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Antoinette Fouque persiste et signe

2 mars 2008

par Élaine Audet

La fougueuse fondatrice des éditions Des femmes continue la publication de ses "essais de féminologie", commencée en 2004 avec Il y a deux sexes. Il a été souvent difficile d’entendre cette voix, comme le souligne le sociologue Alain Touraine, " tant elle était couverte par le bruit des campagnes et des polémiques", mais constate-t-il, "c’est une voix à la fois insistante et retenue, chargée de passion, pleine d’une imagination créatrice, et révélatrice de secrets".

Ces essais reprennent les motifs les plus marquants d’un travail théorique engagé depuis 1968 et largement diffusé dans les débats, colloques et publications féministes. L’auteure y traite de sexualité, de psychanalyse, de culture, de socialisme et de démocratie, de parité, de "géni(t)alité" des femmes, de la crise de l’identité masculine et continue à "penser en femme d’action, agir en femme de pensée".

Nous publions ici un extrait de La misogynie, ce qu’il y a de plus universel dans l’universalisme (2002), une réalité persistante qui n’a jamais cessé de mobiliser l’énergie militante d’Antoinette Fouque :

Dans un article récent, Le Monde, qui s’apitoie à juste titre sur les enfants d’Afghanistan, signale, en passant, qu’"une femme meurt toutes les vingt minutes en Afghanistan des suites d’un accouchement ". Chaque année, elles sont 500 000 dans le monde à perdre la vie au moment où elles la donnent et 300 fois plus qui en restent handicapées. Voilà une mort qui n’arrive qu’aux femmes. Sur tous les téléscripteurs du monde, ici comme là-bas, tombent de tels faits divers : six femmes par mois sont tuées par leur compagnon en France. On appelle cela les violences conjugales ! Une jeune fille de quinze ans qui rentrait chez elle, à la campagne, a été torturée et tuée. Elle était peut-être trop jolie », dit encore Le Monde.

Sohane a été immolée par le feu à Vitry-sur-Seine, pas au Bangladesh ! Dedans, dehors, dans la famille, dans la rue, à l’école, sur les routes, dans les quartiers, dans les campagnes, dans les sociétés de droit comme ailleurs, riches ou pauvres, traditionnelles ou modernistes, à tous les niveaux d’analyse possible, les femmes ont affaire à cette prime de haine qui les vise, comme si leur corps doté d’une fonction indispensable pour l’espèce, la fonction génésique, la procréation, était l’objet d’une haine immémoriale.

[...] Il y a une première explication à ce backlash. Dès qu’un peuple ou un groupe essaie de sortir de l’oppression, la répression s’accroît. Et il y a eu, depuis ces trente dernières années, deux avancées inédites qui marquent toutes deux l’émergence des femmes dans l’histoire et la révolutionnent : la maîtrise de la fécondité et la parité. Un tabou a été levé sur la procréation. Rien d’étonnant à ce que se soulève en réponse une protestation virile, la même qui avait renvoyé les femmes à ne pas exister dans l’histoire. C’est le nouveau machisme.

Plus profondément, mon hypothèse est que si ces violences réelles ne cessent de croître dans les sociétés occidentales au point qu’on ait le sentiment d’une régression malgré les avancées des trente dernières années, c’est que l’ennemi principal de la libération des femmes n’a pas été suffisamment désigné, c’est-à-dire le monisme mâle, l’androcentrisme comme seul représentant de toute l’espèce humaine. De la Grèce antique aux monothéismes et à l’égalité républicaine, il n’y a que du Un : un seul Dieu, mâle, une seule libido, phallique, une seule citoyenneté, neutre, un seul sujet, universel, un seul individu monadique, hors connexion. La voilà la violence symbolique : la procréation est exclue du symbolique pour que s’érige sur elle un phallocentrisme qui détourne, exproprie, et s’approprie la fonction génésique des femmes. "Il y a tout de même une chose qui échappe à la trame symbolique, c’est la procréation dans sa racine essentielle, qu’un être naisse d’un autre", disait Lacan.

Antoinette Fouque, Gravidanza, Féminologie II, Paris, Des femmes, 2007.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 février 2008.

Élaine Audet


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