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La malbouffe n’est pas toujours un choix personnel

5 février 2003

par Abby Lippman, geneticist , McGill University in Montreal

Le 18 novembre, M. Roger Bertrand, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, a dévoilé le Programme national de santé publique 2003-2012 dans lequel il a exprimé, parmi plusieurs autres objectifs, son désir de réduire le nombre de Québécois-es obèses, ainsi que son intention de promouvoir l’activité physique et d’améliorer la qualité des menus offerts dans les cafétérias scolaires.



Les médias nous parlent d’une "épidémie" d’obésité, tant chez les jeunes que chez les adultes, d’une "épidémie" de diabète qui serait l’un des effets de cette "crise de poids" que nous vivons. Mais, malheureusement, peu de gens parlent des causes de cette "épidémie" et de la plupart des gains de poids excessifs. À moins de réfléchir sur ces causes et d’exiger des changements politiques, nous continuerons à mal nous alimenter et à prendre du poids. En fait, ce qu’il faut combattre, ce sont les politiques d’alimentation et le programme de santé publique responsable de l’augmentation de l’obésité au sein de la population.

Une vague d’obésité qui rapporte

Quant à parler d"obésité", parlons donc des boîtes que McDonald distribue à l’occasion de l’Halloween. Parlons aussi de l’appui de Nestlé, une compagnie distributrice de lait en poudre, à la corporation des pédiatres qui, elle, recommande l’allaitement. Quant à parler d"obésité", considérons les contrats "exclusifs" entre les écoles et les compagnies agro-alimentaires, ainsi que les conséquences pour les plus démuni-es de la concentration de la production, de la distribution et de la vente des produits alimentaires. Dans la même perspective, examinons la relation entre la répartition des magasins dans les milieux urbains et la consommation de fruits et légumes ; la relation entre les ressources de quartier et l’exercice physique.

Contrairement à ce que prétend le discours traditionnel sur le sujet, le "problème de l’obésité" ne découle pas d’un choix (de nourriture) individuel, ni de l’absence de volonté ou de connaissance d’une diète saine. Ce sont les politiques alimentaires qui empêchent certaines personnes d’acheter et de manger des aliments sains et d’adopter les comportements alimentaires appropriés.

Nombre d’études ont bien démontré la liaison entre la diète et la santé, la diète et le poids. Mais toutes les campagnes, qui ont incité les consommateurs et consommatrices à changer de comportement, ont ignoré la capacité réelle des personnes à adopter les mesures préconisées, ainsi que leurs conditions de vie et les quartiers qu’ils habitent, des facteurs qui influencent la capacité d’agir. La recherche a démontré que plus on est pauvre, plus grandes sont les chances qu’on habite loin des magasins qui vendent des fruits et légumes saisonniers et moins on a la possibilité de suivre une diète équilibrée. Plus encore, dans les quartiers pauvres, des dépanneurs et des restaurants de "fast food" offrent des aliments aux effets très négatifs sur le poids et la santé en général.

Si on n’a pas d’argent, si les aliments appropriés ne sont pas disponibles à proximité de chez soi, même des personnes qui manifestent la meilleure volonté du monde ne peuvent changer de comportement alimentaire. Avoir de l’argent, avoir accès aux magasins, trouver des produits variés sur les étagères des magasins, etc., tout cela ne résulte pas de choix individuels, mais des politiques gouvernementales et commerciales. Ces politiques ont un impact très négatif, en particulier sur les personnes défavorisées.

Solutions et mesures incitatives

L’environnement alimentaire et la situation financière d’une personne sont les principaux facteurs qui peuvent influencer son alimentation et, partant, son poids. Si les gouvernements voulaient agir davantage afin d’améliorer la santé et le poids des citoyen-nes, ils pourraient, par exemple, réglementer la distribution des magasins sur un territoire donné ; offrir des bénéfices aux points de vente qui adopteraient un menu équilibré, etc.

Le désir du ministre d’améliorer les menus dans les cafétérias scolaires n’est qu’une étape. Il faudrait rétablir les programmes supprimés qui assuraient gratuitement des aliments sains dans les écoles en milieux défavorisés. Il faudrait également instaurer un revenu de solidarité pour permettre aux familles et aux individu-es moins nanti-es de se procurer des aliments propres à améliorer leur santé. Il est aussi nécessaire d’augmenter le temps consacré à l’éducation physique, qu’on a réduit sans motif valable, ces dernières années.

Cependant, si on veut diminuer l’ "épidémie" d’obésité, il faut aller plus loin, c’est-à-dire jusqu’aux sièges sociaux des compagnies agro-alimentaires. C’est là que se prennent les décisions sur la production et la distribution des aliments. C’est là également que les décideurs développent leurs stratégies en vue de manipuler les politicien-nes et le public. Le message de l’industrie agro-alimentaire, "mangez plus," qui bénéficie de budgets énormes dont ne disposent pas les régies régionales, contredit les messages des services de santé publique qui conseillent de manger modérément ! Si vous avez l’impression que le comportement de l’industrie "agro-alimentaire" rappelle celui des compagnies pharmaceutiques, vous ne vous trompez pas. On peut adresser le même genre de critiques aux deux industries.

Mais, pour le moment, laissons de côté les détails - nous y reviendrons éventuellement - et concluons avec une "recette" qui pourrait constituer une solution durable à l’"épidémie" d’obésité et de diabète chez nous. Je suggère la combinaison d’ingrédients préparée par un organisme communautaire montréalais afin de "confectionner" des "politiques sanitaires" qui améliorent véritablement la citoyenneté, la solidarité et la santé. Dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, le groupe Éco-Initiatives a réuni quelques "partenaires" (banques alimentaires, jardins communautaires, programmes pour les mères célibataires, ventes de produits "verts," etc.) qui travaillent de concert. Le concept d’Éco-Initiatives, dont l’objectif est une société juste, a proposé un instrument de développement social et équitable, c’est-à-dire des "politiques nutritionnelles" basées sur la réalité des personnes.

Nous devrions tous et toutes déguster cette "recette", car elle peut contribuer à des repas succulents, à maintenir un poids équilibré et à rester en bonne santé. Éco-Initiatives, auteur de cette recette "prête à manger" n’importe où, mérite la première place dans la combat contre l’obésité.

Abby Lippman, geneticist , McGill University in Montreal


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