas discriminatoires car il s’agit de mesures temporaires qui visent à atteindre une égalité réelle pour les femmes. On pense ici aux lois d’équité en emploi. Donc, la discrimination se manifeste de façon directe, indirecte et systémique.

Les atteintes au droit des femmes à l’égalité se cachent aussi dans les coutumes, les traditions et les cultures. Les mariages forcés, la polygamie, l’excision, l’impossibilité pour les femmes d’hériter, la violence tant à la sphère privée que publique portent atteinte au droit des femmes à l’égalité et ne peuvent être tolérés au nom des traditions. Donc, l’atteinte de l’égalité réelle pour les femmes permet de respecter leur dignité.

Maintenant, les acquis très récents et très fragiles. La condition des femmes au Québec a fait des progrès remarquables depuis les années soixante et fait l’envie de nombreuses femmes dans le monde, au point tel que l’égalité pour les femmes semble être acquise pour la majorité de la population. Cependant, quand on regarde de plus près, il y a des acquis, mais ces acquis sont fragiles, et il reste beaucoup de travail à faire. Je veux vous rappeler certains points. (...)

En fait je devrais dire en 2008 - un écart salarial de 30 % , 29 %, existe toujours entre les travailleurs et les travailleuses canadiens et canadiennes. En 2008, les femmes n’ont pas leur juste part du régime d’assurance-emploi, compte tenu des effets des nouvelles règles qui les désavantagent malgré les surplus accumulés dans les caisses de l’assurance-emploi. En 2008, les femmes immigrantes, âgées ou autochtones sont parmi les plus pauvres de ces groupes. En 2008, les femmes et les filles sont les principales de violence intrafamiliale qui continue à être le crime le moins rapporté. En 2008, l’accès à l’avortement libre et gratuit n’est pas possible partout au Canada. Les tribunaux d’arbitrage religieux en matière de litiges familiaux en Ontario ont été interdits et le droit des femmes à l’égalité a eu préséance sur la liberté religieuse. La polygamie dans divers coins du pays a été dénoncée par les groupes de femmes. Aux dernières élections provinciales en 2007, en mars 2007, le nombre de femmes élues à l’Assemblée nationale a baissé par rapport à législature précédente, et ce, pour la première fois depuis 1940. Je pourrais vous donner de nombreux autres exemples. Comme on le constate, les acquis sont récents mais fragiles, et ils ont été obtenus à la suite de longues luttes, et ces faits doivent être gardés en mémoire lorsqu’on réfléchit aux droits des femmes à l’égalité dans une perspective d’avenir.

Potentiel de changement pour les femmes

Maintenant le projet de loi. Le projet de loi n° 63 a été proposé dans le contexte du débat des accommodements raisonnables et des travaux de la commission Bouchard-Taylor, il entérine en partie une recommandation proposée par le Conseil du statut de la femme dans son avis portant sur le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes et la liberté religieuse, avis qui a été rendu public en septembre dernier. Et donc on peut penser que le gouvernement québécois voulait envoyer un message clair aux décideurs qu’un accommodement raisonnable ne peut être accordé que dans le respect du droit des femmes à l’égalité.

Le projet de loi, tel que proposé, offre un potentiel de changements pour les femmes. D’abord, il mentionne clairement le mot « femmes » comme groupe, parce que les femmes constituent la moitié de la population et même un peu plus, 51 %, et il faut bien comprendre que l’expression « égalité entre les femmes et les hommes », dans l’ajout au préambule, réfère au droit des femmes à l’égalité, tel que défini dans la CEDEF, et cette expression ne peut être analysée hors contexte. Donc, en aucun cas, les modifications proposées ne pourraient servir à imposer une approche formelle de l’égalité. Ce ne serait jamais une approche les pareils traités pareil, tout le monde traité de la même façon, donc cet ajout dans le préambule suit ce qui a déjà été développé, c’est-à-dire une approche de substance, une approche réelle de l’égalité. Ces modifications envoient un message clair de la part du législateur que le droit à l’égalité pour les femmes fait partie des valeurs fondamentales de notre société et ces modifications permettront de consolider les acquis des femmes.

Si les modifications au préambule et l’article interprétatif 49.2, tels qu’ils sont proposés, là, si ces articles avaient déjà été intégrés à la Charte québécoise, la Cour suprême, dans l’arrêt très récent Bruker contre Marcovitz aurait pu s’en servir pour appuyer son argument. Peut-être rappeler l’affaire Bruker ? L’affaire Bruker porte sur le get juif, le divorce juif. Et Mme Bruker a obtenu le divorce, en 1981, divorce civil. Et il y avait une entente entre les parties où monsieur devait aller devant les trois rabbins pour accorder le get à madame, il y avait une entente écrite. Et monsieur a pris 15 ans à accorder ce get. Et donc madame est allée devant les tribunaux jusqu’en Cour suprême, et la Cour suprême a dit que l’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur fondamentale de la société canadienne - ici, c’était la Charte québécoise qui s’appliquait cependant - et que monsieur devait respecter son entente contractuelle parce qu’il disait que ça allait... que ça violait sa liberté de religion.

Donc, si la juge Abella de la Cour suprême avait eu ce qu’on propose dans le projet de loi n° 63, le résultat aurait été le même mais elle aurait pu le citer, elle aurait dit, tel que le dit le préambule : L’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur fondamentale. Et elle se serait servie de l’article 49.2 pour interpréter, c’est un article interprétatif. Donc, si ça avait été là, elle s’en serait servie. De la même façon, on vous l’a... dans les mémoires, on vous a certainement parlé de la décision Gabriel, qui est une décision que l’on peut regretter, où une femme a demandé un changement de nom de famille...

De la même façon, dans les mémoires, on vous a certainement parlé de la décision Gabriel qui est une décision que l’on peut regretter où une femme a demandé un changement de nom de famille pour prendre le nom de famille de son mari pour des raisons religieuses et on le lui a accordé, ce qui va à l’encontre de l’article 393 du Code civil du Québec. Donc, si les modifications proposées par le projet de loi avaient été là, il n’y aurait pas eu cette décision fâcheuse.

En matière d’accommodements raisonnables, ce qui nous a tenus occupés au courant des derniers mois, l’évaluation des contraintes excessives, ça aurait été clair que l’égalité entre les hommes et les femmes doit être prise en compte lorsqu’on se demande si les contraintes sont excessives.

Donc, certains se sont demandé si les modifications étaient inutiles. Elles ne sont pas inutiles. Je vous rappelle qu’en 1982, dans la Charte du Québec, à l’article 10, on a dû rajouter le motif de la grossesse parce qu’il y avait des juges qui disaient que la grossesse n’était pas inscrite sous le motif sexe. Donc, aujourd’hui, c’est évident pour nous, on se demande pourquoi on a fait... oui, on le sait pourquoi on a fait la modification mais, à cette époque-là, c’était nécessaire même si aujourd’hui on se demande pourquoi. Pourquoi on a adopté la CEDEF, la convention internationale ? Il y avait plein d’autres documents internationaux, dont la Déclaration universelle de 1948, qui disait que tous les être humains sont égaux et que tous les êtres humains jouissent du même droit. Bien, si vous lisez le préambule de la CEDEF, on le dit clairement parce qu’en 1978, 1979, il n’y avait pas beaucoup de progrès qui avait été fait en matière de droit des femmes sur le plan international, donc on a adopté la CEDEF. Puis, évidemment, il y a tout ce courant qui dit : « Are women’s rights human rights ? » Hein, on s’est demandé si les droits des femmes faisaient partie des droits de l’homme. On l’a longtemps douté, on le doute encore. Donc, ce n’était pas inutile de modifier la Charte du Québec, en 1982, pour ajouter le motif de grossesse, ce n’était pas inutile d’adopter la CEDEF sur le plan international. Le Canada est signataire, et le Québec l’a - je veux utiliser le bon mot - ratifiée. De la même façon, l’article 28...

M. Turp : S’est déclaré lié.

Mme Langevin (Louise) : Pardon. Merci, M. Turp, s’est déclaré lié. Je me suis fait rappeler à l’ordre par un professeur. Donc, l’article 28 de la Charte...

(...)

Échanges avec les parlementaires

Pas de hiérarchisation dans les droits

Mme Langevin (Louise) : Dans le projet de loi tel qu’il est rédigé, il n’y a pas de hiérarchisation. Il y a un article dans le préambule qui rappelle la valeur du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, et beaucoup d’autres documents internationaux ont ce même genre d’article. Et en fait, comme Me Latour l’a dit ce matin, on se trouve à corriger une erreur historique. La reconnaissance du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes aurait dû avoir été placée là lorsqu’on a adopté la charte, en 1975. Bon. Ça n’a pas été fait. On la corrige maintenant, cette erreur-là.

Bon. Donc, le préambule ne crée pas de hiérarchisation pas plus que l’article 49.2 qui est un article interprétatif. Donc, il n’y a pas de hiérarchisation ici, et il me semble que la hiérarchisation, c’est comme le mot qu’il ne faut pas prononcer. Nous sommes tous d’accord que tous les droits fondamentaux sont importants, qu’ils sont tous égaux et, dans un monde idéal, ils seraient tous respectés. Ça, il n’y a pas de problème avec ça, et qu’on ne veut pas séparer les droits civils et politiques et puis les droits socioéconomiques. Dans un monde idéal, tout est protégé. Je suis pour ça et je comprends pourquoi. On ne veut pas une hiérarchisation stricte, rigide. Un droit est plus important que l’autre, un petit peu moins, une fois et demie, une fois trois quarts. On ne veut pas ça. Ça, on le comprend. C’est une question d’équilibre entre des droits qui dépend des circonstances et du cas-par-cas.

Ceci dit, il y a des valeurs fondamentales et, dans ces valeurs fondamentales là, il y a l’égalité entre les hommes et les femmes. Et j’ai beaucoup de difficultés, quoique ça peut venir, mais à m’imaginer des cas où des tribunaux pourraient mettre de côté le droit à l’égalité pour les femmes, mais... Et c’est pour s’assurer que ces cas-là qui vont peut-être venir... c’est pour ça qu’il faut le mettre dans la charte, parce que, moi, je... pour moi, c’est évident que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur fondamentale, les femmes sont 51 % de l’électorat, mais peut-être que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Donc, c’est pour ça qu’il faut prévoir la modification dans le préambule et l’article 49.2.

Donc, je réponds à votre question : Non, il n’y a pas de hiérarchisation absolue qui est imposée. Les tribunaux, lorsqu’ils font l’équilibre entre les droits, en quelque sorte viennent limiter les droits, parce qu’il n’y a aucun droit qui est absolu, ils sont tous interprétés les uns avec les autres.

Mme Langevin (Louise) : Absolument, absolument. La Charte des droits, la charte québécoise est un monument unique... est un document unique au Canada. Elle trace la voie, elle l’a toujours été depuis son adoption. Et ce projet de loi protège, consolide, renforce le droit à l’égalité des femmes.

Mme St-Pierre : Il y a certains groupes qui parlent de changement inutile. Vous avez répondu à ça tout à l’heure, dans votre présentation. J’aimerais que vous y alliez encore plus en profondeur là-dessus.

Mme Langevin (Louise) : En matière de droit à l’égalité pour les femmes, aucun geste législatif est inutile. Les femmes ont obtenu ce qu’elles ont. Ça n’a jamais été sur un plateau d’or, ce que les femmes ont voulu,donc elles se sont toujours battues et donc aucune modification législative n’a été inutile. Et je suis certaine que celles-ci, lorsqu’on lira les débats parlementaires dans 30 ans, on va se demander pourquoi les gens pensaient que c’était inutile.

(...)

Donc, je pense que de modifier la charte tel que le propose le projet de loi, c’est de corriger une erreur historique, de mettre ce qui aurait toujours dû être là et de protéger pour l’avenir parce qu’on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve.

Ce à quoi vous faites référence, l’article 5a de la CEDEF, ça dit quelque chose comme : D’aucune façon des pratiques culturelles, des pratiques religieuses, des traditions, des coutumes ne peuvent servir à mettre de côté le droit à l’égalité pour les femmes. C’est ça que ça dit. Donc, jamais une pratique religieuse ne pourrait mettre de côté le droit à l’égalité des femmes, donc dans ce... Et je comprends qu’on ne fait pas de hiérarchisation, je comprends, mais je comprends aussi que, dans des situations de conflit de droits, quand deux droits sont en opposition, les élus, les parlementaires que vous êtes et que vous représentez la société, vous êtes en mesure de dire quelles sont les valeurs fondamentales de notre société. Donc, en cas de conflit de droits, il y en a un qui va l’emporter et l’autre ne l’emportera pas, et donc c’est ça que je dire, je ne suis la seule à parler de hiérarchisation dans ce cas-là, il me semble que j’ai cité une auteure américaine sur la question, et certainement que je pourrais en trouver d’autres. Donc, dans ce cas-là, le droit à l’égalité va l’emporter sur des pratiques culturelles qui pourraient porter atteinte.

M. Turp : Alors, c’est quand même intéressant que vous dites en réponse à la question de mon collègue du Lac-Saint-Jean : « Je préférerais. » Alors, vous savez, entre la préférence et la hiérarchie, là, oh ! que la ligne est mince, hein ? Parce que, la façon de l’exprimer, c’était, dans une certaine mesure, dire : Oui, je veux une hiérarchie.

Droits sociaux

Moi, je vais y aller d’une interprétation qui certainement pourra être contestable, et on pourra argumenter longtemps. Mais, ici, dans la charte du Québec, si, pour prouver une atteinte au droit à l’égalité, il faut prouver, par exemple une atteinte à la dignité, moi, je pense qu’une atteinte à la dignité, c’est par exemple lorsque les droits socioéconomiques ne sont pas respectés. Donc, on pourrait faire ce genre d’interprétation là avec la charte du Québec. Donc, quand on comprend le droit à l’égalité, et le droit à l’égalité pour les femmes, lorsque le droit à l’égalité pour les femmes, c’est le respect de leur dignité. Maintenant, le respect de la dignité, on pourrait y inclure les droits socioéconomiques. C’est une façon de voir les choses.

Je pourrais aussi rajouter que ces lois ne peuvent pas venir seules, mais qu’elles doivent venir avec des programmes sociaux, c’est bien sûr. Donc, on parle beaucoup des droits socioéconomiques, s’ils sont enchâssés ou pas dans les constitutions. Je pense que les lois sont nécessaires pour les femmes et les droits sont nécessaires, mais ils ont des limites dans le mesure que le droit est un des outils de changement social, il ne peut pas tout faire. Et avec ces lois doivent venir des programmes sociaux, des programmes sociaux adaptés aux besoins de toutes les femmes. Donc, c’est dans ce sens que le gouvernement québécois, en changeant la charte, s’engage en même temps à continuer dans des programmes sociaux pour les femmes et qui font l’envie des autres Canadiennes, c’est bien évident.

Les masculinistes

Min. Christine St-Pierre : ce qu’on appelle les masculinistes. Est-ce que vous travaillez sur ces questions-là et quelles sont vos conclusions ? Je comprends qu’on pourrait en parler pendant des heures, mais est-ce que vous dégagez des lignes... Comment vous interprétez ces mouvements-là dans la société québécoise ?

Mme Langevin (Louise) : J’ai un peu peur de vous répondre, parce que je reçois des menaces et je ne voudrais pas être poursuivie comme certaines de mes collègues quoique je pourrais très bien me défendre, donc ce que je vais dire ici évidemment n’est pas privé et va être porté en public et je vous dirai si je reçois des menaces. Le discours des antiféministes est un discours de réaction face aux revendications des femmes. C’est un discours réactionnaire qui voudrait que ce soit comme avant, que c’était bien meilleur avant. C’est un discours qui victimise les hommes, c’est un discours qui dénigre les femmes et les féministes et les mères, certaines sortes de mères, c’est un discours qui tient les féministes et les femmes d’aujourd’hui responsables de tous les problèmes sociaux. Donc, c’est un discours d’homme qui ont subi des ruptures conjugales, certains problèmes avec la justice et qui sont écoeurés de payer la pension alimentaire. C’est simplement ça leur discours. Donc, il faut pouvoir comprendre leur position, ils ont beaucoup d’attention des médias, mais il faut replacer leur discours dans un contexte beaucoup plus large. Donc dans ce sens, le discours des antiféministes n’est pas un discours structuré, n’est pas un discours... Ils n’ont pas de revendications pour eux, ils sont en réaction. Ce sont dans certains cas, des hommes et des pères frustrés de l’avancement des droits des femmes.

Min. Christine St-Pierre : Parce que, vous savez, il y avait des inquiétudes, là, face à l’endroit des... au profit... vous savez, face ...(?) des homosexuels ou des personnes handicapées au profit de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Langevin (Louise) : Oui, je comprends tout à fait l’argument. On a dit que les femmes n’étaient pas le seul groupe vulnérable ou minorisé de la société. Je vous ferais remarquer que les femmes sont 51 % de la population et que la catégorie femmes existe encore. Elle est... Les femmes sont différentes, sont diverses. Elles peuvent... Elles ont des points de vue différents, mais la catégorie femmes existe toujours. Et je ne voudrais pas que la catégorie femmes disparaisse au profit de sous-catégories ou de d’autres groupes sociaux et qu’on ignore la réalité des femmes et leurs positions sociales. Les rapports sociaux de sexe... Il y a d’autres sortes de rapports sociaux, il y a des rapports sociaux de race, des rapports sociaux de langue, j’en conviens, mais il y a aussi des rapports sociaux de sexe. Et ces modifications-là ne nuiraient en aucune façon aux handicapés, d’aucune façon aux autres groupes. Moi, je pense que ça peut juste aider, par exemple, les femmes handicapées, les femmes de minorité ethnique, femmes immigrantes. Ça ne peut pas leur nuire.

Identité de genre

Le Conseil québécois des gais et lesbiennes suggère de modifier l’article 10 de la Charte et d’y inclure l’identité de genre. On voit par contre, à la page 13 de votre mémoire, que vous êtes en opposition à cette expression-là. Est-ce que votre position est incompatible avec la requête du Conseil québécois des gais et lesbiennes ? Puis que pensez-vous de...

Mme Langevin (Louise) : Je n’ai pas lu leur mémoire. Je vais certainement le lire. J’ai beaucoup de problèmes avec l’utilisation du mot « genre », spécialement dans la francophonie. C’est surtout parce qu’il est galvaudé et mal utilisé. Le mot « genre » vient de « gender ». Il a été inventé par une historienne féministe. Et c’était pour exprimer la situation d’oppression des femmes. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir, et c’est ça le « gender ». Ça a été traduit par « genre ». Et ce moment, dans la francophonie, parce que je travaille dans la francophonie avec des femmes un peu partout, et je vois bien qu’on ne veut pas utiliser le mot « femme », on ne veut pas utiliser le mot « féminisme » et « féministe », et on utilise le mot « genre ». Et ça se trouve à éliminer ce que c’était à l’origine, c’est-à-dire de tenir compte de la position de subordination des femmes. Et donc c’est pour ça que... En anglais, je n’ai pas de misère à utiliser « gender », mais en français, dans la francophonie, j’ai beaucoup de difficultés à utiliser ce mot-là. Donc, il faudrait que je vois ce que l’Association des gais et lesbiennes veut exactement. Mais je pense qu’eux et moi on pourrait s’entendre sur le danger du mot « genre » dans la francophonie.

Loi interprétative

M. L’Écuyer : Et ce que je dois comprendre, c’est que le projet de loi n° 63 et les modifications, les amendements apportés en font une règle interprétative ?

Mme Langevin (Louise) : 49.2 est présenté comme un article interprétatif. Le préambule en matière constitutionnelle a un rôle interprétatif important à jouer, il a souvent été utilisé par la Cour suprême et par les tribunaux et, dans plusieurs décisions qui portent sur les droits fondamentaux, on fait référence au préambule. Donc, c’est important que le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes soit mentionné dans le préambule.

Cloutier : Permettez-moi maintenant de revenir à la proposition de 10.2. Est-ce qu’en en faisant un droit de substance en cas de conflit, on n’indiquerait pas aux tribunaux de préférer le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes ?

Mme Langevin (Louise) : J’espère que les tribunaux vont toujours préférer le droit à l’égalité pour les femmes qui sont 51% de l’électorat, je vous ferai remarquer. (...)

Source : Commission parlementaire des Affaires sociales sur le projet de loi 63, le 12 février 2008

Louise Langevin, titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2900 -